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Merci pour vos réponses. Donc , la royauté "française" plus tardive est, au moins en grande partie, un héritage "barbare" germanique. Le modéle "empereur gaulois" typiquement romain n'a pas résisté et n' pas tenu. Les Francs saliens (Clovis) ont imposé un modèle et indirectement un vocabuiaire politique '( ce que vous avez montré : rex...pour aboutir au fameux rex francorum et plus tard au rex Franciae. On peut souligner une certaine indépendance de ce point de vue là vis-à-vis de Rome (de ce qu'il en reste) et encore plus de l'Empire romain d'Orient (qui est certes bien loin) (alors même que l'influence romaine est bin présente dans d'autres domaines dans la constitution du "royaume des francs). Avec l'empire carolingien Charlemagne tente de retourner à une certaine romanité avec l'Empire.
La fonction royale chez les anciens germains est assez différente de celle du Moyen Age ultérieur.
Si il semble bien y avoir eu des "rois" chez les anciens germains (et on en retrouve une foule au début de l'âge viking en Scandinavie), le modèle monarchique du royaume de France au Moyen Age découle bien d'avantage du "prince" romain tel qu'il a évolué au Bas Empire.
Si Rome a rejeté le principe de la monarchie, le principat augustéen établit un modèle politique qui dans les derniers siècles de l'empire d'Occident prend tous les atours d'une royauté sans en avoir le titre (dès la fin du IIIème siècle, les empereurs se ceignent le front d'un "bandeau" qui est l'ancêtre de la couronne médiévale d'ailleurs). Et c'est ce modèle qui inspire notamment les rois mérovingiens et surtout Carolingiens qui visent un rétablissement de l'ordre romain dans les premiers siècles du Moyen Age.
Dès Clovis, la royauté chez les francs évolue largement. A la base, le roi chez les anciens germains est "primus inter pares". C'est un personnage influent, un redistributeur, qui par sa réputation, son habileté guerrière et son prestige, arrive à concentrer autour de lui des réseaux de clientèles. Le roi est choisi par l'assemblée (même si la lignée compte assez tôt: n'importe qui ne peut pas être élu, il faut être de sang royal). C'est un chef de guerre, un protecteur, et un redistributeur. Pour ce dernier point, c'est un moteur non négligeable de l'économie des sociétés proto historiques (on retrouve le même système chez les Celtes). Le roi a besoin d'un apport permanent de richesses à redistribuer à ses fidèles, afin de conserver son autorité. Le contrôle des axes de commerce et les expéditions guerrières sont donc fondamentaux pour lui.
Il est également un officiant religieux. C'est lui qui est le garant de l'harmonie entre les hommes et les dieux, qui préside les rites (les sacrifices notamment). Mais son assise politique doit être confortée en permanence et n'est jamais assurée. Son statut n'est pas ancré dans un droit ou une légitimité autre que celle que les hommes libres qui l'entourent lui confèrent.
Le lien entre le roi et le territoire (le royaume) n'est pas clair pour les périodes anciennes. C'est d'autant plus vrai pendant la période des migrations où les rois sont à la tête de confédérations qui bougent et qui s'installent sur des territoires aux frontières fluctuantes, parfois (la plupart du temps) sous l'autorité d'un pouvoir supérieur: celui de Rome, qui demeurera sous la forme du Pape après la dislocation politique de l'empire romain d'Occident. Si on prend l'exemple Scandinave, le territoire est avant tout géré selon le principe de l'Odal: la propriété inaliénable, tenue des ancêtres, de la parentèle. Les rois et autres aristocrates semblent avoir été alors des personnages ayant réunis plusieurs parentèles autour d'intérêts communs: défense du territoire où sont établies ces parentèles, expéditions extérieures dans lesquelles une mutualisation des moyens (et une unification du commandement) est nécessaire, captation et défense de réseaux commerciaux...etc.
Le roi perçoit probablement des tributs de la part des lignées qui sont dans son aire d'influence (en Scandinavie, l'établissement de domaines "classiques" où le roi est propriétaires des terres et où les paysans sont des tenanciers qui leur versent un impôt en échange de l'utilisation de leurs terres, n'a lieu que très tardivement et probablement sur un modèle continental) qu'il redistribue en partie sous la forme de dons (également le fruit du commerce, du pillage) à ses fidèles. Il peut s'appuyer sur une "maisonnée" de guerriers qu'ils s'est attaché auprès des lignées qui sont dans on aire d'influence ou même extérieurs (sous la forme d'otages qui garantissent la paix entre deux ou plus de ces sphères d'influence).
Mais le statut de roi n'a alors pas d'existence juridique ou même d'existence propre: le roi n'est que la résultante d'un consensus, d'un contexte.
A l'époque des migrations, de tels personnages sont à la tête des grandes confédérations qui s'installent petit à petit dans l'empire romain. Ces confédérations ne sont pas extrêmement nombreuses par rapport à la population déjà installée sur place (quelques dizaines de milliers de "migrants" contre des millions de galo romains, par exemple). Leurs chefs, ces "rois", demeurent "rois des francs" car ils coexistent pendant longtemps avec les élites locales. Les deux (les rois et aristocrates germains et les élites locales galo romaines) se fondent peu à peu avec le temps.
Le statut de roi évolue alors, d'une part sous l'influence des structures politiques romaines, et d'autre part sous l'influence du Christianisme qui fonde le principe d'un prince représentant de Dieu sur terre dans un ordre voulu par Dieu. On sent que la légitimité et l'assise politique royale changent de façon radicale. D'un roi qui n'est que le représentant d'une situation politique ponctuelle et localisée, on passe à un roi qui est le représentant du divin sur terre (il n'est plus seulement le garant de l'harmonie entre les dieux et les hommes, il est choisi par Dieu pour régner... on passe d'un "garant" à un "élu").
Cette évolution était déjà engagée pour légitimer le pouvoir impérial au Bas empire. Le pouvoir impérial reste en toile de fond (il "glissera" vers le pouvoir papal quand les différents rois "barbares" parviendront à l'autonomie politique) comme une entité "suprême" qui légitime l'ensemble de l'édifice. D'ailleurs, beaucoup de rois mérovingiens et wisigoths légifèrent et battent monnaie au nom de l'Empereur, parfois plusieurs siècles après la dislocation de l'empire d'Occident. Il me semble que les rois mérovingiens font encore références parfois au pouvoir impérial, parfois celui de Byzance, jusqu'au VIIème siècle.
C'est aussi pourquoi nombre de monarques du Haut Moyen Age, en premier lieu les carolingiens, puis les ottoniens, revendiqueront le pouvoir impérial dans l'idée de rétablir l'ordre romain (qui est l'ordre idéal lié à l'ordre universaliste chrétien voulant que l'on ait un Dieu, un monarque, une Eglise, un royaume, qui doit idéalement être le reflet terrestre DU royaume, celui des cieux). Cet ordre impérial n'est jamais officiellement aboli. Les rois "barbares" du Haut Moyen Age, au moins en Gaule et en Espagne, se voient comme les continuateurs du pouvoir impérial. Ils ont d'ailleurs été établis comme des "gouverneurs" impériaux à l'origine (c'est Rome qui leur confie la défense et l'administration de certains territoires de l'empire avec les pouvoirs qui vont avec, et c'est cela qui les ancre dans un territoire donné).
La monarchie française plus tardive est l'héritière de cette "acculturation politique" des rois germains.
Autre point: dès Dioclétien (fin IIIème, début IVème siècle de notre ère donc), des réformes de la fiscalité impériale (qui est en crise depuis au moins le début du IIIème siècle) "ancrent" de plus en plus une aristocratie locale sur des terres. Par exemple, ce sont les municipes, membres des instances dirigeantes des innombrables cités qui composent l'empire et donc notables locaux, qui sont peu à peu chargés du recouvrement de l'impôt. Et d'autre part, les paysans sont peu à peu, par ce même système fiscal, ancrés sur une terre. Certains historiens (il faudrait que je retrouve les références, je ne les ai pas sous la main) y voient l'origine de la féodalité et du servage, alors que pendant longtemps (notamment après la Révolution Française) on le voyait plutôt comme des éléments hérités des barbares ayant effondré la civilisation romaine.
Ces réformes fiscales et politiques (avec la division de l'empire et des réformes du fonctionnement des cités et de l'appareil administratif impérial, qui établit peu à peu de véritables privilèges , fiscaux, politiques, juridiques, pour les hauts fonctionnaires, notamment les militaires (qui ne sont rarement que ça) changent radicalement l'organisation de la société et de l'Etat romain. Et dans l'empire du Vème siècle dans lequel s'installent de grandes confédérations "barbares" comme les Francs ou les Wisigoth (pour ceux qui ont durablement marqué la partie Nord ouest de l'empire), les bases de l'organisation socio politique médiévale sont déjà largement présentes. Ce sont ces réformes qui fondent l'assise territoriale (et rurale, contrairement à l'organisation du haut empire centrée autour des cités et des centres urbains) d'une aristocratie qui, au Haut Moyen Age, se mêle à l'aristocratie germanique: il en résulte l'aristocratie féodale médiévale (après être passée par les bouleversements liés à l'empire carolingien et son délitement).
Et ce modèle politique donne une assise aux rois d'origine germanique qu'ils n'auraient osé rêver quelques générations auparavant. On voit d'ailleurs archéologiquement que les élites "barbares" tentent de s'acculturer très vite avec les élites galo romaines: ils veulent être associés à l'ordre romain. ainsi un art ornemental que l'on considérait comme "barbare" pendant longtemps était en fait peut-être un art né ce cette volonté d'acculturation avec le monde romain.
Par exemple, les bijoux "typiquement germaniques" à cloisonnés semblent être la résultante de ce phénomène dans la mesure où on en trouve très peu voir aucun dans les territoires d'origine de ces "barbares", et que des analyses récentes, liés à des technologies elles aussi récentes, ont fait apparaître que les pierres précieuses et matériaux de ces bijoux (notament ceux de la tombe de Childéric) venaient du lointain orient (notamment d'Iran actuel, voir d'Inde) et sont très inspirés d'objets byzantins dans leur confection.
Ceci est interprété par certains historiens (comme Bruno Dumezil) comme le fait que ces bijoux aient été des dons du pouvoirs impérial à ces aristocrates "barbares" afin de les reconnaître comme ses représentants. C'était une manière d'intégrer les élites barbares dans l'ordre impérial en somme. Et c'est ce qui fonde avec le Christianisme (ce n'est pas pour rien que Clovis choisit le baptême...) le pouvoir et la légitimité des "rois" "barbares" du Moyen Age. L'origine de la fonction royale médiévale est peut-être bien d'avantage romaine que germanique.
Quant au mot lui-même de "roi", c'est une base effectivement commune aux langues indo européennes. On a "reik" chez les anciens germains, "ryk" (qui de façon intéressante désigne plutôt un territoire) chez les anciens scandinaves, rex chez les latins, et même rix chez les gaulois ("Vercingétorix" signifie "roi des super guerriers").