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Message Publié : 28 Oct 2021 20:45 
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Celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas... :!:

Cette fraternité a bien sûr existé, et fut même fréquente, je l'ai dit.

Mais dans un tout autre registre, et même totalement à l'inverse, sur le chapitre des relations à la fois concurrentielles et fraternelles entre la résistance communiste et la résistance non communiste (qui elle-même n'était pas unie) il y aurait beaucoup à dire.

Parlons donc des choses qui fâchent ! :mrgreen:

Gilles Perrault dit une chose importante :
(Et en a parlé avec de nombreux résistants de toutes tendances.)

Malgré la fraternité, aucune organisation, aucun parti n'avait renoncé à être ce qu'il était, même dans la fraternité de combat et de souffrances (je simplifie un propos plus complexe) et puis soudain, quand on a découvert les camps de concentration et d'extermination, le combat mené jusque-là a tout à coup pris un autre sens. On pensait s'être battu pour la liberté, certes, mais aussi pour la révolution ou la république, et soudain on a dû faire face à l'impensable, le rideau du ciel se déchirait, et on découvrait qu'on avait lutté contre le Mal absolu, contre une chose inimaginable.

Dès lors, alors même qu'on n'avait pas cessé de faire de la politique pendant la Résistance (au moins à partir d'un certain niveau de responsabilité) évoquer ces enjeux de pouvoir devenait impossible, obscène. L'unanimité s'est faite pour ne pas évoquer ce sujet ou pour le minimiser. Quel genre d'individus auraient pu penser, pendant la lutte, au rapport de force qui suivrait la libération, alors qu'il y avait Auschwitz et Dachau ? On a tiré le rideau.

Gilles Perrault, à des résistants communistes (en gros) : "Mais enfin, ne me dites pas que vous aviez cessé d'être révolutionnaires et de penser à la prise du pouvoir ! Dites-moi que vous avez constaté que le rapport de force n'était pas en votre faveur et que vous y avez renoncé, mais ne me racontez pas ça !"
Rien à faire ! Sujet tabou ! La tête sur le billot ils n'auraient pas confessé ce qui faisait leur foi communiste.

Il a également rencontré l'inverse. Dans un rapport de l'OCM transmis à Londres (l'OCM jusqu'en 42 est de très loin le premier réseau de résistance, par les effectifs et la couverture géographique) cette affirmation péremptoire (de mémoire) :"Si les communistes doivent arriver au pouvoir dans le cadre d'un gouvernement d'union, nous nous battrons et le pouvoir c'est nous qui le prendrons !"

Quel aveu ! Alors que le PCF a toujours plus ou moins subi le soupçon de préparer justement cela, voila qu'on trouve le coup de force sous la plume irritée de nos bons cadres bourgeois de l'OCM... lol

L'OCM, enfant chéri de Londres... (En même temps, le colonel Touny, chef de l'OCM, qui dort au Mont Valérien disait :"A la Libération ? Je retourne planter mes choux." Les nazis devaient en décider autrement...)

Et là encore, Gilles Perrault, qui met ce message factieux, des années plus tard, sous les yeux des chefs survivants, se voit opposer des dénégations indignées ou des haussements d'épaules.

Personne n'a fait de politique pendant la guerre. Rideau total.

Sauf De Gaulle, qui le revendique, et qui s'est même cogné tous les combats politiques imaginables : contre Pétain, contre Giraud, face à Roosevelt (qui n'a pas été le plus facile), et disons-le, face à des partis et des réseaux qui nourrissaient (tous !) des ambitions concernant le pouvoir à la Libération.

Une particularité qui lui appartenait, son génie particulier : il était le seul - les communistes exceptés, peut-être - à calculer avec deux coups d'avance.

Bref, cette histoire politique de la Résistance mérite d'être évoquée.

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Message Publié : 29 Oct 2021 3:01 
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Grégoire de Tours
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Il y a surtout une chronologie embarrassante. Le PCF n'était pas franchement partisan de la résistance de la première heure. Entre le Pacte germano-soviétique et Barbarossa, il n'a pas vraiment brillé par ses convictions.


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Message Publié : 29 Oct 2021 8:50 
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GustavedeBeaumont a écrit :
Il y a surtout une chronologie embarrassante. Le PCF n'était pas franchement partisan de la résistance de la première heure. Entre le Pacte germano-soviétique et Barbarossa, il n'a pas vraiment brillé par ses convictions.

Il y a les consignes de Staline, adoptées forcément par (la plus grande partie de ?) la direction du parti, et la position des militants.

Pour les militants, si on comprenait que Staline écarte le risque de guerre pour la Russie, en revanche les consignes, en 1939, de sabotage dans les usines d'armement, de propagande contre "la guerre impérialiste", puis après l'armistice, de neutralité vis à vis des Allemands, ces consignes étaient inaudibles. L'écart avec la stratégie précédente de front antifasciste était trop grand : un demi-tour sur place ! A part quelques militants très disciplinés, voire exaltés, personne ne suivait.

(En principe la discipline des militants du PCF n'est pas un vain mot, mais là on touchait une limite.)

Un dirigeant du Parti a déclaré plus tard :"A cette époque là le Parti était quasiment coupé en deux."

J'ai toujours pensé que Daladier avait commis une erreur en déclarant le PCF hors la loi au début de la guerre. Poursuivre et enfermer les communistes n'était vraiment pas la priorité. (il faut penser que si le futur colonel Fabien a pu faire la carrière que l'on sait, c'est parce qu'il a réussi à s'évader en 1940 d'un fourgon cellulaire... en tuant un garde mobile, le genre d'épisode dont la France n'avait vraiment pas besoin.)

Le seul avantage que le PCF a tiré de ces poursuites est un passage des militants à une semi-clandestinité, qui s'est révélée bien utile au moment de Barbarossa, où tous sont rentrés comme un seul homme dans la Résistance. (Encore que les fichiers des Renseignements Généraux étaient bien faits... les brigades spéciales de Vichy sauront les utiliser.)

Cela dit, vous avez raison, Beaumont, cet épisode est déplaisant. Jusqu'en 41, la position officielle du PCF relève de la trahison pure et simple.

Dans ses mémoires, où il n'épargne pas toujours les communistes (c'est un euphémisme) De Gaulle donne quittance à Staline (déjà décédé au moment de leur publication, donc sans que la diplomatie interfère) du Pacte germano-soviétique : "Préférant partager sa proie [la Pologne] avec Hitler plutôt que devenir la sienne..."
Il avait assez vu de politiques et même de militaires se tromper d'ennemi et refuser totalement toute alliance militaire avec la Russie ! (Pendant la Drôle de Guerre, il commente :"Il faut dire que beaucoup persistaient à voir l'ennemi à Moscou plutôt qu'au delà du Rhin." La trahison virtuelle n'était pas que d'un seul côté.)

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Message Publié : 29 Oct 2021 10:20 
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Pierma a écrit :
Sauf De Gaulle, qui le revendique, et qui s'est même cogné tous les combats politiques imaginables : contre Pétain, contre Giraud, face à Roosevelt (qui n'a pas été le plus facile), et disons-le, face à des partis et des réseaux qui nourrissaient (tous !) des ambitions concernant le pouvoir à la Libération.

Dès le début de la Seconde Guerre mondiale, le Général trouve même des opposants "politiques" à Londres : l'amiral Muselier, qui devient un de ses premiers adversaires au terme de plusieurs maladresses et en tandem avec le capitaine de vaisseau Moullec, mais aussi des figures de la "Gauche londonienne", rassemblée au sein du journal France de Gustave Moutet et Charles Gombault.

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Message Publié : 29 Oct 2021 10:39 
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Pierre de L'Estoile
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Vers 1942/43, c'est Christian Pineau qui arrive à convaincre De Gaulle de ramener les anciens partis et syndicats de gauche dans le jeu politique
alors que le général n'y était instinctivement pas très favorable étant donné la Défaite
Il lui avait remis une lettre in extremis que DG a consenti de lire
(Pierma, je crois que c'est cité chez Lacouture, une fois de plus :). )

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il pleuvait, en cette Nuit de Noël 1914, où les Rois Mages apportaient des Minenwerfer


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Message Publié : 30 Oct 2021 21:57 
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bourbilly21 a écrit :
Vers 1942/43, c'est Christian Pineau qui arrive à convaincre De Gaulle de ramener les anciens partis et syndicats de gauche dans le jeu politique
alors que le général n'y était instinctivement pas très favorable étant donné la Défaite
Il lui avait remis une lettre in extremis que DG a consenti de lire
(Pierma, je crois que c'est cité chez Lacouture, une fois de plus :). )

Je n'ai pas souvenir spécialement de cette lettre de Christian Pineau chez Lacouture. (Mais je n'ai pas vérifié.)

Celui-ci décrit la manoeuvre (ou l'oeuvre) politique à laquelle s'attelle De Gaulle dès qu'il est, à Alger, en position d'égalité avec Giraud. Le but est de se positionner avec force à la fois en tant que chef politique de la résistance, en France, et de seul interlocuteur démocratique, soutenu par la Résistance, face à Roosevelt qui continue à sponsoriser Giraud et les séquelles du vichysme, et surtout ne veut pas d'une direction politique française reconnue. (En tous cas pas tant que les Français ne l'auront pas élue, très louable souci démocratique... ce qui la reporte aux calendes grecques, et l'autorise dans l'intervalle à désigner qui il veut - ce qu'il a fait jusque-là et que De Gaulle est en train de contrarier - voire d'imposer un gouvernement d'occupation militaire allié en France.)

Il y a donc à la fois la mission de Jean Moulin (unifier la résistance sous une autorité unique, celle du CNR) et l'idée de créer une assemblée consultative à Alger regroupant les grands noms, les partis démocratiques traditionnels, et des représentants des mouvements de résistance associés dans le CNR.

Lacouture dit qu'en langage des affaires cela s'appellerait "faire de la cavalerie" et adoucit le terme en disant : "C'est ce qui s'appelle hâter les choses."

Faire de la cavalerie (tout d'abord ce n'est pas, comme le voit écrit partout, une pyramide de Ponzi, donc une escroquerie) c'est simplement, après avoir créé une activité qui va rapporter, investir tout de suite dans une autre activité les bénéfices qu'on en attend dans l'année à venir, par exemple. C'est donc bien investir de l'argent qu'on n'a pas, mais dont on sait qu'il va arriver.

Dans le cas qui nous occupe, De Gaulle utilise sa position de leader politique désormais installé à Alger (donc avec autorité - malheureusement encore partagée - sur tous les territoires français non occupés) pour apparaître aux yeux de la Résistance comme le seul leader politique démocratique envisageable, et dans l'autre sens, va se prévaloir du soutien unanime de la Résistance pour faire valoir auprès des Alliés (et de la presse et de l'opinion publique anglo-saxonne) qu'il est le seul responsable disposant d'une réelle autorité sur les mouvements de résistance qui foisonnent en France. (Ainsi que des partis, dans un second temps.)

Le premier temps c'est donc un communiqué du CNR transmis à Londres et Alger (qui sera relayé aux agences de presse) disant en gros :"Nous, résistants de France, ne reconnaissons que la seule autorité du général De Gaulle, et dénions toute légitimité à tout espèce de pouvoir qui se réclamerait, ou serait issu de Vichy." Je crois que Giraud n'est pas explicitement nommé, mais c'est assez clair vu les circonstances.

Sa position ainsi confortée, De Gaulle engage la seconde phase, qui consiste à rameuter cette assemblée consultative envisagée, ce qui suppose de faire revivre les partis démocratiques traditionnels (et les syndicats, accessoirement) une pilule que les chefs des grands réseaux de la Résistance ont beaucoup de mal à avaler : c'est faire revivre des structures de la 3ème république qui n'ont pas spécialement mérité de la Patrie, et c'est un euphémisme.

Passons sur le Parti Communiste (démocratique ? La question sera tout de même relevée par certains) dont on sait quels sacrifices il consent à la Résistance, à la rigueur le Parti socialiste, dont une fraction suffisante a suivi le même mouvement (tandis que le reste votait les pleins pouvoirs à Pétain) mais les Radicaux ? Ou pire encore, l'Alliance Démocratique ?

Gilles Perrault, sur le mode ironique :"Et l'Alliance Démocratique ? est-ce qu'on tremble, dans les Kommandantur, à l'évocation de l'Alliance Démocratique ? Est-ce que les soirs de coups durs, le vague à l'âme, les résistants se disent "Courage, tout de même, nous avons l'Alliance Démocratique ?" :mrgreen:
(1)

De Gaulle adoucira le mot "partis" en "tendances traditionnelles républicaines de l'opinion française", mais ça va renâcler dur, et déjà entre Jean Moulin (qui applique strictement la mission que lui a confié De Gaulle et fera rentrer ces "tendances traditionnelles" dans le CNR) et Pierre Brossolette qui ne veut pas en entendre parler. Ce sera entre les deux hommes une dispute homérique et fracassante dans une réunion clandestine, rue de la Pompe à Paris, si bruyante que les résistants présents chargés de la sécurité craindront une intervention des flics, et d'autant plus, je crois, qu'il y a des officiers allemands logés dans l'immeuble !

Mais Moulin est mandaté par Alger et en tant que tel fera prévaloir son objectif. De Gaulle aura à Alger une assemblée, qui, tout de même, a bonne figure, et comportera à la fois la Résistance, des syndicalistes - résistants presque automatiques, par leur rôle - et suffisamment de personnalités politiques connues des Alliés. (c'était le but immédiat, cet affichage de l'héritage républicain, face à Vichy, avant que cette assemblée évolue plus tard en "assemblée provisoire"... du gouvernement provisoire.)

On voit donc bien le double mouvement dans deux directions (les Alliés et la Résistance) en se prévalant auprès de chacune de ce qu'il a obtenu (ou va obtenir) de l'autre.

Tout cela, et c'est ce qui le sauve - il a la morale pour lui, et en fait bon usage - en construisant les structures démocratiques de l'avenir.

Le plus étonnant est qu'un militaire ait pu avoir un tel talent politique. (Et un caractère parfaitement insupportable, mais qui d'autre, pour ce poste ?)

(1) Et je ne parle même pas de la Fédération Républicaine, parti de droite qui entrera également au CNR, alors que ses membres principaux sont à Vichy (Brossolette avait quelques raisons de s'énerver) malgré quelques personnalités impeccables qui sauvent l'honneur, tel le marquis Léonel de Moustier, compagnon de la Libération mort en déportation, dont Calade nous a retracé le parcours.

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Message Publié : 31 Oct 2021 11:06 
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bourbilly21 a écrit :
Vers 1942/43, c'est Christian Pineau qui arrive à convaincre De Gaulle de ramener les anciens partis et syndicats de gauche dans le jeu politique
alors que le général n'y était instinctivement pas très favorable étant donné la Défaite
Il lui avait remis une lettre in extremis que DG a consenti de lire
(Pierma, je crois que c'est cité chez Lacouture, une fois de plus :). )


Pierma a écrit :
Je n'ai pas souvenir spécialement de cette lettre de Christian Pineau chez Lacouture. (Mais je n'ai pas vérifié.)


En fait, Pineau part pour Londres en mars 1942 avec le mandat de parler au Général au nom du Comité d'action socialiste. Il y négocie la Déclaration du général de Gaulle aux mouvements de résistance, dont il assure la parution en juin 1942 après avoir bataillé pour faire modifier la rédaction.

Olivier Wieviorka raconte cet épisode dans son Histoire de la résistance (2017) :
Olivier Wieviorka a écrit :
De gaulle posa ses conditions : "Moi, je veux bien vous confier une lettre pour vos amis, mais ne me demandez pas d'approuver ce que j'ai condamné maintes fois, une République sans autorité, un régime des partis". La première version du Manifeste fut donc loin de correspondre aux attentes de Pineau. [...] De Gaulle refusa pourtant toute modification... jusqu'au départ de Pineau. A l'aérodrome, un motard lui apporta en effet une nouvelle mouture qui condamnait plus fortement Vichy, atténuait les critiques portées contre la Troisième République et promettait un nouvel ordre national et international.

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Message Publié : 31 Oct 2021 14:53 
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Olivier Wieviorka a écrit :
De Gaulle posa ses conditions : "Moi, je veux bien vous confier une lettre pour vos amis, mais ne me demandez pas d'approuver ce que j'ai condamné maintes fois, une République sans autorité, un régime des partis". La première version du Manifeste fut donc loin de correspondre aux attentes de Pineau. [...] De Gaulle refusa pourtant toute modification... jusqu'au départ de Pineau. A l'aérodrome, un motard lui apporta en effet une nouvelle mouture qui condamnait plus fortement Vichy, atténuait les critiques portées contre la Troisième République et promettait un nouvel ordre national et international.

Condamner plus fortement Vichy ? :mrgreen:

Sur ce sujet il n'était pas nécessaire de le pousser. (De Gaulle vomissait Vichy absolument. A part peut-être le général Leclerc, personne à cette date n'était aussi remonté que lui. On le verra plus tard refuser des contributions très utiles, au motif que celui qui offrait son aide avait passé un peu de temps à Vichy. Ce qui fut le réflexe de beaucoup, qui y firent un tour avant de s'apercevoir que Pétain partait en vrille et s'engageait dans une politique de collaboration.)

Sur le fond de cette lettre : en fait il semble que dans les premiers temps de son séjour à Londres, disons jusqu'à fin 41, De Gaulle se soit beaucoup interrogé sur le système politique que devrait adopter la France après la guerre.

C'est explicable : il avait vu la fin de la 3ème République, incapable de manifester une autorité politique dans la conduite de la guerre, et qui avait fini par se suicider en votant les pleins pouvoirs à Pétain.

On s'interrogerait à moins... (On a vu que les chefs des grands réseaux de la Résistance partageaient ces préventions contre les partis, jugés irresponsables, mais là il s'agit d'écrire à la direction - résistante - du Parti Socialiste.)

Quand il dit "régime des partis" il faut entendre "régime d'assemblée", mais de fait il faisait la confusion. (ça lui coûtera cher : ce sont bien les partis, renouvelés ou nouveaux, qui finiront par le dégoûter du gouvernement après-guerre, simplement en lui menant une vie impossible. Il n'avait jamais pensé en fonder un - en aucun cas, jamais, l'idée lui était anathème - pensant que sa position de "guide de la Nation" et l'intérêt national lui permettraient de faire adopter une constitution sensée. Cruelle illusion. - On ne l'y reprendra plus...)

A l'inverse, d'ailleurs, un homme comme René Cassin, disait à un ami, la libération approchant : "Vous voyez, nous avons fini par le convertir à la démocratie !" 8-|

Une phrase un peu curieuse dans la bouche de ce juriste, spécialiste de droit constitutionnel et international (il avait beaucoup oeuvré à la SDN) rallié très tôt à la France Libre, et dont on se demande quels propos De Gaulle a pu lui tenir. :?:

Mais ces piliers de la 3ème République, si pleins de principes et rigoureux qu'ils fussent, pour les meilleurs, faisaient la confusion inverse, c'est à dire qu'ils n'imaginaient pas qu'une démocratie puisse être autre chose qu'un régime d'assemblée. Leur parler d'un président de la République avec des pouvoirs réels c'était leur parler de Napoléon III. :rool:

Donc De Gaulle, ici, renâcle à trop promettre au Comité d'Action Socialiste clandestin - et c'est très compréhensible, cette instance est dirigée par René Mayer, résistant très respectable, mais ancien n°2 de Blum à la SFIO - mais finalement adoucit son propos. Parce que ça va circuler dans toute la Résistance, de proche en proche ? Où on va l'imaginer déguisé en costume de dictateur, en mettant les choses au pire ? C'est une explication possible. (Il faudrait avoir la première version de la lettre sous les yeux.)

Mais surtout il faut noter que Christian Pineau - qui d'ailleurs a commencé à Vichy, dans une fonction alimentaire qui lui laissait des loisirs, comme beaucoup - a une audience considérable : ancien cadre de la CGT, à l'origine d'une dénonciation collective du régime de Vichy par les syndicats, et fondateur du mouvement de résistance Libération Nord, il est un des résistants authentiques ayant gardé l'attache d'un parti de l'avant-guerre, la SFIO, donc. Un oiseau rare.

(Un de ses conseillers a-t-il réussi à signaler cela à De Gaulle ? Trop entier et autoritaire - voire caractériel dans ses mauvais moments - il évitera de nombreux "plantages" grâce à son entourage, ou à des hommes de bon conseil qui sauront lui tenir tête. - Combien de fois Catroux, par exemple, a-t-il mis sa démission dans la balance ?)

Christian Pineau, compte-tenu de sa double casquette, apportera une aide très importante à Jean Moulin dans la création du CNR et son extension aux partis "traditionnels".

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Message Publié : 01 Nov 2021 9:22 
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Grégoire de Tours
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Deux détails
- il faut distinguer les dirigeants des simples militants - certains sont entrés dans les rangs communistes plus par patriotisme que pour faire la Révolution
- certains résistants étaient issus de la droite maurassienne ( en particulier parmi les officiers de l'armée) comme le colonel Remy et n'étaient donc pas représentés au CNR ou à l 'assemblée consultative


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Message Publié : 01 Nov 2021 12:15 
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marc30 a écrit :
Deux détails
- il faut distinguer les dirigeants des simples militants - certains sont entrés dans les rangs communistes plus par patriotisme que pour faire la Révolution

Encore qu'il soit possible de gagner la Résistance par patriotisme sans passer dans les rangs communistes.

Mon grand-père se serait pendu plutôt que travailler pour le parti communiste. C'était déjà son sentiment avant-guerre, mais de plus son choix gaulliste de la première heure en a fait tout de suite un résistant actif - option qui l'a un peu éloigné de ses deux frères survivants, qui avaient fait Verdun et vénéraient le Maréchal - tandis que les communistes s'en tenaient à l'abstention imposée par Moscou, ce qui pour lui constituait une trahison.

Mais la réalité la plus courante, pour les membres de base, c'est qu'on entrait dans la Résistance là où votre entourage vous le proposait : un copain vous disait "ça te dirait... Il faudrait que tu... Attention, si tu te fais prendre ça peut être dangereux, réfléchis..." et vous y étiez. Communiste, pas communiste, pour celui qui voulait agir c'était fréquemment juste une question de localisation géographique ou d'entourage dans le quartier.

Une grande partie des "petites mains" de la Résistance ignorait d'ailleurs le nom du réseau dont ils (ou elles) faisaient partie, et bien souvent ne l'ont appris qu'à la Libération.

Dans l'ensemble, donc, vous avez raison, le plus souvent les résistants de base étaient parfaitement étrangers à toute considération politique.

Citer :
- certains résistants étaient issus de la droite maurassienne ( en particulier parmi les officiers de l'armée) comme le colonel Remy et n'étaient donc pas représentés au CNR ou à l 'assemblée consultative

Oui, il y a eu des tendances comme celle-là, je crois même que la France Libre à Londres a compté un cas de cagoulard repenti. Ou par exemple l'ORA - Organisation de Résistance de l'Armée - qui recrutait les anciens officiers, était réputée conservatrice.

Phrase non conforme à la Charte, supprimée. (par son auteur !)

(En réalité la défaite, puis l'occupation, la collaboration, etc... ont quelque peu rebattu les cartes. La ligne de partage droite/gauche a été remplacée, dans une certaine mesure, par la séparation Pétain / De Gaulle, pour simplifier.)

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Message Publié : 01 Nov 2021 16:50 
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Marc Bloch
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Je ne sais pas qui est ce "crétin de ****" mais l expression fait penser à "cette canaille de D" sur le fameux bordereau.

Je ne puis néanmoins que souhaiter un strict respect de la charte qui je crois interdit les injures.

Pour revenir au sujet, je trouve l'exposé introductif de Pierma particulièrement clair et équilibré.


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Message Publié : 01 Nov 2021 19:33 
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Jerôme a écrit :
Je ne sais pas qui est ce "crétin de ****" mais l expression fait penser à "cette canaille de D" sur le fameux bordereau.

J'adore cette comparaison inattendue ! :mrgreen:

Citer :
Je ne puis néanmoins que souhaiter un strict respect de la charte qui je crois interdit les injures.

Vous avez strictement raison, la règle est la règle, et surtout c'est hors période, donc je supprime la phrase incriminée.

Citer :
Pour revenir au sujet, je trouve l'exposé introductif de Pierma particulièrement clair et équilibré.

Merci pour cette appréciation très positive. :!:

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Message Publié : 02 Nov 2021 11:13 
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Pierma a écrit :
Sur ce sujet il n'était pas nécessaire de le pousser. (De Gaulle vomissait Vichy absolument. A part peut-être le général Leclerc, personne à cette date n'était aussi remonté que lui. On le verra plus tard refuser des contributions très utiles, au motif que celui qui offrait son aide avait passé un peu de temps à Vichy. Ce qui fut le réflexe de beaucoup, qui y firent un tour avant de s'apercevoir que Pétain partait en vrille et s'engageait dans une politique de collaboration.)


Sur ce sujet, la 1ère mouture de la déclaration (c'est encore Wieviorka qui le dit) contenait la phrase : "Un régime moral, social, politique, économique, a abdiqué dans la défaite. Un autre est né et se nourrit de la capitulation. Le peuple français les condamne tous les deux."

C'est cette mise sur le même plan de la Troisième République et du Régime de Vichy qui avait mis Pineau en colère. La 2nde mouture est plus détaillée (mais pas forcément plus claire) : "Un régime moral, social, politique et économique a abdiqué dans la défaite, après s'être lui-même paralysé dans la licence. Un autre, sorti d'une criminelle capitulation, s'exalte en pouvoir personnel. Le peuple français les condamne tous les deux."

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Message Publié : 02 Nov 2021 12:32 
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Jadis a écrit :
C'est cette mise sur le même plan de la Troisième République et du Régime de Vichy qui avait mis Pineau en colère. La 2nde mouture est plus détaillée (mais pas forcément plus claire) : "Un régime moral, social, politique et économique a abdiqué dans la défaite, après s'être lui-même paralysé dans la licence. Un autre, sorti d'une criminelle capitulation, s'exalte en pouvoir personnel. Le peuple français les condamne tous les deux."

Cette mise sur le même plan est très inattendue, chez De Gaulle. Et il persiste dans la seconde version (qui est juste plus sévère pour Vichy) avec cette phrase : "le peuple français les condamne tous les deux."
(Au passage, il aurait pu, pour un interlocuteur tel que Christian Pineau, mettre un peu ses préventions contre la 3ème République sous le boisseau, quitte à y revenir plus tard, quand la question du régime de l'avenir se poserait concrètement. Paris vaut bien une messe. - "Souple comme un verre de lampe", aurait dit ma grand-mère. :rool: )

J'ai dit que De Gaulle se posait des questions sur le régime de la Libération, on voit que son trouble allait loin.

(J'ignore si à cette date il avait déjà lu un document très étonnant, rédigé par Maxime Bloch-Masquart, qui faisait partie de la branche de l'OCM qui se consacrait - entre autres - à l'étude des réformes à introduire à la Libération, dans tous les domaines. Groupe de réflexion qui publiait clandestinement un copieux cahier mensuel, et qu'on appelait en interne, ironiquement, "les phosphorants". Il avait consacré un long article à la Constitution qui conviendrait à la France et éviterait les errements du passé. C'était très proche de la 5e République première version. - i.e. sans élection du président au suffrage universelle. On sait que ce cahier eut à Londres un lecteur très attentif : En 58, De Gaulle, au moment du référendum sur la Constitution, lance à Bloch-Masquart : "Alors Bloch ! la Constitution de l'OCM ?" - certes très amendée par les constituants, qui avaient fourni un travail très fouillé, mais enfin les mêmes principes y étaient.)

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Message Publié : 04 Nov 2021 18:45 
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Pour info, la composition du CNR : (Conseil National de la Résistance)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Conseil_national_de_la_R%C3%A9sistance#La_cr%C3%A9ation_du_CNR

A noter que suite à l'arrestation de Jean Moulin, ses membres ont décidé de ne pas refaire de réunion plénière clandestine (une rafle aurait décapité toute la Résistance) et s'en est remis à une réunion de 5 délégués pré-désignés.

Cela devait conduire au noyautage ultérieur de cette organisation par le PCF, malgré la présidence de Georges Bidault.

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