Tietie006 a écrit :
Les Bolcheviks ont laissé faire les élections car l'élection de la Constituante était le préalable de tous les partis révolutionnaires ou anti-tsaristes, une sorte de Saint Graal du changement de régime. La victoire des Socialistes révolutionnaires était logique, puisque la Russie étant un "océan paysan" et les SR étant bien implantés dans les campagnes, le résultat ne faisait aucun doute, même pour les bolcheviks.
C'était effectivement la condition sine qua non pour obtenir une légitimité gouvernementale par les urnes, mais c'était un sentiment surtout en février, en novembre beaucoup moins. Il y a un monde d’événement entre les deux dates.
En avril une fuite révèle l'intention du gouvernement provisoire de continuer la grande guerre (alors que l'aspiration des soviets est plutôt à la paix immédiate), s'organise alors des manifestations qui dégénèrent en émeutes (à Petrograd et quelques autres centres urbain), entamant le prestige du gouvernement sur son aile « droite » (L'auteur du document de la fuite étant le KD Pavel Millioukov, qui sera renvoyé) et provoquant l'entrée au gouvernement de SR souhaitant faire pression au sein du gouvernement pour la paix.
En Juillet, après l'échec de l'offensive russe en Galicie (après des mois de relatif immobilisme du front), il y a trois choses :
_L'armée russe s'effondre, les « soldats-paysans » désertent en masse (sur 10 millions, de juillet à octobre, 2 millions rentrent chez eux).
_Avec l'afflux des déserteurs et l'incapacité des SR du gouvernement à négocier la paix depuis avril, des « jacqueries » éclatent (terme un peu anachronique, mais correspondant assez bien aux aspirations paysannes du moment), brûlent des domaines seigneuriaux, font des pogroms et surtout commence le partage la terre selon le nombre de bouches à nourrir (le « partage noir »). Ce qui encourage d'autant les désertions, les soldats-paysans ne voulant pas être lésé sur ce partage en étant loin de chez eux.
_Dans les villes, (surtout Petrograd là encore) des émeutes éclatent contre l'envoi de nouvelles troupes au front décidé par le gouvernement ce qui aurait, en aidant le front, éloigné la menace de coup de force des soviets contre le gouvernement provisoire.
Ce dernier estimera que les bolcheviques sont à l'origine des mouvements de violence de la campagne et de la ville. Ce qui en campagne est faux, mais la « trahison » des SR du gouvernement sur la paix et la réforme agraire a décrédibilisé le mouvement en faveur d'un « bolchevisme de tranchée » ramené par les déserteurs qui reprennent les Thèses d'Avril à leurs comptes. En ville, on ne peut dire que c'est faux, mais il semble vraisemblable que les dirigeant du parti se soient surtout fait déborder par leur base militante. Quoi qu'il en soit, le couperet tombe, le parti bolcheviks est interdit, Trotski, Kamenev et d'autres sont internés, Lénine et Zinoviev s'enfuient dans la nouvellement indépendante Finlande. Il y a une forme de réaction qui s'installe (notamment dans l'armée nouvellement commandé par Kornilov).
En Août, le coup d'état manqué de Kornilov, marque le retour en grâce du parti bolchevique, qui apparaît comme le seul rempart crédible contre la réaction (ou contre-révolution), la où leurs homologues révolutionnaires (notamment SR) se sont déjà trop compromis par leur participation au pouvoir.
Les élections dans les soviets (la encore, surtout en ville) de juillet à septembre montrent assez bien ce basculement (voir ce noyautage) politique en faveur d'un parti très minoritaire initialement, mais auréolé d'une gloire de « vrai » révolutionnaire. C'est pour cela que les bolcheviques pouvaient penser l'emporter lors de l'élection de la Constituante, en continuant sur cette lancée.
Tietie006 a écrit :
Après la dissolution de la Constituante, dont le président était le SR, Viktor Tchernov
On peut aussi noter que le chef du Comité Militaire Révolutionnaire de Petrograd, qui proclamât la dissolution du gouvernement provisoire en Octobre était le SR Pavel Lazimir (certes, dûment encadré par quatre lieutenants bolcheviques, dont Dzerjinski).
Tietie006 a écrit :
le 5 janvier 1918, il y a eu très peu de contestations, la chose se passant presque dans l'indifférence générale. Les bolcheviks ne s'appuyaient plus sur les soviets, mais sur le parti. Dès la prise de pouvoir des bolcheviks, un oukaze léniniste imposa la supériorité du Sovnarkom (=Conseil des commissaires du peuple) sur les soviets, c'est à dire que ces derniers étaient des assemblées sans pouvoir.
En Octobre, lors de la première session du deuxième Congrès Pan-russe des soviets est annoncé la dissolution du gouvernement provisoire (le jour même du coup d'état), provoquant le départ de certain SR (et d'autres comme des Mencheviks) en protestation, ce qui combiné avec les dernières élections des soviets marquant l'essor bolchevik, donne à ces derniers une large majorité pour, lors de la deuxième session, approuver la prise de pouvoir et voter la création du Sovnarkom (avec uniquement des bolcheviks en son sein et surtout cette prérogative de « Soviet Suprême »)).
Ce qui fait que les soviets se sont eux même vidé de leur substance, donnant un aspect plutôt « légal » à cette perte de pouvoir.
Les oppositions furent néanmoins nombreuses et très violente, la guerre civile (qui était déjà rampante) éclate aux yeux de tous à ce moment ; l'armée russe se décompose (du moins achève son agonie) entre Blancs et Rouges (et Verts, les paysans, qui monteront quelques armées, mais au fond, pense surtout à eux et leur village sans réel autre horizon politique), les SR et bien d'autres parti prennent les armes, Moscou (entre autres) doit être reprise de force par les bolcheviks. Par dessus, les Allemands (et Autrichiens) menacent d'avancer.
Et cela entre octobre et décembre. C'est pour cela, je suppose, du peu d'échos de la dissolution de janvier, la Constituante étant l'enfant posthume de la révolution de Février, elle est déjà anachronique, alors qu'a ce moment les différentes factions en Russie pensent pour beaucoup que seul la destruction (physique notamment) de l'opposition leur donnera le pouvoir. Lutte à mort qui durera officiellement jusqu'en 1923.
Tietie006 a écrit :
A noter que les thèses d'Avril, proclamées par Lénine lors de son retour en Russie, après 17 ans d'exil, sont purement opportunistes et tranchent avec la pensée léniniste :
En effet ces thèses sont presque anarchisantes, avec la dissolution de la police et de l'armée, thème qu'on retrouva dans son livre L'Etat 'et la Révolution qui fut fini en octobre 17 et qui sont en total décalage avec les écrits d'Illitch depuis 17 ans ...preuve que Lénine était un politicien rusé qui promettait une démocratie totale alors qu'après avoir pris le pouvoir, il a fait exactement le contraire.
Tout à fait, tel un Richelieu massacrant les protestants en France tout en rejoignant la Ligue Protestante dans la guerre de Trente Ans, on a là un cas d'école de pragmatisme.