Bonsoir à tous,
Thème ô combien passionnant que les causes de la défaite française. Et fort complexe. J'avais lu il y a déjà quelques temps l'ouvrage admirable du grand Marc Bloch (L'étrange défaite), rédigé « à chaud » dans les semaines qui ont suivi l'armistice et je ne peux que le conseiller, autant d'ailleurs pour la qualité de l'analyse que pour la puissance intellectuelle et morale qui ressort du témoignage. Néanmoins, Bloch écrit sans recul sur les événements et sans sources, et je m'étais ensuite penché sur la question avec d'autres lectures (J.P Azéma notamment, et surtout des articles d'historiens allemands ou anglo-saxons comme K.H. Frieser et J. Jackson, traduits et regroupés dans un ouvrage publié sous la direction de M. Vaisse). J'en ai tiré quelques convictions :
- nous avons une tendance à trop systématiquement opposer 1914 et 1940. Certes en 40, le pacifisme de la société française ne fait pas de doute et les hécatombes de 14-18 sont dans toutes les têtes. Mais la société française en 14 n'entre pas en guerre dans la joie et la bonne humeur non plus.
- ce qui domine en 1914 comme en 1940 dans la société française, c'est la résolution et la résignation. Nos soldats se sont battus courageusement en 40, comme leurs aînés. Entre 70,000 et 100,000 tués (les estimations les plus récentes semblent se situer plutôt dans la fourchette haute) sur un laps de temps aussi court, c'est pire que la PGm.
- cette opposition constante entre 14 et 40, entre la « victoire » et la défaite, procède d'une Histoire en grande partie téléologique. La société française est certes très divisée dans les années 30, la France n'est pas au sommet de sa forme mais je trouve douteux d'analyser la décennie 1930 toujours au prisme de la défaite.
- l'EM de 1914 ne me semble guère plus brillant que son successeur de 1940. Mais entre temps, la vitesse de la guerre n'est plus la même.
- Concernant l'archaïsme de la doctrine militaire de l'EM, les travaux de Frieser par exemple ont remis en cause l'idée selon laquelle la Blitzkrieg menée par le Reich en mai 40 correspondait à un plan mûrement réfléchi par l'état-major, basé sur des conceptions de l'art militaire sensiblement différentes de celles qui dominaient dans le commandement français. Les Allemands pensent que la guerre sera longue en 1940.
Mainsten est marginalisé au sein du commandement et c'est Hitler qui impose ce plan à l'EM. D'ailleurs seul le fait que Gunderian désobéisse sciemment aux ordres permet le succès de la seconde phase du plan, le « coup de faucille » vers l'ouest qu'évoquera Chuchill. La guerre n'est pas une science, il y a aussi une forme de « réussite ». Après il est clair que notre EM, contrairement à Joffre, n'a pas su profiter des occasions offertes par les Allemands pour redresser la situation. J'avais été marqué par la formule employée par Frieser : « la campagne de France fut une Blitzkrieg improvisée mais réussie, celle contre l'URSS une Blitzkrieg planifiée mais ratée ».
Cordialement