Duc de Raguse a écrit :
Jérôme a écrit :
Les pertes de 14-18 n'ont elles pas conduit à se méfier des caractères énergiques comme Clemenceau ou Poincaré ?
Je ne pas bien trop pourquoi...
Le président de la République n'est pas le chef des armées sous la IIIème République (en 1879 c'est tranché) et Clemenceau devient Président du Conseil à la fin de l'année 1917, les batailles les plus sanglantes avaient déjà eu lieu depuis belles lurettes.
Ce ne sont pas les pertes de la Grande guerre qui dissuadent les parlementaires d'élire un personnage au "caractère énergique", mais plutôt le spectre d'un président "apprenti-dictateur", comme le fut Louis-Napoléon Bonaparte lors de la IIème République, ou un président hostile au régime à l'image d'un Mac Mahon.
La crise du "16 mai" avait tranché les parties équivoques des interprétations plurielles potentielles des Lois constitutionnelles de 1875 : le président de la République sera faible (ou ne sera pas, pourrait-on ajouter...).
C'est juste, et pourtant, les monarchistes ont veillé à rédiger des actes constitutionnels qui puissent, le moment venu, convenir à une monarchie. Autrement dit, le président de la République apparaît alors pour les seconds comme le substitut du futur monarque.
Selon les lois constitutionnelles votées en 1875, le président est élu pour sept ans à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés et rééligible. Il préside les solennités nationales, nomme à tous les emplois civils et militaires. Chef des armées, disposant du droit de grâce, il est le garant de la politique internationale de la France : il négocie et ratifie les traités et veille à leur application.
En matière de politique intérieure, ses pouvoirs ne sont pas moindres, puisqu'il a, concurremment avec les Chambres, l'initiative des lois, qu'il lui appartient de les promulguer et qu'il peut, s'il est en désaccord avec l'une d'elles, demander aux Chambres une seconde délibération. Convoquant les Chambres, il a le droit de les ajourner pour un mois, mais deux fois au plus pendant la même session. Enfin, disposition capitale aux yeux des orléanistes, le président peut s'appuyer sur les notables ruraux conservateurs pour faire échec au suffrage universel puisqu'il possède le pouvoir de dissoudre la Chambre des députés après avis conforme du Sénat. Bref sur le papier, le président de la République n'était pas a priori voué à l'inauguration des chrysanthèmes...
Comme vous dites, la crise du 16 mai va donner à la fonction présidentielle les caractéristiques qui seront les siennes jusqu'en 1958. Lors de sa prise de fonctions en 1879, le président Grévy énonce les termes de ce que les juristes nommeront, non sans ironie, la « Constitution Grévy » : « Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n'entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels. »
Le président renonce à avoir une politique personnelle, laissant la majorité de la Chambre lui imposer la sienne. A partir de ce postulat, il accepte de se laisser dépouiller de la plupart des pouvoirs que lui ont confiés les actes constitutionnels de 1875 : choisir les ministres, nommer et révoquer fonctionnaires ou officiers, demander aux Chambres une seconde délibération des projets de loi, user du droit de dissolution de la Chambre des députés.Désormais, les présidents s'effacent derrière leur fonction.
Pour la succession de Grévy, Clemenceau s'est ingénié à plomber la candidature de Ferry : « Votons pour Carnot, il n'est pas très fort, mais il a un nom républicain. » Ce que la rumeur populaire résumera par cette formule qui traduit, sinon les paroles, au moins la pensée de leur auteur : « Votons pour le plus bête ! »
Loubet et Fallières marquent les esprits par leur insignifiance, mais la mention particulière revient à Deschanel !
Ayant tôt compris qu'un homme politique trop engagé, à la stature d'homme d'État, n'avait aucune chance d'accéder à la magistrature suprême, Deschanel va s'appliquer à réaliser le profil idéal du futur candidat à l'Élysée : il mène une carrière qui se déroule sous le double signe des honneurs et du refus des responsabilités. Député, il veille à ne s'aliéner aucune des fractions de l'opinion et refuse avec la dernière énergie toute proposition de portefeuille ministériel qui risquerait de le compromettre. Il accorde à sa mise une attention particulière, et son élégance est plus célèbre encore que son éloquence.
Quant au pauvre Lebrun, élu en mai 1932, réélu en 1939, aux jours sombres de mai et juin 1940, il se montre incapable de prendre une position nette entre partisans et adversaires de l'armistice. Son principal sentiment sera le soulagement lorsque, le chef du gouvernement Paul Reynaud ayant démissionné et lui ayant conseillé d'appeler Pétain, il constate que celui-ci accepte et qu'il a une liste de ministres dans sa poche. Au moment où le nouveau gouvernement négocie l'armistice avec l'Allemagne, Lebrun renonce à son départ prévu avec les Chambres pour l'Afrique du Nord devant la violente scène que lui fait Pierre Laval.
Enfin, lorsque le 11 juillet 1940 Philippe Pétain, fort du vote émis la veille par l'Assemblée nationale, se proclame chef de l'État français et déclare aboli l'article 2 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, régissant l'élection du président de la République, Albert Lebrun quitte Vichy sur la pointe des pieds pour ne gêner personne.
Évidemment, il y eut des personnalités plus fortes, qui ont exercé une relative influence sur la politique étrangère comme Poincaré, qui ont usé de leur pouvoir de désigner le président du Conseil pour écarter les uns ( Gambetta écarté par Grévy jusqu'en 1881), ou désigner les plus capables (Loubet et Waldeck-Rousseau, Fallières et Clemenceau, Briand ou Poincaré).
Mais malheur à ceux qui ont voulu sortir de la "tradition républicaine" comme Casimir-Perier ou Millerand : les parlementaires les ont poussé à la démission !
Tout va changer avec De Gaulle en 1959, avec une image symbolique forte de cette rupture : Charles de Gaulle, nouveau chef de l'État, redescendant les Champs-Élysées en voiture après avoir abandonné sur le trottoir René Coty, à l'issue de la cérémonie de passation des pouvoirs à l'Arc de triomphe le 8 janvier 1959.