Après le réquisitoire de Reboul (qui reçut des petits cercueils dans son courrier pendant des années après le procès), ce fut le tour de maître Isorni, avocat de la défense. Qui fit une plaidoirie exceptionnellement brillante--si brillante qu'elle torpilla son client. Les 4 jurés étaient tous issus de la Résistance, 3 d'entre eux étaient des prolétaires. Isorni ne s'adressa presque pas à eux durant sa tirade, parlant à la foule très sélect (écrivains, journalistes, personnalités) rassemblée dans la salle d'audience, célébrant les mérites littéraires de Brasillach, son importance dans le monde littéraire parisien, l'exceptionnalité que lui conférait son "génie" qui le plaçait au-dessus des hommes ordinaires ("sa mort serait une perte pour les lettres françaises"), lisant des lettres favorables de relations littéraires de l'écrivain, adoptant un ton vaguement condescendant. Tout ce qu'il fallait faire pour aliéner les jurés qui n'avaient jamais un livre de Brasillach, à qui les noms de célébrités littéraires citées par Isorni ne disaient rien, qui se sentaient mal à l'aise, parmi ce gratin parisien, et qui ne pouvaient guère être favorable à la thèse suggérée par l'avocat, que les écrivains de talent avaient des droits spéciaux refusés aux gens ordinaires comme eux. Comble de maladresse, Isorni lut un des poèmes de prison de Brasillach, où celui ci évoque les Résistants emprisonnés dans sa cellule avant lui, et conclut en soulignant que, Résistants ou collaborateurs, ce sont tous des prisonniers qui souffrent, et que finalement, ils sont pareils. Les Résistants du jury, qui avaient risqué leur vie pour imprimer des tracts et des faux-papiers, qui avaient vu leurs camarades exécutés, devaient penser qu'entre un délateur qui tue avec sa plume tranquillement assis derrière son bureau, et des Résistants qui risquaient leur vie à chaque minute, il y avait une différence. Isorni insista, ce qui était un peu plus judicieux, sur le fait qu'il s'agissait d'un procès d'opinion. Mais il savait --et l'assistance savait--que Brasillach n'avait pas seulement exprimé des opinions, il avait appellé au meurtre de Résistants, politiciens de la IIIème République, juifs et communistes, les dénonçant en donnant même leur adresse. C'était de la délation et cette délation avait conduit à des exécutions, même si l'on ne pouvait pas en apporter la preuve matérielle. L'avocat frôla l'outrage à la Cour en insistant sur le fait que tous les magistrats français, sauf un, avaient prêté serment à Vichy, que tous avaient condamné des "terroristes" , des réfractaires au STO, des juifs. Selon lui, l'écrivain n'avait fait qu'agir comme eux. Kaplan dit de cette défense contre-productive: "Isorni était résolu à élever son client, même si c'était l'élever au rang de martyr".
Ce qui m'amène à ma question: on sait que c'est bien ce que l'extrême-droite a fait de Brasillach, un martyr, un héros mort pour ses/leurs idées, que Jean-Marie Le Pen cite souvent. C'est assez étrange car Brasillach était homosexuel, ce que l'extrême-droite, encore de nos jours, rejette et stigmatise. C'était un journaliste assez doué, et un romancier et un poète ayant un certain talent. Pas au point d'assurer la survie littéraire de ses romans et poèmes toutefois. Ceux-ci ne sont réédités que par des maisons d'édition de droite (à ma connaissance). Alors que Céline, qui avait les mêmes opinions, mais écrivait à un tout autre niveau, est toujours très lu, et publié par des éditeurs "normaux", apolitiques. Et surtout, c'était un délateur, une sorte d'indicateur de police informant la Milice et la Gestapo des gens qu'ils devaient exécuter, et c'est la raison principale de sa condamnation. Or dans nos civilisations, il n'est guère de personnage qui soit plus méprisé, plus considéré comme l'incarnation de la lâcheté et de l'abjection, qu'un délateur--sauf peut être un maquereau. Ce qui fait penser à Horst Wessel, fortement suspect de proxénétisme, héros et martyr de l'Allemagne nazie. Qu'est-ce qui dans sa vie et sa personnalité, et en dehors de son éxécution à un âge aussi jeune, peut expliquer le statut de héros de Brasillach depuis sa mort?
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