Barbetorte a écrit :
Le président du conseil, Albert Sarrault [...] s'est fait exposer quels étaient les moyens disponibles de part et d'autre :
La France et l'Allemagne sont à égalité en nombre de divisions, 30 chacune, mais les divisions françaises comptent 1 000 hommes de plus que les divisions allemandes. Toutefois en cas de mobilisation générale, la France aurait 80 divisions contre 120 pour l'Allemagne. L'armement allemand est estimé inférieur à l'armement français. Mais le potentiel de guerre allemand est supérieur : son industrie est entièrement mobilisée ce qui lui donne une avance considérable
On ne peut que déplorer une telle surestimation du potentiel allemand en mars 1936...
A cette date, la toute jeune Wehrmacht aligne :
- trois divisions blindées (1., 2. et 3. Panzer-Divisionen) ;
- deux divisions de cavalerie (1. et 2. Kavallerie-Divisionen) ;
- 24 divisions d'infanterie (1.-24. Infanterie-Divisionen) ;
- une brigade d'infanterie de montagne (Gebirgs-Brigade).
Soit 29 divisions et une brigade d'active. Mais :
- on notera que les trois divisions de chars, mises sur pied le 15 octobre 1935, ne disposent encore que de PzKpfw I des modèles A et B (818 PzKpfw I Ausf. A sont produits entre avril 1934 et juin 1935, quelques dizaines de PzKpfw I Ausf. B ayant été produits à partir d'août 1935) dont environ un millier est disponible, et des premiers exemplaires du PzKpfw II Ausf. a/1, a/2, a/3 et b (début de production : octobre 1935, mais seuls cent exemplaires seront produits jusqu'en... mars 1937 !). Autant dire qu'elles n'ont aucune force de frappe, ne disposent pas de leurs compléments d'effectifs et de matériels et sont bien incapables d'opérer comme elles le feront trois ans plus tard ;
- les deux divisions de cavalerie, ponctionnées pour la mise sur pied des divisions blindées, sont sur le point d'être dissoutes (elles le seront en avril 1936) ;
- les 24 divisions d'infanterie ont été profondément remaniées lors de l'"Erweiterung" d'octobre 1934, et les deux dernières mises sur pied (23. et 24. Infanterie-Divisionen) ne l'ont été qu'en octobre 1935. De plus, le parc de matériel est largement incomplet, notamment en artillerie, en antichar et en véhicules ;
- la Gebirgs-Brigade n'a pas un an d'existence, puisqu'elle a été mise sur pied en juin 1935.
En ce qui concerne les réserves disponibles, le service militaire ayant été rétabli en mai 1935, officiellement elles sont... inexistantes ! Seule la classe d'âge 1914 (théoriquement 682 000 jeunes Allemands) a été appelée sous les drapeaux, le 1er octobre 1935. Elle n'a donc en mars 1936 pas achevé son service bien qu'elle soit incorporée aux divisions susmentionnées. La classe 1915 ne sera appelée que le 1er octobre 1936.
Il n'y a donc que les vétérans de la Grande Guerre qui soient dotés d'une expérience militaire, qu'ils n'ont pu entretenir depuis 1919 au moins, soit 17 ans.
Les forces de police militarisées de la Landespolizei ont été incorporées au Heer le 1er octobre 1935 (permettant, avec les conscrits de la classe 1914, la mise sur pied des divisions susmentionnées), à l'exception des trois groupements de Rhénanie (Landespolizei-Inspektionen "Süd" de Pforzheim, "Südwest" de Francfort et "West" de Düsseldorf) qui comprennent au total environ 30 000 hommes (et qui vont être décisives dans l'opération "Winterübung"). En avril 1936, ces trois "inspections" serviront à la mise sur pied de quatre nouvelles divisions d'infanterie (25., 26., 33. et 34. Infanterie-Divisionen).
Reste la SA. Mais celle-ci est bien incapable de mettre sur pied des grandes unités efficaces et bien équipées. L'armée de Terre peine déjà à disposer de matériels en quantité et en qualité suffisantes. Et on verra en 1939-1940 à quel point la mise sur pied de grandes unités SS sera pénible et difficile faute de cadres qualifiés.
Du coup, le potentiel terrestre allemand est réellement très faible par rapport au français. Le chiffre de 120 divisions est absolument fantaisiste : le 1er septembre 1939, l'armée de Terre allemande pleinement mobilisée et disposant de quatre classes de réservistes complètes (classes 1914 à 1917) plus les classes 1918 et 1919 appelées le 26 août 1939, ayant bénéficié d'une production industrielle toute entière tournée vers le réarmement dans le cadre de plan quadriennal de 1936 et des stocks de matériels autrichiens et surtout tchécoslovaques, ne mettra sur pied que 105 divisions !
Dans le domaine aérien et maritime, c'est à l'avenant : les premiers chasseurs monomoteurs Bf 109 entrent en service en... 1937 ; le Ju 87 "Stuka" n'en est également qu'à la phase d'essai. La Luftwaffe ne comprend donc que des vieux coucous démodés, en quantité dérisoire. Les trois "cuirassés de poche" de la classe "Deutschland" (Deutschland, Admiral Scheer et Admiral Graf Spee) sont bien en service, mais il n'y a virtuellement rien à leurs côtés (les deux vieux cuirassés pré-Dreadnought "Schlesien" et "Schleswig-Holstein" totalement obsolètes, trois croiseurs légers, quatorze petits sous-marins côtiers Typ IIA et IIB, U-1 à U-14, et aucun contre-torpilleur puisque les quatre Typ 1934 n'entreront en service qu'au premier semestre 1937).
Bref, "Winterübung" est clairement un coup de poker. Hitler juge parfaitement la réticence française à entrer en guerre. Mais la France l'eût-elle décidé, la Wehrmacht aurait été croquée tant le différentiel de potentiels est significatif.
CEN EMB