Faget a écrit :
Darwin 1959, je crains que vous n'ayez jamais connu l'Armée d'Afrique. Le tutoiement était de règle entre cadres européens et troupe indigène et réciproquement. Si par hasard un tirailleur ou un spahi parlait avec son colonel, il le tutoyait et il n'y avait aucun manque de respect, ça ne choquait personne. Cela venait du fait que le vouvoiement est inconnu en Arabe , ainsi qu'à ma connaissance dans les autres langues sémitiques. Un autre exemple quand de Gaulle visita les douars après 1958, les indigènes tutoyaient de Gaulle lors des quelques échanges.
En effet je n'ai pas connu l'armée d'Afrique. Mais j'ai très bien connu des vétérans de l'armée d'Afrique
du Nord de la 2GM, de grades différents, du Maroc, de la génération de mon grand'père. Accordons-nous pour dire que si le tutoiement était "de règle" dans les unités que vous décrivez, il n'était pas généralisé entre inconnus chez les Marocains, comme la circonstance décrite par Bourbilly ("Tu l'aimes la France Mohamed?").
Je ne parle pas de ceux que je n'ai pas fréquenté: ni les Algériens, ni les Tchadiens, ni les vétérans de 1914 ni les travailleurs de 1962 évoqués par Sir Peter. Uniquement des Marocains de la 2GM. Les Douars, Tirailleurs et Spahis fonctionnaient peut-être sur un mode différent.
Surtout, il me semble qu'on utilisait plus volontiers le nom de famille dans les rangs (c'est toujours le cas). Ce serait plutôt "Bentaieb, vous aimez la France?"... Ou "Sergent Bentaieb...". Imaginez le dialogue d'un équipage de blindé, un peu comme celui d'un
Taxi pour Tobrouk: un mixte de français expats, de Marocains francophones juifs et musulmans, et d'étrangers. La société marocaine était très cosmopolite, surtout à Casa, lieu du débarquement et lieu d'engagement de nombreux volontaires. Casablanca était une grande ville cosmopolite.
Pepe le Moko (Alger, 1937) doit donner une idée assez proche de cette variété, pour ne pas parler de
Casablanca (1942). Il y avait dans cette AFN des juifs, des musulmans, des étrangers de longue date ou réfugiés. Il faudrait ouvrir un fil à ce sujet, je le ferai quand j'aurai davantage de temps pour organiser un post un peu conséquent.
Note HS1 @Faget: le vouvoiement respectueux existe bel et bien en Arabe, mais n'a que peu de rapport: les officiers, sous-officiers et Corps Francs du Maroc parlaient en français entre eux, car tous ne parlaient pas l'Arabe. Dans un blindé, vous pouviez avoir des hommes de plusieurs origines. Enfin, @Sir Peter qui évoque de "très riches exceptions" en Algérie en 1962, contexte complètement différent: l'homme dont j'ai retracé le parcours n'était pas spécialement riche, il était simple entraîneur sportif, qui a bénéficié d'une école ordinaire de Casa pour apprendre la culture française comme les français (l'instituteur était un français). Il y avait certainement des miséreux dans les campagnes du Maroc, mais je ne sais pas s'ils sont venus s'engager en masse à Casablanca en 1942. En tout cas, les vétérans que j'ai rencontrés n'étaient pas des crève-la-faim. Le livre de Romain Durand "Les Corps Francs d'Afrique, de Giraud à De Gaulle" en parle en ces termes:
"Les Anglo-Américains débarquent en Afrique du Nord le 8 novembre 1942. Des volontaires - résistants, gaullistes, juifs, musulmans, étrangers antinazis - sont disposés à se joindre aux Alliés pour chasser d'Afrique les forces de l'Axe mais ils ne veulent pas le faire dans le cadre d'une armée d'armistice qui, d'ailleurs, ne veut pas d'eux. C'est ainsi que naît le Corps franc dAfrique qui participera efficacement aux combats du nord-tunisien et à la prise de Bizerte..."
(note HS 2: La date après mon pseudo est 1859, rappelant la date de la publication de l'Origine des espèces, pas 1959 qui pourrait être une date de naissance... mais j'ai grandi sous Mitterrand
)