Narduccio a écrit :
J'ai lu les conséquences de cette séparation. Des habitants de ces régions qui furent intégrées au Reich se battent pour qu'on leur reconnaisse le statut d'incorporés de force. Ils disent qu'eux étaient contre l'Allemagne nazie et ne désiraient pas combattre pour cette Allemagne. Ils reconnaissent qu'une partie de la population de ces régions étaient en faveur des nazis, mais ils disent qu'ils ne pardonneront jamais à ceux-ci d'avoir détruit la vie qui existait alors et dont ils se sentaient partie prenante. On pourrait dire que ces allemands de Silésie ou des Sudètes, se sentaient plus habitants de la Silésie ou des Sudètes de culture germanique, qu'allemands habitants en Silésie ou dans les Sudètes (j'ignore si je me fais bien comprendre).
Oui, je comprends ce que vous dites, Narduccio.
En ce qui me concerne je ne connais vraiment bien que le cas des Allemands de Haute-Silésie polonaise, même si j'ai dû étudier aussi la situation des minorités allemandes d'autres régions de Pologne (Poméranie...) Et effectivement, la situation était étonnante, à tous points de vue d'ailleurs.
Un exemple, qui peut paraître surprenant: la République de Weimar, pourtant décriée, a beaucoup plus soutenu ces minorités que l'Allemagne nazie. A la SDN, Weimar a été un soutien constant des minorités allemandes en dehors des frontières, convoquant des séances spéciales, présentant doléances sur doléances. Les années 20 sont remplies de débats homériques entre les représentants allemand et polonais. Weimar finançait également une kyrielle d'associations culturelles chargées de maintenir la langue, l'éducation et la culture allemandes, soutien qui créait des bisbilles avec les autorités polonaises qui tentaient de poloniser ces régions.
Avec l'arrivée d'Hitler au pouvoir, tout change. Ce n'est plus l'Allemagne qui soutient ses minorités à l'étranger, ce sont ces minorités qui doivent se subordonner à l'Allemagne et au nouvel ordre. Dans ses manigances et volte-faces diplomatiques, le pouvoir nazi laisse la minorité allemande de Haute-Silésie quasiment à l'abandon ! Ce dont profite les autorités polonaises pour accélérer le mouvement de polonisation...
Quand j'ai découvert ça, j'étais vraiment étonné. Je m'imaginais l'inverse, à savoir une Allemagne nazie soutenant fortement ses minorités au contraire de la gabegie de Weimar. Dans ce travail, je suis allé de surprises en surprises...
En plus, la situation de la Haute-Silésie polonaise était très particulière, passionnante. Lors de la recréation de la Pologne, la Silésie est restée aux mains de l'Allemagne tandis que la Haute-Silésie était partagée entre Allemagne et Pologne. Dans la partie polonaise (autour de Katowice, région très industrielle) vivait une forte minorité allemande. Durant tout l'entre-deux-guerres, une lutte acharnée - culturelle mais aussi parfois armée - a eu lieu entre les autorités polonaises (représentées par l'énergique voïvode Grazinski) et la minorité allemande (bénéficiant d'un maillage associatif très serré et du soutien indéfectible de Weimar). Les uns voulaient poloniser la région, les autres la germaniser... Les écoles allemandes tentaient d'attirer les enfants des familles polonaises par des avantages tandis que le voïvode tentait parfois de fermer des journaux allemands quand ceux-ci dépassaient la ligne jaune. Bref, il y a des centaines d'exemples comme ça. Le tout était compliqué par la Convention de Haute-Silésie, texte à valeur de droit international de la SDN (je crois, mais je peux me tromper, que c'est le premier de droit international de ce type). Donc les plaintes de la minorité allemande se retrouvaient à la SDN où elles étaient défendues avec ardeur par le représentant de Weimar. Et pendant une dizaine d'années, on a eu ces chamailleries continuelles, où chacun avançait ses pions, où chacun prenait à témoin la communauté internationale. Jusqu'à l'arrivée d'Hitler au pouvoir...
Car alors, tout change ! La minorité allemande de Haute-Silésie polonaise, jusque-là relativement unie, éclate littéralement et se divise en deux camps irréconciliables. Là, je dois faire une petite parenthèse: dans les autres régions polonaises avec une présence germanique, la minorité allemande était protestante. Or, la Silésie comptait une importante communauté catholique allemande, dont le leader était le docteur Eduard Pant. Dans les autres régions (Poméranie...), les minorités allemandes protestantes se sont ralliées comme un seul homme au nouvel ordre nazi. Par contre, en Haute-Silésie, les catholiques allemands sont devenus très vite des opposants acharnés au nazisme, rejoints par les socialistes, tandis que la composante protestante se rangeait derrière la croix gammée. Il y eut des tentatives pour rabibocher les deux camps - d'autant que les autorités polonaises profitaient de cet éclatement de la minorité pour amplifier leur politique de polonisation - mais le fossé était trop grand et le restera jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale. Six ans de polémiques, de combats intellectuels ou de rue entre ces deux composantes de la minorité allemande. A ce titre, les discours du docteur Pant, d'une très haute tenue, m'ont laissé une forte impression... On peut en voir les compte-rendus dans les archives du MAE. Si un jour vous avez l'occasion, n'hésitez pas, c'est passionnant.
Donc, dans le cas que je connais, celui de la Haute-Silésie, l'arrivée au pouvoir du nazisme a effectivement créé une immense fracture dans la communauté allemande. Mais je sais aussi que dans les autres régions polonaises, les minorités allemandes ont accepté favorablement le phénomène nazi de manière beaucoup plus uniforme.