François Godicheau est un spécialiste de l'histoire de l'Espagne.
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En juillet 1936, le coup d'État fut mis en échec à la fois par la fidélité d'une partie de l'armée et des forces de sécurité et par une réaction populaire massive emmenée par les organisations ouvrières pourtant très critiques vis-à-vis des gouvernements républicains. Cet échec démontre l'ancrage de la culture républicaine parmi les masses urbaines.
Au lendemain du putsch raté, l'Espagne présentait la plus grande confusion. Certes, le pouvoir républicain se maintenait à Madrid, mais il n'était plus que formel : le gouvernement se recomposa dans l'urgence, mais ne contrôlait plus rien. Les petits partis républicains de gauche sur lesquels le Premier ministre Giral tentait de s'appuyer étaient dans l'incapacité de mobiliser les masses. En première ligne de la réponse aux putschistes, on trouve les organisations ouvrières, les partis, Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), Parti communiste d'Espagne (PCE), Parti ouvrier d'unification marxiste (POUM), et les syndicats, Union générale des travailleurs (UGT) et Confédération nationale du travail (CNT), en particulier leurs sections locales et leurs militants.
Dans les derniers jours de juillet 1936, il n'y avait pas vraiment encore de guerre en Espagne. Mais l'écroulement de l'État favorisa le déferlement d'une vague révolutionnaire dans toute la partie du territoire qui échappait aux putschistes. Ces derniers proclamaient empêcher une révolution qu'ils prétendaient imminente. En frappant à mort un ordre étatique qui reposait en grande partie sur l'armée et la Guardia Civil, ils lui ouvraient la voie.
Pendant les premières semaines, dans les régions qu'ils dominaient (Vieille-Castille, Andalousie occidentale, Navarre, Galice, ouest de l'Aragon), plusieurs généraux putschistes écrasèrent les foyers de résistance et tentèrent d'agrandir le territoire contrôlé, comme de véritables seigneurs de la guerre. Dans les régions où le coup d'État échoua, dont les capitales politiques ou économiques Madrid, Barcelone, Bilbao, Valence, Malaga, la république était aussi en difficulté car le gouvernement, pour parer au coup d'État, avait relevé les soldats de leur devoir d'obéissance envers leurs officiers.
De nombreuses unités se désagrégèrent ou se mêlèrent à la foule des ouvriers et des paysans, lesquels dans le même temps s'armèrent en attaquant les casernes. Le peu de réactivité du gouvernement provoqua la réunion de toutes les organisations ouvrières en « comités » de contrôle ou de salut public. Pour ceux qui prônaient la révolution, il n'existait désormais plus aucun obstacle !
Dans l'urgence, les comités s'organisèrent donc pour contrôler les villes et les territoires et pour lutter contre ceux qui, la veille encore, étaient des adversaires politiques et que le soulèvement armé transforma en ennemis. Ils mobilisèrent des milices pour aller libérer les villes et les villages tombés aux mains des militaires ; ils organisèrent le ravitaillement, la reprise de la production dans les usines, improvisant de la sorte une administration de guerre, se substituant aux institutions officielles.
Dès lors, celles-ci étaient menacées de disparition. Privé de ses rares instruments de pouvoir direct (la police et l'armée), l'État se trouva réduit à peu de chose en dehors du journal officiel et des ministères et la dispersion politique devint la règle. Ce qui allait le faire renaître de ses cendres, ce fut la guerre, qui n'advint véritablement qu'à partir de l'intervention étrangère, les 25 et 27 juillet.