Rob1 a écrit :
Pierma a écrit :
Sur le plan du renseignement, on peut s'étonner que l'invasion des Falklands ait été une telle surprise. Des préparatifs d'embarquement de cette taille ça se voit.
Grand classique du "ça se voit mais c'est mal analysé". Mauvaises suppositions : "si les Argentins envahissent les Malouines ils utiliseront forcément telles unités d'élite en tête, or celles-ci sont toujours sur la frontière chilienne, donc ils n'ont pas lancé une invasion." Mauvaise interprétation : "il y a telle et telle unité qui prend la mer mais comme il n'y pas d'invasion de lancée, c'est sans doute un exercice"
Je reviens en plus concret sur ce sujet, ayant refeuilleté pour l'occasion la partie sur les Malouines de l'histoire autorisée du GCHQ,
Behind the Enigma (qui est justement la seule de ce bouquin que j'ai trouvée vraiment bonne) :
Avant 1982, les Malouines sont une priorité 4, la plus basse des priorités du renseignement, au même niveau que Brunei et plus bas que Belize, Gibraltar et Hong Kong... Le renseignement de la défense, le Defence Intelligence Staff (DIS), avait seulement deux officiers assignés sur toute l'Amérique latine, ce qui veut dire un officier à la fois.
L'ouvrage parle de la montée de la crise, mais en termes de renseignements concrets présentés dans l'ouvrage, ça se résume à un message du chef de la marine argentine Jorge Anaya du 24 mars, diffusé par le GCHQ le lendemain, qui dit que la marine argentine va retirer les "ferrailleurs" de Géorgie du Sud mais en laisser quelques-uns secrètement. Le but étant de faire pression pour une réunion d'urgence du "groupe Malouines" de l'ONU. L'auteur précise que c'était le seul renseignement qu'eut le GCHQ sur les
intentions de la junte avant l'invasion.
La crise a été suffisante pour que le GCHQ passe en surchauffe, les décrypteurs et analystes de trafic d'Amérique latine se relayant 24h/24. Ce qui fait aussi qu'on a moins archivé les heures de diffusion et qu'on ne peut reconstituer exactement qui a su quoi quand. Du 26 au 30 mars, le GCHQ rapporte diverses préparations navales et la diffusion de rapports argentins sur les positions de la Royal Navy en Atlantique. Le gouvernement britannique semble avoir considéré que les deux camps étaient sur une sorte d'échelle d'escalade de la crise, et qu'il fallait réagir tout en évitant de pousser l'autre à grimper d'un barreau de plus. Sauf que les Argentins ont choisi de sauter directement au sommet de l'échelle, en partie pour des raisons de rivalités internes entre leurs différentes armées. Le gouvernement UK s'alarme à partir du 28 mars, peut-être que les hauts ministres viennent seulement de recevoir le message intercepté d'Anaya, envoient deux SNA pour protéger la Géorgie mais ça demande deux semaines de transit. Le 30 mars, le ministère de la Défense et celui des Affaires étrangères concluent qu'il n'y pas de signe que l'Argentine ait l'intention d'envahir les Malouines. L'attaché naval à Buenos Aires prévient que l'Argentine pourrait monter une petite invasion de Malouine occidentale et demande au GCHQ tout indicateur sur le sujet, qui n'a pas d'indice dans ce sens.
Quelques heures plus tard ce même jour, le GCHQ a plus qu'un indice avec la diffusion d'un ordre envoyé au sous-marin
Santa Fe de mener une "reconnaissance de la plage et/ou débarquement [mot incompréhensible], et ensuite de se positionner vingt milles à l'Est du phare de San Felipe." Mais sans doute noyé parmi des rapports divers, il n'est pas remarqué dans un premier temps, pas plus qu'un autre message annonçant au porte-avions
Veinticinco de Mayo qu'il recevrait des rapports météo spéciaux. Peut-être que personne n'a cherché à savoir où est San Felipe, qui est le nom espagnol du cap Pembroke près de port Stanley.
Ce n'est que près de 24 heures plus tard, tard dans l'après-midi du 31 mars, que le renseignement britannique sonne l'alarme. Sans qu'on sache exactement l'ordre des évènements, on comprend qu'une invasion est en cours sur la base des deux rapports précédents, et d'un ou deux autres diffusés le jour même toujours par le GCHQ : l'un dit qu'un navire auxiliaire argentin doit prendre position au sud des Malouines et un autre, que la 2e brigade d'infanterie de marine doit bientôt débarquer quelque-part.