Diablophil a écrit :
Cela dit, je persiste à croire qu'une fois les accords de Grenelle acceptés par la CGT, le réglement de la question étudiante n'était pas un problême. Je pense que vous surestimez considérablement le poids des quelques lanceurs de pavés du VIème arrondissement. Au contraire vous qualifiez le conflit ouvrier de mai de "classique". Or, je ne pense pas que le terme soit très approprié compte tenu du fait que la France était paralysée par une grêve générale sans précédent (près de 10 millions de grêvistes).
quand je dis "classique" je n'entends pas minimiser le mouvement ouvrier de l'époque ; je veux seulement signifier que les rapports d'affrontements patronat - ouvriers avaient des règles éprouvées que le gouvernement savait comment traiter. Le 27, Pompidou y était d'ailleurs parvenu. Il ne pouvait pas imaginer - pas plus que les leaders de la CGT - que la base ne suivrait pas ses délégués syndicaux.
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Quelle légitimité avaient les quelques leaders étudiants auprès des grêvistes (qui eux étaient répandus sur l'ensemble du territoire) ? Je ne crois pas que les quelques illuminés qui s'enivraient de slogans à Paris aient été en mesure de leur imposer quoi que ce soit.
Ils n'avaient aucune légitimité, bien évidemment et n'étaient pas en mesure d'imposer quoi que ce soit. Ils ne s'y efforçaient pas d'ailleurs. Ils avaient bien conscience des limites de leur mouvement et cherchaient seulement à provoquer une insurrection ouvrière qui pourrait créer une crise à leurs yeux opportune. Mais la n'est pas la question que je soulevais. Ce que je voulais dire, c'est que les autorités n'avaient aucune expérience de ce genre de situation et avaient décidé de la traiter plus tard, une fois désamorcée la crise "classique" (classe contre classe, si j'ose le jeu de mot !).
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Je pense que l'ouvrier moyen de 1968 se fichait pas mal de changer le monde, des mesures prévues par les accords de Grenelle comme l'augmentation du SMIC ou l'indexation des salaires sur l'inflation devaient beaucoup plus l'intéresser.
Vous pouvez même l'affirmer puisque les ouvriers renvoyaient dans leurs facs les étudiants maoïstes qui se présentaient aux portes des usines. Sauf que, dans un dérapage contrôlé par personne, une excitation démente qui ne s'est pas confirmée les jours suivants, ils ont un instant déliré le 27 (en refusant les accords qui leur donnaient pourtant beaucoup) et le 29 en demandant un nouveau gouvernement. La crise est dans ce dérapage que personne sur le moment n'avait imaginé, programmé ni bien compris.
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Mettez-vous à la place du gouvernement de l'époque : d'un coté vous avez quelques milliers d'étudiants en révolte (principalement dans Paris où se trouvent les leaders) et de l'autre une grêve généralisée sans précédent qui paralyse le pays. Si vous êtes assez lucide pour comprendre que les 2 mouvements sont indépendants (peu importe que les leaders étudiants soient persuadés du contraire), alors je crois que votre attention se fixera toute entière sur le règlement de la grêve.
je suis d'accord sur ce point et c'était le calcul même de Pompidou : sérier les problèmes et traiter d'abord celui ouvrier. Je n'ai pas voulu dire autre chose.
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Quant à la révolte étudiante, et bien je crois que personne n'a pu douter qu'une colonne de chars n'eut réglé l'affaire promptement... Peut-être est-ce la manifestation de soutien à sa politique qui a poussé de Gaulle à renoncer à cette solution pour lui préférer la dissolution de l'Assemblée (assortie de sa fameuse intervention à la télévision), puisqu'il a alors pu sentir que l'opinion avait tournée ? Qu'en pensez-vous ?
Je ne pense pas que de Gaulle ait envisagé d'utiliser les chars pour mater les seuls étudiants. Ce serait d'ailleurs contradictoire avec ce que vous disiez ci-dessus de l'insignifiance de ce mouvement en termes d'insurection. Si de Gaulle a envisagé d'utiliser l'article 16 et l'emploi de la force armée c'est qu'il pensait possible une dérive insurrectionnelle de la crise ouvrière. L'année 68 est très chaude dans le monde (ça pèse sur les esprits) et de Gaulle peut avoir surévalué le danger. Ceci étant, son intervention du 30 couplée à la lassitude de l'opinion a suffi à calmer le jeu. Le coup de génie a surtout été de rendre la parole aux Français en provoquant des législatives... Mais, au moment où il doit faire son choix, de Gaulle joue un coup de poker car il ne peut présumer de la réaction des Français.