Bonjour
Voilà typiquement un cas de wargame, et archi-classique en plus
J'avais fait ces derniers mois 3 fois le front de l'Est avec "World in Flames" (un "monster game" stratégique sur toute la 2e GM) - avec de grosses erreurs d'application des règles
(80 pages en anglais, pour ma défense)
Toutes en solo, je précise, et j'ai à chaque fois élaboré un plan de bataille. Et je précise que je ne suis pas un grand stratège
Il y a des conclusions intéressantes à tirer de ces parties, tout en gardant à l'esprit que ce n'est qu'un jeu.
Rappelons de suite la grosse contrainte des plans d'invasion, les marais du Pripet, peu manoeuvrables et très favorables à la défense. Le front est donc divisé en deux, en gros au nord des objectifs politiques (Leningrad, Moscou), au sud des objectifs économiques (Ukraine puis Caucase). Si le Gris (les nazis) veulent tout prendre, ils doivent former au moins 2 armées séparées par le Pripet.
Autre contrainte lié au jeu : le Rouge (qui est orange dans le jeu, les Rouges c'est les Japonais, mais ne chipotons pas) doit placer 80% de ses forces sur la frontière... Ca fait très mal au 1er tour ! L'enjeu est de savoir quoi faire des 20% qui restent. Rappelons qu'historiquement, l'Armée rouge est bien massée à la frontière, ce qui explique les pertes terribles de l'été 1941. Ces troupes sont difficiles à sauver, à moins de changer un paramètre important, à savoir la lucidité de Staline.
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Dans mes parties, j'ai tenté 3 plans différents.
1/ Plan "1812" = un seul axe d'attaque.Ici le sud car terrain plus facile, les Gris restent sur une stricte défensive au nord.
Verdict : échec des Gris, bloqués sur le Dniepr.
Analyse : l'axe d'attaque unique est une fausse bonne idée (en tout cas dans un wargame). L'attaquant ne peut pas changer son axe d'attaque s'il est bloqué (ou très difficilement à cause du Pripet), et le défenseur ne doit se préoccuper que d'une portion du front où il peut mettre tous ses renforts.
J'aurais pu choisir d'attaquer au nord (axe Minsk-Smolensk-Moscou), axe plus logique avec Moscou comme cible. Mais le terrain favorise la défense (fleuves, forêts, marais). Et cela laisse le potentiel industriel des Rouges intact.
2/ Plan "Beidhändiger-Krabbe" ("crabe ambidextre") : 2 axes d'attaque égaux (et mauvaise application des règles à l'avantage des Gris...
)
Les Gris attaquent avec des forces équivalentes au nord (vers Moscou) et au sud (vers Kiev puis on-verra-bien) du Pripet.
Verdict : victoire écrasante des Gris avec capitulation des Rouges à Noël 1942 ! Les restes des armées rouges totalement encerclées autour de Moscou, suite à la désintégration du front sud.
Analyse : les Gris ont ramé au nord, bien avancé au sud. Les 2 axes d'attaque ont permis aux Gris de pousser d'un côté, quand l'autre était bloqué. Les Rouges ont dû alimenter les 2 fronts en permanence, sans pouvoir se concentrer à un seul endroit contrairement à la précédente partie. La pression des Gris au nord s'est révélée indispensable et utile au sud qui a remporté la décision.
NB : les Gris ont délaissé leurs ailes : Leningrad au nord, Sebastopol et Rostov au sud, sont restées Rouges. De toutes façons, les Gris se sont répandus dans tout le reste du territoire...
3/ Plan "Rechtshänder-Krabbe" ("crabe droitier") (oui, j'ai un don pour trouver des noms d'opération militaire
)
Pareil que la partie 2, mais la pince sud des Gris est plus forte que la pince nord (toujours à cause du terrain plus facile au sud - j'aime bien le sud
)
Par contre, les Rouges misent sur le nord, où ils placent les 3/4 de leurs réserves pour contre-attaquer dès les premières semaines. Quant au sud, il doit prier le camarade Lénine et tenir !
Verdict : victoire mineure des Rouges en avril 1945 (ils avaient 2-3 mois de retard sur le planning historique). Au nord, les Gris sont restés bloqués à la frontière de 1939 (
) dès le départ ; au sud, ruée des Panzers avec percée se terminant à Koursk... transformée en Stalingrad suite à une magnifique contre-attaque des Rouges. Pour la réaliser, ils ont carrément opéré un repli général de 400-500 km au nord, abandonnant Minsk, pour dégager les troupes nécessaires à l'encerclement de Koursk.
Partie très intéressante (et meilleure maîtrise des règles, surtout !). Au nord, les Rouges ont bloqué les Gris grâce à leurs contre-attaques. Au sud, bonne progression des Gris, qui étant bloqués au nord, ont donc misé sur le sud. Mais avance laborieuse une fois Kiev prise, jusqu'au désastre de Koursk.
NB : j'avais clairement pas envie de laisser gagner les Gris
Notons quand même que leurs jets de dés des combat aériens ont été abominablement favorables. 3-4 pertes Rouges pour 1 perte Grise systématiquement. J'ai vérifié
Vive les "Moineaux de Staline" !
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Bref. A partir de là et de l'Histoire, quelques réflexions.
1/ Attaquer plus tôt dans l'année ? Apparemment c'est une mauvaise idée en vrai, idem en jeu. Le temps est mauvais au printemps (dans World in Flames, on a souvent de la boue, donc mouvement réduit de moitié). Le problème est qu'il y a trop d'objectifs et trop peu de temps disponible entre deux saisons de temps difficile.
2/ Se concentrer sur un seul axe ? C'est ma 1ère partie, je vous y renvoie. Ajoutons que les Soviétiques bénéficient des lignes intérieures, car ils contrôlent les voies ferrées.
Un seul axe d'attaque = une seule position de défense... Quitte ou double à un seul endroit, avec avantage au défenseur. Logique.
J'ajoute que niveau logistique, ce scénario me paraît pire (je parle en vrai, pas en jeu). Certes, plus besoin d'alimenter tout le front, seulement l'axe principal. Mais celui-ci devient embouteillé beaucoup plus vite. Changer les rails est une galère, et tout passe par le train.
3/ Le facteur politique, qui me paraît essentiel (et n'est que rarement simulé dans un wargame)
Le plan d'Hitler est politique : détruire les armées soviétiques + occuper la partie utile de l'URSS. Cela doit provoquer l'effondrement du régime soviétique, intrinsèquement fragile (sous-homme slave + contrôle par les Juifs + bolcheviques... je ne reviens pas sur la vision viscéralement méprisante des Allemands en général, et des nazis en particulier). Une fois le régime à terre, le reste n'est que du nettoyage.
Sauf que l'URSS se révèle formidablement résiliente. Le régime "tient" fermement le pays et la population, et Staline tient fermement le régime. L'URSS se révèle capable de mobiliser à un point inouï (on réduit quasiment la population en esclavage...)
En gros, si le régime tient, ça revient à taper sur une enclume. Et le régime tient. C'est en tout cas comme ça que je vois la situation.
4/ La taille du territoireComme dit plus haut, une fois Moscou prise (ce qui est possible), on fait quoi ? Les flancs restent exposés (si on mise tout sur Moscou en délaissant le reste du front), les Soviétiques ont leurs industries ailleurs, des voies de communication, etc.
D'ailleurs, après la bataille de Moscou, les victoires soviétiques auront lieu ailleurs. Ils sont donc capables d'organiser et de faire agir leurs armées en-dehors de cette zone centrale.
Il y a trop d'objectifs, trop de territoire, et pas assez d'envahisseurs. Il est vrai que Hitler a voulu tout prendre au départ, sans choisir un objectif principal. Il a aussi changé ses objectifs en cours de route. Et ses généraux avaient d'autres vues.
Mais on ne peut pas exclure que la prise de Moscou soit décisive politiquement : capture de Staline, mort ou putsch, choc moral suffisamment violent pour provoquer l'effondrement du régime, etc. Ce sont des éléments politiques, et je ne vois pas comment les anticiper correctement dans une simulation ou une uchronie.
Par contre, j'exclus l'atout que représente les nationalités pour les Allemands. Hitler était raciste, voulait éliminer la majorité des habitants de l'URSS et réduire en esclavage les survivants. On peut imaginer que les Allemands jouent la carte des nationalités, ou de certaines, mais pas avec Hitler... L'uchronie ne peut pas changer les paramètres les plus importants dans l'équation.
5/ La frictionDans un wargame, le joueur est tout puissant et mieux informé que dans la réalité (on ne connaît pas forcément la puissance de l'ennemi dans le détail, mais on repère vite les gros tas d'unités qui se concentrent à un endroit du front !). C'est le risque aussi dans une uchronie. Alors qu'en vrai, il faut tenir compte (ou pas...) des erreurs, des rebelles, de la fainéantise, de la mauvaise information, des accidents, etc. Après tout, les Soviétiques étaient maîtres dans la désinformation.
On peut mettre ici le comportement des dirigeants. J'ai proposé le plan "1812 - axe d'attaque unique", en précisant que le défenseur mettra tous ses renforts contre celui-ci. En vrai, rien n'est moins sûr. Staline avait la sale manie d'attaquer partout au lieu de concentrer ses efforts, il aurait sûrement mis une grande partie de ses renforts pour attaquer vers la Pologne, contre les défenseurs allemandes, au risque de fragiliser sa défense.
Dans un wargame, un joueur ne le fera pas forcément, en tout cas, il aura un comportement plus raisonnable et raisonné que l'Oncle Joe
6/ Attaquer en 1940Tentant. Audacieux. Idiot. Tellement idiot que ça peut marcher
Mais je rappelle juste 2 mots importants : "Français" et "Anglais".
Soit les Allemands attaquent les Soviétiques dans la foulée de la Pologne, alors qu'ils ont signé un traité avec eux. Avec les Alliés dans le dos. Et Hitler qui, à ce moment-là, jure ses grands dieux qu'il faut éviter d'avoir 2 fronts comme en 1914.
Soit les Allemands attaquent après avoir abattu les Français. Un cauchemar d'organisation et de logistique, car il faut ramener toutes les troupes à l'est. Et les Anglais sont toujours là.
Mais j'avoue, ça se tente dans un wargame, à condition que les règles soient assez souples pour le permettre (ce n'est pas forcément le cas). Le Gris est trop faible pour attaquer partout, et devra donc privilégier un axe d'attaque unique. Mais le Rouge est encore plus faible, encore plus désorganisé. Oui, franchement, ça se tente. Mais ce sera dur, car dans un wargame (notamment "World in Flames"), le joueur Anglais aura tendance à jouer très agressif, avec débarquements vicieux et autres coups vachards potentiellement meurtriers pour le Gris.
7/ Attaquer en 1942Dans un wargame, c'est un classique. Et c'est une fausse bonne idée en général pour les Allemands.
Les deux adversaires ont 1 an de plus pour se préparer. Donc 1 an de production notamment, et du matériel plus récent et donc plus efficace. Le Gris peut ainsi gonfler son armée, avoir plus d'avions, de meilleurs chars... Sauf que non.
Déjà, les meilleurs chars, le Gris les a eu suite à l'affrontement avec les chars soviétiques. Qui n'a donc pas lieu. Aucune raison de lancer la production des Tigers et Panthers, on reste sur les bons vieux Pz IV.
Et puis, que va faire le Gris pendant ces 1 an ? Rester l'arme au pied ? Peu vraisemblable ! C'est de Hitler dont on parle, pas de Gandhi ! Stratégie méditerranéenne ? Opération Seelöwe ? Combo Turquie + Moyen-Orient ? De toutes les façons, le Gris va dépenser des moyens militaires ailleurs qu'à l'Est, avoir plus de territoire à défendre, etc. Ramener les PanzerKorps depuis l'Irak ou l'Espagne sera laborieux.
Et en face, on a le Rouge. Staline reste l'arme au pied (il a déjà récupéré ce qu'il voulait), continue de gonfler son armée (déjà en pleine croissance depuis 1939). Il a 1 an de plus pour former ses officiers et sous-officiers, pour que les troufions apprennent à utiliser leurs matériels - de gros handicaps pour l'Armée Rouge en juin 1941. On va mettre plus de KV-1 et de T-34 et pouvoir mettre au rebut les dizaines de modèles obsolètes. On va pouvoir terminer les fortifications de la nouvelle frontière.
Toute la production pendant ces 1 an est donc disponible pour le Rouge, contrairement au Gris.
En résumé, l'accroissement de puissance du Gris est inférieure à celle du Rouge. Le rapport de force en 1942 est donc encore plus défavorable au Gris... et j'oublie qu'en plus de ça, en 1942, on a les Verts qui entrent dans la danse (les Etats-Unis) ! Donc encore plus de moyens gris détournés de l'Est.
PS : j'oubliais l'aide des Occidentaux, Anglais et Américains (saumon et vert dans World in Flames). Simulée dans mes parties, elle a été formidablement utile (équivalent d'une armée mécanisée ou 250 bombardiers par tour), parce que les Gris ne s'y sont pas opposés. C'est une lourde erreur (parce que je maîtrise moins bien les règles navales !), mais une véritable erreur.
Quant à prendre Mourmansk, ça reste difficile : pas assez de Gris, terrain détestable, etc.
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CONCLUSIONLe seul scénario qui me semble envisageable est celui voulu par Hitler : une frappe puissante et rapide provoquant l'effondrement du système soviétique (régime politique et organisation sociale). Dans un wargame, ça revient à faire paniquer le joueur Rouge, lui coller une beigne pour le faire s'effondrer en pleurant
Pas très cool quand même
Si le Rouge réussit à survivre au 1er choc, le plus puissant et le plus dangereux, il devient difficile à vaincre.