Chloé Bourgeois a écrit :
de l'Ukraine n'aura jamais été reconnue officiellement par qui que ce soit d'extérieur
Non, ou alors pour des motifs mesquins et intenables afin de s'attacher l'alliance d'Ukrainiens au regard du contexte pluriel de l'époque : fin de la Première Guerre mondiale (traité de Brest-Litovsk) et début de la guerre civile russe.
L'Ukraine n'est plus un Etat/puissance (encore que l'agrégat de terres et de seigneuries entre le IXème et le XIIème siècle ne peut être qualifié véritablement d'Etat) depuis le XIIIème siècle.
Au regard des partages et rattachements successifs de territoires qui font partie de l'Ukraine actuellement à d'autres puissances, il était délicat de penser qu'en 1917 une réelle indépendance allait être soutenue par les puissances voisines, qui n'y avaient aucun intérêt. D'autant plus que les populations "ukrainiennes" ne l'avaient jamais vraiment manifesté. Nous ne nous trouvons pas là en Pologne, dont le peuple n'avait jamais accepté sa disparition en tant qu'Etat à la fin du XVIIIème siècle en étant partagé entre l'Autriche, la Prusse et la Russie et s'était révolté à de nombreuses reprises. Il n'y a rien de tel pour les Ukrainiens.
Ces espaces ukrainiens sont avant tout considérés par les puissances souhaitant les dominer comme des greniers à blé et des lieux de formation de cavaliers expérimentés.
Chloé Bourgeois a écrit :
à quel moment entrent-ils en guerre pour récupérer/garder l'Ukraine ?
Lorsque les bolcheviks ont achevé d'organiser l'Armée rouge (1918-1919) et ont vaincu la plupart des armées blanches (1919-1920), le traité de Brest-Litovsk est à ce moment caduque. Comme les bolcheviks ne reconnaissent pas celui de Versailles (et les autres qui ont suivi), ils chercheront à récupérer tout ce qui avait été alors perdu (dont une large partie des provinces ukrainiennes), le tout sous couvert de la "révolution bolchevique/communiste mondiale". C'est d'ailleurs ce qu'ils font également en attaquant la Pologne en 1920.
Les bolcheviks sont avant tout des Russes et reprennent à leur compte l'héritage de l'empire russe.
Chloé Bourgeois a écrit :
Seriez-vous d'accord cependant pour dire que la Russie refusait l'idée même d'une nation ukrainienne ?
Depuis qu'Ivan IV - ce n'est pas pour rien que ce personnage a été célébré, indépendamment des régimes politiques, en Russie de manière permanente - en 1547 a pris le titre de "Tsar de toutes les Russies", il ne pouvait y avoir d'autre puissance pour fédérer ces slaves orientaux, "russes" - russes, russes blancs (Biélorussie actuelle) et petits-russes (peu ou prou l'Ukraine d'aujourd'hui) - dans l'esprit de cette "Russie" conquérante des premiers Tsars.
Donc oui, la Russie (qui russifie aussi au XIXème les peuples allogènes en construisant également son "roman national") ne peut que refuser l'idée d'une nation ukrainienne (tout comme d'une nation biélorusse au passage), qui n'a aucun sens historique et culturel pour elle.
C'est aussi à cette période que se codifie le mythe d'une Moscou étant la 3ème Rome, orthodoxe bien entendu, que Kiev ne saurait être (mais qui est respectée par les Russes, parce que berceau de la Russie moderne)...
Cela dit, en observant la formation et la construction des Etats-nations en Europe du début de l'époque moderne à aujourd'hui, on peut tout de même douter d'une volonté réelle de l'élite "ukrainienne" à vouloir s'émanciper, voire à former un Etat indépendant, de la Russie. En effet, cette dernière avait été admise comme une protectrice vers laquelle cette élite (surtout dans sa partie orientale) s'est le plus souvent tournée (surtout au début du XVIIème siècle pour échapper, entre autres, à l'emprise de Polonais catholiques perçus comme "différents"). En 1917-1918, la Russie traverse un séisme sans précédents et menace même de disparaitre. Pourquoi donc ne pas s'affranchir de cette puissance qui n'en est finalement plus une ? Une élite autonomiste, voire indépendantiste, sort du bois à ce moment.
Personnellement, je pense que le divorce n'arrive pas pendant la guerre civile russe, mais bien à l'époque où Staline n'hésite pas à faire mourir de faim une grande partie de la population ukrainienne pour "dékoulakiser".
Là, on peut évoquer un "joug" certain et clairement identifiable, frappant tout le monde, mais pas auparavant. Le régime tsariste pouvait avoir ses excès et ses atrocités (surtout contre les juifs), mais ici un pas vers l'horreur avait été clairement réalisé. C'est ce qui explique, sans aucun doute, que l'armée allemande ait été accueillie en libératrice par de nombreux Ukrainiens en 1941.
Ceci dit, c'est un autre sujet.