Paille, poutre ? Qui caricature ? S'emparer de la Norvège au moyen d'une opération combinée, par nature extrêmement complexe, surtout avec une marine de guerre aussi réduite que l'était la Kriegsmarine, depuis un "lac britannique" contrôlé par la Royal Navy, c'est un exploit que bien peu d'armée, si ce n'est aucune, aurait été capable de réaliser. Quant à la Pologne, elle comprend le 1er septembre 39 divisions et trois brigades d'infanterie ainsi que douze brigades de cavalerie (dont une mécanisée), en arrondissant 44 équivalents-divisions, ce qui représente un peu moins de la moitié du potentiel allemand (107 divisions), mais on notera que celui-ci doit être divisé pour prendre en compte le front occidental (42 divisions), ce qui laisse seulement 65 grandes unités à opposer aux 44 divisions ou équivalents-divisions de l'armée polonaise. Le rapport de forces ainsi établi n'aurait jamais dû se traduire par un effondrement de la résistance polonaise en moins de quatre semaines si le niveau qualitatif des deux armées avait été égal. D'ailleurs, puisque vous aimez les impressions d'époque, les premiers surpris, ce sont bien les Français qui misaient sur une résistance plus longue.
Vous parlez d'équipements, qui ne font qu'une partie de la valeur d'une armée, et pas nécessairement la plus importante. Les Allemands ont un concept d'emploi global qui n'a pas besoin du "meilleur" char ou du "meilleur" avion - bon courage d'ailleurs pour me définir quel char est le meilleur entre le PzKpfw II et le R35, entre le PzKpfw III et le B1 bis, puisque si les modèles allemands sont insuffisamment blindés et armés, ils sont véloces, rustiques et dotés d'une bonne autonomie, ce qui les rend parfaitement adaptés à la guerre menée par les Allemands, au contraire absolument des véhicules français que les Allemands trouveront impropres à la guerre mobile après 1940 et n'utiliseront pas au sein de leurs unités de première ligne. Se contenter d'analyser les performances de tel ou tel véhicule ou canon, c'est effectivement se mettre dans l'incapacité de comprendre comment la 5. Panzer Division, équipée majoritairement de PzKpfw I et II, a pu étriller la 1re DCr et ses formidables B1 bis ; ou comment deux divisions d'active d'un niveau tout à fait honorable, la 3e DCr et la 3e DIM, ont été incapables de reprendre Stonne à un pauvre régiment d'infanterie, portât-il le nom de "Grossdeutschland", entre autres exemples... C'est bien parce qu'ils ont une manière de procéder absolument inédite et imprévue, associée à la qualité générale de leur corps de bataille doté de cadres au très haut niveau de professionnalisme, capables de mettre en oeuvre efficacement la coopération interarmes et interarmées et bénéficiant à fond de la décentralisation du commandement au niveau tactico-opératif, qu'ils vainquent si vite et si nettement tous ceux qui leur sont opposés - jusqu'aux Soviétiques qui se font écraser sans appel à Minsk, à Smolensk, à Ouman, à Kiev, à Viazma et à Briansk, le long de la mer d'Azov, et doivent leur survie bien plus à l'immensité de leur territoire, la pauvreté de leurs voies de communication, aux conditions climatiques extrêmes qui sont celles de leur pays, surtout en 1941, et à leur capacité à mobiliser les forces vives de la Russie au-delà de tout ce qui pouvait être prévu, qu'à une supériorité qualitative*.
Pour vos chiffres, je vous recommande de les réviser : la France perd plus de 60 000 tués au combat en six semaines et 250 000 blessés, plus 1,5 millions de prisonniers, les Britanniques ont eu 3 457 tués et 13 602 blessés, les Néerlandais 2 890 tués et 6 889 blessés, les Belges 7 500 tués et 15 850 blessés. Les Alliés, au total, ont perdu plus de 80 000 tués et 285 000 blessés (sans compter des légions de prisonniers de guerre) ; l'Allemagne donne, du 10 mai au 25 juin 1940 (donc en comptant aussi les pertes subies contre la Belgique, les Pays-Bas et la BEF) 27 074 tués et 111 034 blessés (chiffres donnés par l'OKW à l'issue de la campagne, dont on peut estimer qu'ils sont partiellement inférieurs à la réalité, et à comparer aux 61 033 tués avancés pour la totalité du front occidental du 1er septembre 1939 au 1er juillet 1940, toutes raisons confondues et pas seulement au combat, dans l'excellent ouvrage de Rüdiger Overmans - on peut donc estimer que les Allemands ont dû avoir pour l'ensemble de "Gelb" et de "Rot" entre 40 et 50 000 tués au combat). Je répète donc : heureusement qu'on avait une meilleure armée qu'eux, sinon qu'est-ce que ça aurait été ?
De toute manière, on s'égare : Hitler avait toute confiance en son armée pour régler le problème polonais avant même que la France ait pu réagir, et pour abattre la puissance militaire française une fois tranquille sur son flanc oriental. Toutes ses décisions de l'automne 1939 et de l'hiver 1939-1940 jusqu'au printemps suivant le prouvent : il est bien plus sûr de son fait que ne le sont ses généraux.
* Pour éviter de rallumer un débat stérile sur le sujet, je précise que cela n'enlève rien aux qualités fondamentales qui sont généralement celles du soldat soviétique : endurance, rusticité, esprit de sacrifice.
CNE EMB
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