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 Sujet du message : Re: L'affaire Blomberg-Fritsch
Message Publié : 21 Mai 2010 11:54 
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Jean Mabillon
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"Je ne sais pas jusqu'à quel point. Blomberg était surnommé Gummilöwe (le "lion de caoutchouc", ce qui signifie à peu près la même chose que tigre de papier en français), et ces deux messieurs furent ceux qu'Hitler roula proprement dans la farine pour obtenir la validation par l'armée de son pouvoir absolu, en échange de la tête de Röhm et de la mise au pas des SA. Hitler détestait et méprisait ces généraux de la vieille école, bien entendu. Mais les hommes Blomberg et Fritsch était-ils vraiment des fortes têtes ou bien Hitler s'en prenait-il surtout à la fonction ? "

Forte tête, le mot est peut être un peu rock n'roll pour un feldmaréchal :-)
Disons qu'il existe bien des manières d'exprimer désapprobation et opposition, et que ces gentlemen plutôt policés et prudents devaient recourir à des méthodes parfois plus subtiles que les hurlements de rage hitlériens.
Ainsi, on sait que le 5 nov. 37 eut lieu à la chancellerie une réunion convoquée par Hitler rassemblant Blomberg, Fritsch, l'amiral Raeder, chef de la Marine, Goering, son homologue pour la Luftwaffe, et von Neurath (ministre des affaires étrangères); le colonel major Hozbach prenait des notes à fin de compte rendu, qui figure en tant que pièce 386 PS dans les archives du procès de Nuremberg.
Lors de cette réunion, Hitler dévoila ses plans grandioses d'expansion du Lebensraum à l'Est pour le peuple allemand, ses intentions d'annexion de l'Autriche, ses vues sur la Tchécoslovaquie, sur les "ennemis haineux" que l'Allemagne devrait réduire (la France au 1er rang) pour réussir dans ses projets, son opinion sur la fragilité de l'alliance franco-anglaise, etc.
Dixit Blomberg: "les généraux trouvèrent les idées d'Hitler plutôt fantastiques et son exposé fut accueuilli par un silence glacial".
Fritsch a confié à son ami le général Beck (organisateur d'un complot contre Hitler peu avant la guerre) : "je me suis trouvé en présence d'un fou".

Donc à cette époque, les généraux expriment encore des avis contraires, font part de leurs réticences, tentent d'entraver plus ou moins ouvertement des décisions de AH.
D'autre part, on sait que Hitler se considérait comme le seul leader capable d'accomplir ces plans grandioses, on sait aussi qu'il était hanté par la peur de mourir jeune et de n'avoir pas le temps d'atteindre ses objectifs; c'était donc un homme pressé, en plus de l'impatience naturelle de son caractère. En tout cas, lors de cette réunion, il déclara qu' "il fallait résoudre le problème de l'espace allemand avant 43/45".
Or, pour réaliser ces ambitieux projets, il avait à sa disposition un Etat major qui ne voulait tout simplement pas faire la guerre, en tout cas pas tout de suite, pas sans plans et préparation exhaustive, pas sur deux fronts, pas dans les conditions d'improvisation et de risque-tout que Hitler voulait leur imposer. Leur avis était que l'armée, la jeune Wehrmacht, n'était pas prête, et qu'elle ne le serait pas avant 43/45.

Keitel, pourtant surnommé Lakeitel (laquais) à cause de sa complaisance vis à vis d'Hitler, déclare à propos du projet d'Anschluss militaire: "mon avis, conforme à celui de Blomberg et Fritsch, était qu'aucune solution militaire ne pouvait être envisagée", la solution devant être diplomatique. Et en effet, l'avancée des troupes allemandes en Autriche connait son lot de problèmes: tankistes ne sachant pas manoeuvrer leur char, manque de cartes, manque d'essence etc.
Pareil pour la Tchécoslovaquie: selon Keitel encore, vu l'état des forces allemandes engagées, une réaction militaire franco-anglaise déterminée "aurait suffi à provoquer une catastrophe".
Beck ne mâchait pas ses mots: dans un memorandum diffusé dans l'EM, il observe prophétiquement que "l'Allemagne, en cherchant à atteindre ses buts par la force, suscitera contre elle une nouvelle coalition et subira une nouvelle défaite". Il l'aurait confié à d'autres officiers dont Halder: AH était un "fou". Canaris pensait que l'Angleterre entrerait dans la guerre même si elle n'était pas militairement prête, contrairement à l'opinion d'Hitler. Etc...
Les vues de AH étaient donc parfaitement incompatibles avec celles de son Etat major, et le dictateur rageait contre la sclérose, le "pacifisme" et le "défaitisme" de ces officiers, qui risquait de paralyser et de saboter ses grandioses visions.
Certes, Hitler voulait remplacer Blomberg, dans une fonction très élargie, avec des compétences étendues aux industries Défense, aux mesures à prendre et à la propagande en temps de guerre, et avec la création de l'OKW quelques jours après;
mais l'affaire Blomberg-Fritsch alllait bien au delà: pour pouvoir réaliser ses projets de Lebensraum, AH devait se débarrasser d'une bonne partie de ses généraux. Du moins les plus irréductibles parmi ceux qui estimaient avoir le droit d'avoir un avis, et de l'exprimer. Comme le dit Cartier: "Dès que l'armée voulut jouer le rôle de frein dans la course à l'aventure, le Führer brisa Blomberg et assouplit l'armée". Et comme Hitler le déclare sans ambiguité à ce moment là: "la conduite de la guerrre est l'affaire du Führer" (et non d'une caste de militaires professionnels).
C'est donc bien d'une passation des pouvoirs qu'il s'agit, mais non pas seulement d'un chef militaire à un autre mais d'une élite à une autre: de la caste militaire prussienne aux nouveaux hommes sortis de peu du parti nazi. Et c'est aussi en conséquence une politisation, une nazification de la conduite de la guerre.

Sources: en plus du Cartier mentionné plus haut, Bernd von Loringhoven ''Dans le bunker d'Hitler", et plusieurs ouvrages d'August von Kageneck, en particulier sur Roland von Hoesslin, un des participants à l'attentat von Stauffenberg, "De la croix de fer à la potence".


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 Sujet du message : Re: L'affaire Blomberg-Fritsch
Message Publié : 21 Mai 2010 12:11 
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Tonnerre a écrit :
"C'est avec difficulté que Brauchtisch--dit Guderian--obtint la nomination symbolique du colonel général Freiherr von Fritsch au commandement du régiment d'artillerie No 12. Hitler fit remarquer que cette nomination réhabilitait l'accusé et qu'il ne pouvait rien exiger de plus".

"Hitler et ses généraux", Raymond Cartier, editions Fayard, collection "J'ai Lu"


Cette nomination de Chef n'est pas un commandement mais une récompense, généralement attribuée (sous le IIIème Reich) à des généraux au moment de la retraite. Von Rundstedt devient Chef du 18ème régiment d'infanterie en 38. Il sera rappelé ultérieurement avec des commandements importants, contrairement à von Fritsch. Si mes souvenirs sont bons, il n'y a pas plus de 6 officiers généraux qui sont aussi Chef pendant toute la période nazie.


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 Sujet du message : Re: L'affaire Blomberg-Fritsch
Message Publié : 21 Mai 2010 12:11 
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Jean-Pierre Vernant
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Je vous remercie pour toutes ces précisions qui détaillent l'attitude de l'armée face à Hitler juste avant la guerre. Je les savais suant de trouille, mais je les pensais déjà plus soumis.

Par conséquent, je n'ai pas complètement tort :mrgreen: En fait, ce n'est pas tant la personnalité du duo Blomberg-Fritsch qui explique leur éviction : l'ensemble de l'EM formule des réticences voire des oppositions aux projets hitlériens; en brisant ses chefs, Hitler fait comprendre à tous, tous ces "opposants", que c'est lui le maître, y compris de l'armée.


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 Sujet du message : Re: L'affaire Blomberg-Fritsch
Message Publié : 21 Mai 2010 12:36 
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Jean Mabillon
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En fait, ce n'est pas tant la personnalité du duo Blomberg-Fritsch qui explique leur éviction : l'ensemble de l'EM formule des réticences voire des oppositions aux projets hitlériens; en brisant ses chefs, Hitler fait comprendre à tous, tous ces "opposants", que c'est lui le maître, y compris de l'armée.


Oui, sauf qu'Hitler avait Fritsch spécialement "dans le nez".
Sur Blomberg, cet avis du maréchal de l'Air Milch: "c'était le seul soldat capable de dominer à la fois les questions politiques et militaires et de résister à Hitler, ce qu'il a fait maintes fois".
En 37, les généraux résistent encore à Hitler; puis Hitler limoge les plus résistants.
En 39, après l'Anschluss et Munich, ils ne résistent plus: de toute façon, le déroulement des événements donne raison au FÜhrer: sa stratégie risquée d'agression en chaine est payante, les généraux sont déconsidérés car ils apparaissent comme des vieillards paralysés par la prudence et le souvenir de la défaite allemande de la PGM;
"les conseillers de la prudence apparaissent comme les conseillers de l'erreur" dit Cartier.


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 Sujet du message : Re: L'affaire Blomberg-Fritsch
Message Publié : 22 Mai 2010 9:34 
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Jean Mabillon
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L'entrée sur le wiki anglophone étant beaucoup plus développée que la notice en Français, j'en ai tiré ces quelques précisions sur Werner Freiherr (baron) von Fritsch:

Il était né en Rhénanie en 1880, entre dans la Reichsheer à 18 ans, étudie à la Preussiche Kriegsakademie à 21; en 1911, il est oberleutnant, affecté à l'Etat major peu avant la PGM, à laquelle il prend part, ce qui lui vaut la Croix de fer et une blessure à la tête.
Dans la Reichswehr de la république de Weimar, il passe general leutnant en 32, et est horrifié par les brutalités et les illégalités commises par les nazis lors de leur accession au pouvoir. Contrairement à beaucoup d'autres gradés, il ne cache pas ses sentiments : Shirer raconte l'avoir entendu faire des remarques sarcastiques devant des dignitaires nazis lors d'une parade SS à Saarbrück. De bonne heure, il anticipe les dangers de l'aventurisme hitlérien et prédit que le dictateur va entraîner l'Allemagne dans une guerre avec la Russie. Il contribue au réarmement de l'Allemagne et passe generaloberst en 36.
Veuf en 17, il ne se remarie pas (ce qui sera vu comme une indication d'homosexualité): c'est une sorte d'ascète, selon ses collègues de l'EM, qui ne vit que pour son métier.
Suite à cette affaire, il démissionne de son poste le 4 fevrier 38, il est blanchi mais sa réputation a été irréversiblement atteinte. Peu avant le début de la DGM, il est rappellé et choisit de faire une inspection des lignes de front en Pologne en tant que "colonel honoraire du 12e régiment d'artillerie", une tâche inhabituelle pour un gradé de ce niveau. Il est tué le 22 septembre 39, "devant Varsovie", par une "balle polonaise" qui lui déchire une artère de la jambe. Il se vide de son sang et meurt en moins d'une minute, selon le lieutenant Rosenlagen, qui assiste à sa mort. Il est le 2e général allemand tué dans la guerre.
Le faux témoin suscité par Himmler qui l'avait accusé se nommait Otto Schmidt, surnommé 'Jo le Bavarois" dans les milieux interlopes. Faire chanter les homosexuels était sa principale source de revenus, et Himmler a joué sur une homonymie avec un autre von Fritsch (celui là rittmeister) pour accuser VF; Otto Schmidt s'est rétracté plus tard, et il aurait été assassiné.


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 Sujet du message : Re: L'affaire Blomberg-Fritsch
Message Publié : 22 Mai 2010 13:52 
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La version allemande de Wiki est un peu différente. Un tir de mitrailleuse polonaise a fait gicler des pierres dont l'une a atteint Fitsch à la cuisse, lui sectionnant une artère. Alors que l'on se précipitait pour lui poser un garrot, il refusa de se laisser bander et mourut en ayant rajusté son monocle.

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 Sujet du message : Re: L'affaire Blomberg-Fritsch
Message Publié : 22 Mai 2010 17:13 
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Jean Mabillon
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Merci JML, l'article wiki anglophone cité ne mentionne pas l'histoire de la pierre mais inclut celui du garrot.
Il est (apparemment) paradoxal que ce soit ce bastion du conservatisme qu'était l'aristocratie militaire, prussienne en particulier, qui ait joué le rôle le plus important dans la résistance à Hitler et qui soit à l'origine des tentatives les plus organisées pour l'éliminer.
En fait, il fallait une organisation structurée disposant d'armes et d'appuis pour organiser un complot à une certaine échelle; or les syndicats et partis politiques de gauche étaient démantelés.


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 Sujet du message : Re: L'affaire Blomberg-Fritsch
Message Publié : 22 Mai 2010 23:01 
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Mon cher Tonnerre, la structure même du régime nazi installé par Hitler laissait planer cette possibilité : le seul moyen de faire vaciller le régime ne pouvait provenir que de l'intérieur de celui-ci et à ce titre, en temps de guerre, de l'armée.
Hostile sous Weimar aux nazis, elle entre dans une neutralité bienveillante après le sacrifice des SA, mais demeure très circonspecte à l'égard de Hitler. Les premières victoires allemandes font taire les critiques et on connaît la suite avec les premières tentatives de complot organisées à partir de 1942.

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Alphonse de Lamartine


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 Sujet du message : Re: L'affaire Blomberg-Fritsch
Message Publié : 23 Mai 2010 9:32 
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Jean Mabillon
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Il y a eu des complots contre Hitler dans l'armée avant le début de la période des revers militaires de l'Allemagne, duc.
En 39, un groupe de politiciens et d'officiers antinazis avaient pour projet d'exécuter un putsch et d'arrêter Hitler (le tuer était considéré alors comme contraire à leur honneur de soldat). Ces officiers incluaient le général Beck, le colonel Hans Oster, le général Halder, l'amiral Canaris, le génral Erwin von Witzleben, et aussi le diplomate et politicien Ulrich von Hassel, le politicien conservateur et maire de Leipzig Goerdeler, et le Dr. Hajmar Schacht, économiste et politicien.
Après le renversement d'AH, l'Allemagne serait gouvernée par un triumvirat composé de Beck, Goerdeler et Schacht qui négocierait un accord de paix avec la France et la GB permettant à leur pays de conserver l'essentiel des conquêtes nazies effectuées à cette date. Ca incluait l'Autriche, toute la Pologne occidentale, et le protectorat de Bohème Moravie. En janvier/février 40, plusieurs rencontres entre Goerdeler, Beck, Hassell et Johannes Popitz débouchèrent sur un accord prévoyant que Beck serait à la tête du Conseil de régence qui gouvernerait l'Allemagne. En 40/41, Beck consacra beaucoup de temps à discuter avec Goerdeler, Hassell et Erwin von Witzleben lequel des Hohenzollerns mettre sur le trône quand le régime nazi serait renversé.

Extrait traduit de la notice wikipedia anglophone sur le général Beck; cette notice est très longue et intéressante, j'essaierai d'en traduire de plus larges extraits si j'ai un moment.


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 Sujet du message : Re: L'affaire Blomberg-Fritsch
Message Publié : 27 Mai 2010 16:57 
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Jean Mabillon
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Sur le général Beck, comme je l'ai dit, la notice wiki anglophone est beaucoup plus développée que la française, j'en donne ci-dessous les principaux éléments.
Ce général est surtout connu du public pour sa participation au complot du 20 juillet, et son "suicide commandé" subséquent.
Sa trajectoire personnelle est assez typique et jette un éclairage intéressant sur le profil et les motivations des militaires qui complotèrent contre Hitler.
Ludwig Beck est né le 29/06/1880 à Biebrich et mort le 20/07/1944. Il fut éduqué dans la tradition militaire prusienne et sert sur le front de l'ouest durant la PGM. De 31 à 32, il dirige la rédaction d'un manuel militaire, "Truppenführung", qui ayant été mis à jour, est encore utilisé par l'armée allemande. En 32, il passe generalleutnant, en 34 il remplace le général Kurt von Hammerstein Equord comme chef d'Etat Major général.
Au départ, il est favorable au nazisme; en particulier, il témoigne en 1930 en faveur de trois jeunes officiers accusés de s'être inscrits au NSDAP alors que les activités politiques sont à cette époque légalement interdites aux militaires; Beck commande alors le régiment stationné à Ulm dont ces jeunes officiers font partie. Au procès, il déclare que le nazisme "est une force positive" pour l'Allemagne et soutient que cette interdiction faite aux militaires d'avoir des activités politiques doit être levée. Il rencontre alors AH, qui lui sait gré d'avoir pris cette position pronazie, et Beck se déclare favorablement impressionné.
En 33, il déclare à propos de l'accession d'AH au pouvoir: "j'ai souhaité une révolution politique pendant des années, et maintenant mes voeux ont été réalisés; c'est le premier rayon d'espoir depuis 1918".
En 34, il déclare que la victoire de Hitler après le décès d'Hindenburg "avait créé des conditions favorables pour la Reichswehr" ; néanmoins il met en garde contre toute tentative de lancer l'Allemagne dans une "guerre prématurée".
Assumant le commandement de la 1ère Division de cavalerie stationnée à Frankfurt s/Oder, Beck pousse au développement des blindés, quoique pas d'une façon aussi déterminée que Guderian. Il milite pour un accroissement conséquent des dépenses militaires et considère qu'une série de guerres européennes sera nécessaire pour restaurer l'Allemagne à sa place de grande puissance européenne, mais il faut pour cela attendre que le réarmemement allemand soit complet, et faire en sorte que ces guerres soient "limitées"--pas de guerre "mondiale" comme la PGM. En particulier, il n'a aucune objection à une guerre d'agression contre la Tchécoslovaquie, problème qui selon un de ses memorandums ne pourra être solutionné que par la force. Il se réjouit de la remilitarisation de la Rhénanie et créée son propre réseau de renseignement militaire, dont fera partie en particulier le politicien conservateur Goerdeler.
Il refuse initialement d'établir un plan militaire pour l'invasion de l'Autriche, de nouveau il affirme que pour rétablir le statut de grande puissance européenne de l'Allemagne, les guerres sont nécessaires mais qu'elles doivent être limitées, entreprises "avec une armée forte et de bons alliés"; il estime que ces conditions ne sont pas réunies au moment où AH envisage l'annexion de l'Autriche.
Cependant, suite à l'affaire Blomberg-Fritsch, Hitler limite les pouvoirs de l'armée, et Beck n'apprécie pas cette dépossession. Ses objections aux plans bellicistes du chancelier se font plus fortes; au moment du "Hossbach memorandum", il rappelle que l'armée française est la plus puissante d'Europe et que l'économie allemande ne pourra soutenir une guerre prolongée contre elle. A partir de 38, sa principale préoccupation est d'empêcher que l'Allemagne ne s'engage dans une guerre prématurée qui aboutirait à suscitet une puissante coalition contre l'Allemagne. Il est un des éléments d'un groupe "antiguerre" à l'intérieur de l'armée qui se rapproche du groupe antinazi qui y existe également, et avec Canaris, Ernst von Weisacker, le colonel Hans Oster, Hans Bernd Gisevius etc., il envisage d'exécuter un putsch dans le but de renverser les nazis--mais initialement pas Hitler, qui pourrait rester au pouvoir à condition de se débarrasser d'un certain nombre de ses "mauvais génies" et de laminer les SS. En 39, il semblerait qu'ils soient décidés à renverser Hitler aussi, et ils prennent contact dans ce but avec le général Halder, qui assume les fonctions de chef d'Etat major de 38 à 42, et le Dr Schacht mas ce plan n'est pas mis à exécution. D'autres plans en 43 pour tuer Hitler avec une bombe n'aboutissent pas. En 44, Beck est impliqué dans le complot von Stauffenberg, et Rommel aurait fait savoir qu'il en était si, en cas de succès de l'attentat, Beck était nommé chef du gouvernement provisoire appellé à remplacer Hitler.
Nombre des militaires qui ont comploté contre AH n'agissaient pas, comme pourraient le faire supposer certaines versions romanticisées de l'affaire du 20 juillet 44, par antinazisme, mus par un impératif éthique, par des considérations religieuses, par souci de la démocratie ou parce que révoltés par les atrocités du régime, sans parler d'un mépris de classe pour les petits bourgeois nazis
;en fait, ils partageaient pour l'essentiel les vues de AH sur la nécessité d'un pouvoir autoritaire et de l'acquisition de Lebensraum et de la guerre comme moyen de s'en procurer et de donner à l'Allemagne une position hégémonique en Europe continentale.
Simplement, ils estimaient que les méthodes de joueur de poker et la précipitation du dictateur n'étaient pas les bonnes pour atteindre ces objectifs, et ils craignaient la reconstitution, en réaction à ces méthodes brutales, d'une coalition internationale style PGM dont l'Allemagne n'aurait pas les moyens de triompher. Un des reproches d'AH à leur égard était justement qu'ils vivaient dans la hantise d'une PGM bis.
Et il y avait aussi une réaction corporatiste devant le fait que AH leur avait retiré leur leadership en matière militaire.


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 Sujet du message : Re: L'affaire Blomberg-Fritsch
Message Publié : 27 Mai 2010 17:46 
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Voir aussi le cercle de Kreisau qaui fut aussi un pôle important contre AH:

http://resistanceallemande.online.fr/kr ... reisau.htm

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 Sujet du message : Re: L'affaire Blomberg-Fritsch
Message Publié : 27 Mai 2010 18:45 
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il n'y a bien sûr rien d "paradoxal" à ce que l'opposition antinazie ait été majoristairement alimentée par les militaires et la noblesse.

En effet d'un strict point de vue policier, ces milieux avaient été relativement épargnés par la repression enagagée contre le KPD et le SPD dès 1933, ils restaient donc les seuls à pouvoir (jusquen juillet 1944 au moins) à pouvoir se réunir et discuter à peu près librement pour critiquer le régime.

Au-delà de cette analyse technique, on notera que ces milieux ne pouvaient qu'être allergiques au national-socialisme qui était un mouvement de masse fondé sur le rejet des traditions aristocratiques et religieuses fondamentalement élitistes et conservatrices qui façonnaient le IIè Reich de Bismarck - en ce qui concerne la noblesse catholique elle était en outre méfiante à l'égard de l'Etat allemand en tant que tel depuis 1871.

Bref on pouvait très bien être antisemite et antinazi, antidemocrate et antinazi, antilbéral et antinazi, etc ...sans oublier qu'il est assez naturel que les classes sociales supérieures aient des idées supérieures à celles des classes inférieures, n'est-ce pas ? :P


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 Sujet du message : Re: L'affaire Blomberg-Fritsch
Message Publié : 27 Mai 2010 19:16 
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Citer :
En effet d'un strict point de vue policier, ces milieux avaient été relativement épargnés par la repression enagagée contre le KPD et le SPD dès 1933, ils restaient donc les seuls à pouvoir (jusquen juillet 1944 au moins) à pouvoir se réunir et discuter à peu près librement pour critiquer le régime


C'est bien ce qu'on a dit plus haut: à part l'église et l'armée, les autres corps constitués avaient été démantelés, il était donc normal que la résistance au nazisme se soit développée essentiellement dans ces deux milieux, quoique ce ne soit pas la seule raison.

Citer :
Au-delà de cette analyse technique, on notera que ces milieux ne pouvaient qu'être allergiques au national-socialisme qui était un mouvement de masse fondé sur le rejet des traditions aristocratiques et religieuses fondamentalement élitistes et conservatrices qui façonnaient le IIè Reich de Bismarck - en ce qui concerne la noblesse catholique elle était en outre méfiante à l'égard de l'Etat allemand en tant que tel depuis 1871.


Allergique, soit, mais --et ce n'est pas une légende--nombre d'aristocrates haut gradés ont néanmoins soutenu Hitler au début, en se pinçant le nez certes, mais soutenu quand même.
Parce qu'ils comprenaient que seul un politicien/parti qui saurait susciter le soutien des masses pouvait réaliser les objectifs des conservateurs: liquidation des conséquences du traité de Versailles, liquidation de la gauche socialiste et communiste, reconstruction de la puissance militaire et hégémonie allemande en Europe continentale, acquisition de territoires à l'Est, etc.
Même Stauffenberg, bien que n'appréciant pas la personnalité et les méthodes hitlériennes, le reconnaissait comme un authentique nationaliste et admirait ses qualités militaires, du moins pendant un temps...


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 Sujet du message : Re: L'affaire Blomberg-Fritsch
Message Publié : 27 Mai 2010 20:15 
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Pour ceux qui s'intéressent à la Reichswehr en 1933/34, je recommande Hammerstein ou l'intransigeance : Une histoire allemande de Hans Magnus Enzensberger. Ce chef d’état-major général de la Reichswehr (évidemment issu d’une ancienne lignée prussienne) démissionna dès 1934 et tenta (sans succès) d'organiser une opposition active ... sans succès.


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 Sujet du message : Re: L'affaire Blomberg-Fritsch
Message Publié : 28 Mai 2010 11:57 
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Ce serait néanmoins une erreur de croire que toute l'aristocratie allemande a accepté Hitler du bout des lèvres.
Certains membres de la noblesse et non des moindres, étaient des nazis convaincus.
Le plus connu est sans doute August Wilhelm de Hohenzollern (surnommé Auwi), un des fils de Guillaume II, qui de pair
avec d'autres membres de sa famille (son frère aîné le Kronprinz Friedrich Wilhelm), a activement soutenu le nazisme. Il a adhéré au NSDAP, fait campagne aux côtés d'Hitler, a prononcé des discours dans les manifestations nazies, écrit des articles et rejoint les SA, où il a obtenu le grade d'obergruppenführer. Hitler l'a récompensé de son soutien en lui accordant des postes (pas majeurs) dans l'administration nazie, mais Auwi ayant eu la maladresse de faire un discours célébrant les mérites de Röhm une semaine avant la Nuit des longs couteaux, tomba dans une relative défaveur. Il fut "dénazifié" après la guerre et condamné à trois ans d'internement dans un camp de travail.
Autre très grande famille ralliée au nazisme, les Hesse: Richard, Philipp, Christoph et Sophia de Hesse-Cassel, qui faisaient partie de l'entourage de Göring. La femme de Philipp, Sophia, était princesse de Grèce et de Danemark et soeur du prince Philipp d'Edimbourg, mari de la reine Elizabeth II. La mère de Philipp était fille de la reine Victoria, et les liens de cette famille, et en général des familles princières allemandes avec la famille royale anglaise et l'aristocratie anglaise étaient très étroits.
Ce qui fait que certains de ces aristocrates, grâce à ces liens familiaux, ont servi de contacts officieux entre Hitler et les plus distingués partisans anglais de l'appeasement, tels que le fameux Lord Londonderry, Lord Halifax, les soeurs Mitford, Oswald Mosley etc.Philipp de Hesse a occupé des positions importantes dans la hiérarchie nazie et a servi d'ambassadeur officieux à Hitler, en particulier auprès de Mussolini, vu sa proximité avec Ciano. Sur les liens de la famille de Hesse avec le nazisme, voir le lien ci-dessous. Richard de Hesse était SA, Philipp était aussi SA, son frère Christoph était SS.
Les nazis ont recherché ces relations prestigieuses pour des raisons évidentes: cela leur donnait une légitimité politique, en les reliant à la monarchie et à la tradition prussienne, cela rendait le nazisme glamour et lui conférait un vernis d'élégance dont la plupart de ses membres manquaient singulièrement, ces aristocrates avaient des carnets d'adresse extrêmement riches et utiles, tant sur le plan national qu'international et diplomatique, avec des connections dans les milieux mondains et gouvernementaux de toute l'Europe: c'est ainsi par exemple, par les Hesse, que Göring eut accès au roi d'Italie. Ils pouvaient même servir d'informateurs, comme la baronne Wally von Richthoffen dont les réceptions très courues attiraient toute la haute société allemande et internationale, et qui rapportait ensuite au NSDAP tout ce qui s'y disait, contre dédommagements financiers bien entendu.


http://books.google.com/books?id=EuU4Ph ... ce&f=false


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