Jean-Marc Labat a écrit :
L'idée de la ligne Maginot pouvait se comprendre. Nous n'avions plus d'alliés, nous nous retrouvions dans la situation d'avant 1892, avant l'alliance franco-russe, les Américains se sont réfugiés dans l'isolationnisme et les Anglais, fidèles à leur stratégie traditionnelle, ménagent l'Allemagne puisque la France est la puissance dominante du continent. Les alliances avec les pays nouvellement indépendants sont décevantes, aucune de leurs armées n'a la puissance de l'armée russe de 1914.
Nous avons une population vieillissante, de beaucoup inférieure à l'Allemagne, une industrie qui est loin de valoir celle de l'adversaire et une dette colossale qui reste à rembourser. Après la saignée que vient de connaître la nation, la solution de positions fortifiées ne paraissait pas aussi stupide qu'elle peut nous l'être aujourd'hui. D'ailleurs, ce n'est pas sur celle-ci que nous serons battus, mais d'avoir trop avancé en Belgique avec un allié anglais qui nous a apporté tout ce qu'il pouvait, mais qui était fort peu. Si l'armée britannique avait compté les 56 divisions qu'elle avait en mars 1918, les Allemands n'auraient pas percé, Panzerdivisionen ou pas.
Je suis parfaitement d'accord. Dans la situation où se trouve la France au moment où Hitler prend le pouvoir - dont tu as rappelé tous les paramètres, et qui sont déjà présents en 33, voire même anticipés dès 1920 par Jacques Bainville - il est évident que la stratégie française, au moins sur les deux premières années de guerre, ne peut être que défensive.
Et donc l'idée de fortifier sa frontière nord est une évidence pour la France. L'erreur est de ne l'avoir fait qu'à moitié.
Citer :
Si l'armée britannique avait compté les 56 divisions qu'elle avait en mars 1918, les Allemands n'auraient pas percé, Panzerdivisionen ou pas.
Rappelons que les Anglais n'ont rétabli la conscription qu'au début 1939, et que s'ils ont tant sauté de joie en réussissant l'évacuation de Dunkerque, c'est que toutes leurs troupes et tous leurs officiers instruits se trouvaient là, noyau de leur future armée, dont la perte aurait été irréparable.
Mais même dans les conditions existantes, si la ligne Maginot avait été prolongée jusqu'à la mer, les Allemands auraient passé des moments très difficiles pour réussir à percer.
Le problème de la ligne Maginot a surtout été son impact intellectuel, ou psychologique, comme on voudra. Pour des Français pas très chauds pour remettre ça, et pour un commandement sclérosé qui n'imaginait pas livrer autre chose que la guerre précédente, l'effet a été catastrophique.
Il faut lire "Une invasion est-elle encore possible ?", du regretté et regrettable général Chauvineau, préface du maréchal Pétain, pour se faire une idée de l'amplitude de cet effet.
Je n'ai trouvé que la préface, pour laquelle une simple citation suffira :
Le maréchal Pétain a écrit :
La défensive est devenue si puissante qu'il faut à l'assaillant une énorme supériorité pour se lancer à l'attaque. Chiffrant cette prépondérance, le général Chauvineau estime que l'attaque doit avoir trois fois plus d'effectifs d'infanterie, six fois plus d'artillerie, douze fois plus de munitions pour espérer dominer la défense. L'assaillant doit posséder en outre une supériorité impossible à chiffrer en ce qui concerne la qualité des hommes : la troupe d'assaut requiert un entraînement physique complet et un moral très élevé, alors que la troupe de la défense a une tâche plus facile, « parce que son devoir est inscrit sur le terrain ».
http://lignechauvineau.free.fr/Preface.htmJean Lacouture n'a donc pas tous les torts d'ironiser sur "une stratégie de travaux publics" : si ce n'est même pas réellement ce qui a été réalisé - de la Suisse à la Manche - sur le terrain, c'est en tous cas ce qui a été construit dans les têtes.
Ajoutons à cela que cette stratégie s'est muée, pour des raisons politico-militaires très entremêlées, en stratégie volontaire de c..l entre deux chaises, puisque Gamelin avait sa petite idée, dictée par une géographie évidente et la volonté des politiques de ne pas abandonner l'allié belge, sur la bataille de rencontre qui ne manquerait pas de se produire en Belgique.
Que dans ces conditions Hitler ait sauté sur le premier plan venu permettant d'éviter cette stratégie frontale prémâchée est dans la nature des choses, et même, pour une part, dans sa nature personnelle. De plus, les militaires allemands ayant de leur côté beaucoup réfléchi à la défaite précédente, ce plan était excellent. (A noter tout de même que c'est le premier et dernier pari militaire de grande ampleur que Hitler ait réussi : ce succès le tuera.)