Pierma a écrit :
Au moment de la remilitarisation de la Rhénanie, en 36, alors que le président du conseil braille martialement "qu'il ne laissera pas Strasbourg sous le feu des canons allemands"... et ne fait rien, l'état-major (en la personne de Gamelin) fait savoir qu'il ne peut rien faire sans mobilisation.
Cette affirmation est-elle justifiée, au vu du rapport de forces du moment entre les deux armées d'active ?
Elle l'est, au moins partiellement. En 1936, le plan de mobilisation français est le plan "D bis", entré en vigueur le 15 avril 1935 et modifié par la suite à huit reprises (les changements les plus importants interviennent le 15 octobre et le 18 décembre 1935), dont voici les éléments les plus importants :
- effectifs prévus une fois la mobilisation achevée : le GQG, deux états-majors de groupe d'armées, huit états-majors d'armée, un de détachement d'armée, 23 de corps d'armée et un de corps de cavalerie avec leurs éléments organiques, 77 divisions d'infanterie, quatre de cavalerie, une légère mécanique, deux brigades de spahis et les troupes de forteresse. Ces effectifs sont majoritairement concentrés sur le théâtre d'opérations du nord-est : outre les deux états-majors de groupe d'armées et sept états-majors d'armée plus celui du détachement d'armée, 19 corps d'armée plus celui de cavalerie comprenant 51 divisions d'infanterie et la totalité de la cavalerie. Le théâtre d'opérations du sud-est ne reçoit, au sein de son unique armée, "que" trois corps et dix divisions d'infanterie. L'Afrique du nord pourrait rapidement renforcer cet ensemble par quatre brigades d'infanterie.
- délais : mobilisation et concentration effectuées en 22 jours, avec mise en place d'une couverture par les troupes de forteresse, dix divisions d'infanterie et les grandes unités de cavalerie entre le premier et le septième jour. Une réserve de couverture est par ailleurs constituée avec un corps d'armée de cinq divisions d'infanterie.
Je rentre dans quelques considérations techniques :
A partir du septième jour, les formations mobilisées sont placées progressivement aux frontières. Du septième au douzième jour, le théâtre d'opérations du nord-est, qui seul nous intéresse, reçoit ainsi un état-major de corps d'armée avec éléments organiques et onze divisions d'infanterie, ainsi qu'un lot dit variantable, c'est-à-dire une masse de manœuvre que l'on peut réorienter au besoin, de sept divisions d'infanterie en deux corps d'armée. Du douzième au seizième jour, un deuxième lot variantable de deux états-majors de corps d'armée avec éléments organiques et dix divisions d'infanterie rejoint également. Enfin, du dix-septième au vingt-deuxième jour, le théâtre d'opérations du nord-est est renforcé par un dernier lot variantable de quatre états-majors de corps d'armée avec éléments organiques et quatre divisions d'infanterie.
Plusieurs hypothèses – c'est-à-dire les caractères d'un conflit qui sert de base aux études du plan – sont retenues par l'état-major afin de procéder à la mobilisation et à la concentration des forces :
- Hypothèse A (pour Allemagne seule) ;
- Hypothèse I (pour Italie seule – après modification du 18 décembre 1935) : défense des Alpes dans le cadre d'une mobilisation partielle sud-est ;
- Hypothèse H (pour Helvétique : manœuvre offensive allemande et/ou italienne par la Suisse) ;
- Hypothèse N (pour Nederland : manœuvre offensive allemande par la Belgique, étendue aux Pays-Bas) : renforcement sur plusieurs lignes défensives favorables, par la Ire Armée, des forces armées belges, à partir du cinquième jour de mobilisation, avec déploiement sur trois lignes d'eau : ligne des canaux de la frontière (150 kilomètres de long), ligne du canal Albert (95 kilomètres) et ligne d'eau Demer-Nèthe (90 kilomètres) ;
- Hypothèse R (pour Rhénanie) : couverture de l'Allemagne à l'ouest pendant qu'elle attaque les alliés de la France en Europe centrale.
- Hypothèse D : ouverture d'un deuxième front par la France en Europe centrale.
Quelle que soit l'hypothèse ou la combinaison d'hypothèses retenue, "la mission de l'armée française reste toujours de constituer, avant tout, un front sur lequel on puisse arrêter les premières tentatives éventuelles de surprise ou d'attaque brusquée de la masse des forces que nos adversaires seraient en état de mettre en œuvre".
Dans ce but, la logique du plan est :
- d'une part, d'assurer par une défensive menée sans esprit de recul l'intégralité absolue du front fortifié qui s'étend à peu près sans discontinuité de Longuyon jusqu'à Bâle, et plus loin dans les Alpes ;
- d'autre part, de parer à la manœuvre que l'ennemi pourrait être tenté d'effectuer aux ailes de ce front fortifié par la constitution éventuelle d'un front en territoire neutre (Belgique ou Suisse) établi, au plus tôt aussi loin que pourront le permettre les circonstances et notamment la date à laquelle les armées françaises seront autorisées à pénétrer sur les territoires neutres considérés.
Comme on le voit,
ces missions sont exclusivement défensives, bien que les bases du plan ne rejettent pas totalement l'offensive. Notamment, entre Rhin et Moselle, une action offensive pourrait être conçue soit en riposte à une attaque ennemie, soit pour soulager nos alliés d'Europe centrale contre lesquels l'Allemagne aurait porté le gros de ses forces. Elle viserait le Rhin de part et d'autre de Mayence ; une offensive au nord-ouest de la Moselle, avec effort entrepris en direction de Cologne, serait normalement une réponse à une violation du territoire belge par l'Allemagne.
En bref, aucun plan de mobilisation français, au printemps 1936, ne prend en compte le cas d'une réaction limitée à une infraction allemande supplémentaire aux conditions du Traité de Versailles, ni à la mise en péril indirecte de la sécurité extérieure du pays.
Nous ne disposions que d'un canon de 420 pour écraser une mouche éventuelle. Et nous n'aurions su qu'en faire tant nos conceptions et notre doctrine nous cantonnaient à une défensive stricte.
Les décideurs politiques et militaires ont refusé de prononcer l'ordre de mobilisation générale, mais il n'en existait alors aucun autre possible. Donc on recule plutôt que de mettre l'armée sur le pied de guerre.
Il existait bien des solutions : n'engager que l'armée d'active et les forces mobiles, mais cela posait d'autres problèmes (les unités d'active ne sont complètes qu'après la mobilisation, et de toute manière les éléments organiques de corps d'armée et d'armée nécessaires à leurs appui et soutien sont majoritairement issus de la mobilisation, et sans eux hors de question de s'engager dans une épreuve de force).
Bref, nous n'avons absolument pas prévu le processus de montée en puissance graduelle de l'armée dans le cas de figure d'un conflit limité avec l'Allemagne.
Le plan "E", qui entre en vigueur le 19 janvier 1938, prend justement en compte ces déficiences, mais sa complexité ne le rendra guère plus opérant au final. Et de toute manière, nous avions fait le choix d'une attitude défensive stratégique stricte.
CNE503
PS : dans ce cadre, les théories de de Gaulle sur un corps professionnel sont particulièrement intéressantes. Lui nous aurait permis d'avoir une capacité de réaction rapide et limitée.