Oui CEN_EMB ne vous inquiétez pas, je relis les fils consacrés à 1939.
Je savais que j'avais lu quelque chose sur le sujet qui me paraissait convaincant dans le journal d'Halder, mais ce n'est pas tant ses commentaires du 22 août 1939 (qui en plus sont en fait sa relation d'un discours d'Hitler, et non son point de vue, mais dont on peut penser tout de même qu'il est partagé par une partie de la Generalität, soit parce qu'il a convaincu, soit parce que d'autres étaient du même avis que lui avant d'entendre son discours). C'est en fait la toute première entrée de son journal, à la date du 14 août 1939 :
Franz Halder, le 14 août 1939 a écrit :
A l'ouest :
1) si les Français sont persuadés que la majeure partie de l'armée allemande est engagée à l'est, ils peuvent décider de prendre l'offensive. Le postulat que les deux mobilisations frontalières (France et Allemagne) se dérouleront au début selon les plans préétablis doit être accepté en raison de l'impossibilité technique d'effectuer des changements d'ampleur dans les plans de mobilisation sous un préavis aussi court.
2) sur cette base, les forces alignées de chaque côté, de la frontière belgo-luxembourgeoise à la Suisse, seraient les suivantes :
- France : quatorze brigades de forteresse, 19 divisions d'infanterie (sept d'active, sept de première réserve, cinq de seconde réserve), cinq divisions motorisées, deux divisions de cavalerie, une division mécanisée. Total : 41 unités de taille divisionnaire (potentiellement 44).
- Allemagne : 31 divisions d'infanterie (douze d'active, sept de première réserve, douze de seconde réserve) dont sept à la 5. Armee, treize à la 1. Armee et six à la 7. Armee.
3) La France, cela doit être présumé, mettra en oeuvre ses mesures de sûreté à la frontière italienne (l'Afrique du nord ne sera pas affectée !). Ici, ils déploieront : sept divisions d'active, deux divisions de première réserve, deux divisions de seconde réserve, une division en Corse, trois brigades alpines de forteresse, soit quinze unités de taille divisionnaire.
4) Sur la base de ce calcul, sur un total de 106 divisions existantes, 47 seraient immédiatement disponibles pour une offensive. Ce nombre pourrait être substantiellement augmenté par, disons, vingt divisions prélevées dans la profondeur du dispositif de mobilisation, si la France est assurée que nous n'allons pas l'attaquer.
5) Si la France décide de lancer une offensive par la Belgique, une telle attaque serait menée soit en accord avec la Belgique soit contre sa volonté. Cette dernière hypothèse serait préférable d'un point de vue militaire, mais il est plus que douteux que cela arrive parce que 1) les décisions françaises selon toute vraisemblance dépendent des initiatives allemandes, et 2) la France se doit d'observer au moins formellement les pourparlers diplomatiques avec la Belgique [avant une telle action].
6) le calendrier prévisionnel serait donc le suivant :
- à la frontière luxembourgeoise : une attaque [française] immédiate avec l'objectif de sécuriser le Luxembourg pour des actions ultérieures. Sous 48 heures, les Français peuvent mettre en ligne : une division motorisée, une division mécanisée, deux divisions d'infanterie, soit quatre divisions face à la 5. Armee. Comme nous n'avons rien pour nous y opposer, ces forces françaises pourraient atteindre la frontière germano-luxembourgeoise le troisième jour.
- à la frontière belge : les forces suivantes seraient concentrées sous 48 heures à la frontière franco-belge, et prêtes à l'action : cinq divisions motorisées, une à deux divisions mécanisées, une à deux divisions de cavalerie, soit de sept à neuf divisions opposées à la 5. Armee (et notamment trois bataillons de mitrailleuses, le régiment d'Aix-la-Chapelle, trois divisions d'active, deux divisions de première réserve, deux divisions de seconde réserve. Si elle est lancée au sud de la Sambre et de la Meuse, ces forces françaises ne peuvent atteindre la frontière allemande avant le matin du cinquième jour. En conséquence, les troisième et quatrième jours, la 5. Armee, qui ne serait pas pleinement mobilisée, pourrait être confrontée à une situation difficile.
A part la prise de Luxembourg, qui correspondrait aux besoins élémentaires en sûreté des Français, une offensive localisée de ces derniers à travers les Ardennes est peu probable. La raison en est double : politiquement, la Belgique doit d'abord décider qui elle soutient, et militairement, des forces additionnelles [pour mener une telle offensive] ne seraient pas disponibles avant trois jours et, n'étant pas motorisées, arriveraient lentement, de telle manière qu'une attaque [par ce secteur] à travers la frontière allemande ne pourrait débuter avant le dixième jour approximativement.
7) en raison du fait que l'armée belge est en mesure de mobiliser sous quatre jours : douze divisions des deux premières levées, plus deux divisions motorisées et les unités spéciales ardennaises (avec six divisions de troisième levée mobilisables sous ... jours), il n'est pas invraisemblable que la France ne s'engage en Belgique que lorsqu'elle aura atteint un rapport de forces favorable. Ce niveau pourrait être atteint au neuvième jour de mobilisation quand une force estimée à 18 divisions et trois brigades de forteresse deviendrait disponible en plus de la force affectée au Luxembourg. Ces divisions pourraient atteindre la frontière allemande à mobilisation plus onze jours, de telle manière que nos positions frontalières pourraient être soumises à forte pression à compter de mobilisation plus quatorze jours. La concentration nécessaire de la Heeresgruppe 2 pourrait être effectuée à ce moment.
8) Pour des opérations à travers la Hollande avec des unités de force significative, les Français devraient d'abord traverser la Belgique. Considérant le temps requis pour la mobilisation et un tel mouvement, une telle force française ne devrait pas être attendue à la frontière allemande avant trois semaines après le jour de mobilisation. Des éléments motorisés avancés peuvent bien entendu l'atteindre bien plus tôt. Cependant, à la vue de ce que nous savons de la doctrine opérationnelle française et des difficultés politiques qu'il y aurait d'abord à résoudre, une telle poussée est peu probable. Ne comptant pas sur quelque possibilité de résistance durable néerlandaise à une telle attaque française, nous avons à nous préparer à une sérieuse offensive française à la confluence des frontières néerlandaise, belge et allemande au début de la troisième semaine après le jour de la mobilisation. Dans l'éventualité où la Belgique autorise les mouvements par son réseau ferrée, cette date serait considérablement avancée.
9) pour résumer, les conclusions suivantes peuvent être tirées :
- a) la France ne semble pas prête à prendre des mesures en anticipation de nos initiatives, mais il faut plutôt s'attendre à ce qu'elle réagisse à nos propres décisions, l'une après l'autre. En conséquence, une mobilisation française précoce, qui affecterait en profondeur nos propres mesures préparatoires, est improbable ; tout autant que l'est une offensive à travers la Belgique "contre le souhait des Belges".
- b) la France déclenchera ses mesures de sûreté préparatoires à la mobilisation impliquant un minimum de forces, puisqu'il n'y a plus le temps d'effectuer de profondes modifications de son plan [de concentration] ferroviaire reposant sur des dispositions purement défensives et, de plus, le réseau ferré français est orienté vers la frontière du nord-est. De ce fait, sur un total de 106 divisions, 59 sont déjà affectées (44 contre l'Allemagne, quinze contre l'Italie), et 47 divisions sont toujours disponibles.
- c) en ce qui concerne l'emploi des forces françaises, les présuppositions suivantes peuvent être effectuées :
Environ six grandes unités (deux brigades de forteresse, deux divisions d'infanterie, une division motorisée, une division mécanisée) feront rapidement mouvement dans le Luxembourg. Considérant l'état actuel de préparation des Français, ce mouvement pourrait débuter sous deux jours, de telle manière que la frontière germano-luxembourgeoise soit atteinte au soir du troisième jour. Son objectif ne serait pas d'initier une attaque localisée contre le territoire allemand, mais simplement de sécuriser le territoire luxembourgeois pour en faire une base d'opérations française.
Environ sept à neuf divisions (cinq divisions motorisées, une à deux mécanisées, une à deux de cavalerie), en l'état actuel de préparation française, pourrait franchir la frontière franco-belge sous deux jours et, si rien ne s'y oppose, atteindre la frontière fortifiée allemande au nord et au sud d'Aix-la-Chapelle au matin du cinquième jour. Un tel groupe motorisé avancé (si et quand la France l'organisera, je crois que cela dépendra d'un accord très précoce et intégral de la Belgique - en lui-même improbable) aurait probablement la mission initiale d'occuper la base d'opérations néerlando-belge, et rien d'autre. Une attaque avec des objectifs de large portée ne doit pas être attendue de ce groupe.
Une autre force offensive que nous devons prendre en compte serait la concentration d'environ 22 divisions effectuée à la frontière franco-belge au neuvième jour de la mobilisation (trois brigades de forteresse, 18 divisions, avec de très forts éléments organiques de corps d'armée ou de réserve générale (400 batteries), et cinquante à soixante bataillons de chars (dont cinquante légers environ). Si le passage par la Belgique se concrétisait, fût-ce sans utiliser son réseau ferré, ce groupe, en coordination avec ceux mentionnés ci-dessus, pourrait lancer une offensive majeure à travers la frontière germano-belgo-néerlandaise à mobilisation plus quatorze jours. Dans son sillage, quatorze divisions supplémentaires tirées des réserves pourraient leur être adjointes avant le vingtième jour de mobilisation, en addition à dix à douze divisions qui auraient été prélevées des secteurs tranquilles de la ligne "Maginot" et peut-être aussi du secteur alpin. Cependant, aucune date prévisionnelle ne peut être avancée concernant l'arrivée de ces unités sur le flanc septentrional.
10) [présentation du potentiel estimé des Belges et des Hollandais]
11) pour s'opposer à une action française potentielle (cf. 9c) par six divisions (deux brigades de forteresse, deux divisions d'infanterie, une division motorisée, une division mécanisée) à la frontière germano-luxembourgeoise, seront disponibles entre le troisième et le quatrième jour de mobilisation : deux divisions dans le secteur de la 5. Armee (16. et 26. Infanterie Divisionen), qui feront tout juste l'affaire.
12) pour s'opposer à une action française potentielle par sept à neuf divisions mobiles à la confluence des frontières néerlandaise, belge et allemande, de part et d'autre de Liège, seront disponibles au cinquième jour de mobilisation, à part les Grenztruppen : deux bataillons de mitrailleuses et un régiment d'infanterie renforcé dans le secteur de la 5. Armee, ce qui est décidément inadapté.
13) pour s'opposer à une offensive majeure franco-britannique à partir de mobilisation plus quatorze jours (par une force d'environ trente divisions), nous avons : la 5. Armee avec de 22 à 26 divisions, incluant six divisions prévues dans le plan de mobilisation, six divisions affectées pour la Belgique, jusqu'à dix divisions de la quatrième levée, dont le potentiel est encore faible (à échanger potentiellement avec d'autres divisions), plus deux (quatre puis plus tard douze) divisions à prélever sur les réserves du groupe d'armées.
La difficulté donc ne réside pas tant dans le nombre d'hommes que dans la faiblesse de notre artillerie et de nos unités antichars. Le maximum qui peut être tiré du front occidental (puisque c'est tout ce qu'il y a ) est : quatorze groupes d'artillerie moyenne, quatre groupes d'artillerie légère motorisée, trois bataillons antichars ; et des réserves générales de l'OKH : quatre groupes d'artillerie moyenne, deux groupes d'artillerie légère, cinq bataillons antichars, un bataillon du génie.
Soit au total 300 pièces, sans compter les artilleries divisionnaires. Elles seraient opposées à 1600 tubes français, et nous devons garder à l'esprit que l'artillerie divisionnaire est plus forte que la nôtre.
En conséquence, la bataille défensive le long de la frontière belgo-néerlandaise requiert le transfert de moyens d'artillerie depuis l'est et de positionner la ligne de défense sur un obstacle comme une rivière (c'est-à-dire antichars) : la Meuse.
14) en vue de prévenir la crise temporaire qui pourrait surgir à l'ouest, les propositions suivantes sont faites :
a) l'extension des positions face à la frontière néerlandaise sera initiée dès maintenant, avec la construction de fortifications de campagne (qui deviendra la seconde ligne de défense une fois la ligne principale alignée sur la Meuse).
c) des six divisions pour le moment prévues pour agir dans le cadre d'un hypothétique "front belge" sous l'autorité du XXX. Armeekorps, l'activation masquée de quatre d'entre elles dès à présent, mais au mieux des six, doit être lancée dès maintenant.
d) des dix divisions de la quatrième levée, six doivent être immédiatement mises sur pied de manière camouflée, et affectées à l'extension des positions frontalières vers le nord.
e) mise sur pied camouflée d'un régiment de transport motorisé dans le cadre de l'économie civile.
Si les ordres sont donnés dès le 15 [dès le lendemain], les divisions seront en mesure de faire mouvement le 22, et être en position le 25. Détails plus tard !
15) avec ces préparatifs effectués, nous sommes prêts à positionner notre aile droite sur le canal Wilhelmine, si telle est l'intention du pouvoir politique. Comme nous manquons d'équipements de pont, l'accord du gouvernement néerlandais serait préférable pour un tel mouvement (six divisions pour un front de soixante kilomètres).
16) [mesures diplomatiques à prendre vis-à-vis des Belges et des Néerlandais]
17) Renforcement de l'artillerie antiaérienne depuis le front oriental aussitôt que l'aviation ennemie y aura été détruite.
Quelques commentaires :
- Halder s'exagère le potentiel français. Celui-ci, à l'issue de la mobilisation, le 17 septembre 1939, sera de 88 divisions et une quinzaine de brigades de forteresse, et non de 106 divisions. Qui plus est, un volume non négligeable d'une quinzaine de ces divisions seront encore en Afrique du nord !
- il s'exagère aussi la rapidité avec laquelle l'armée française mobilise, et avec laquelle elle sera décidée à prendre des initiatives offensives ;
- je ne vois pas quelqu'un d'inquiet. S'il pointe des vulnérabilités (en artillerie et en antichars), elles sont très localisées dans le secteur de la 5. Armee (c'est-à-dire dans le secteur d'Aix-la-Chapelle, vis-à-vis des frontières belge et néerlandaise). Il ne parle à aucun moment du secteur du Rhin ou de celui de la Sarre, ce qui semble indiquer qu'il n'y prête guère d'importance, donc que la menace y est très faible. Qui plus est, il propose de remédier avec des corrections légères (étendre les positions défensives face à la frontière néerlandaise ; prélever quelques groupes d'artillerie sur la force "Weiss"), ce qui montre bien que l'inquiétude que ces vulnérabilités suscitent est très modérée.
Je ne vois pas pourquoi Halder se montrerait plus détendu que n'importe quel membre de la haute Generalität à quinze jours du déclenchement des hostilités. Ce qui me laisse penser que les Allemands n'accordaient que peu d'importance, à brève échéance, aux actions françaises. Bien sûr, un général déployé sur le Westwall pouvait se montrer plus impliqué et soucieux, mais si la tête pensante de l'armée allemande d'alors ne cède pas à la panique - c'est tout le contraire ! - on peut penser que les Allemands en général attribuaient peu de "fighting spirit" à l'armée française, du moins peu d'intentions offensives initialement.
Bien cordialement,
CNE EMB