Je suis d'accord avec gamelin. L'ouvrage de Fassion est passionnant.
SommaireListe des cartes
Avant-propos - La première grande bataille de la guerre de Cent Ans
Première partie - La route de Crécy
Chapitre 1 - La campagne de 1346. Le débarquement en Normandie
Chapitre 2 - La campagne de 1346. De Caen à la Somme
Chapitre 3 - Deux armées face à face
Deuxième partie - Le triomphe d'Édouard III
Chapitre 4 - Une bataille meurtrière… pour les Français
Chapitre 5 - La fin de la campagne : une succession de désastres enrayée par la peste ?
Chapitre 6 - Crécy, tombeau de la chevalerie ?
Troisième partie - Postérités de la bataille
Chapitre 7 - Les leçons politiques de la bataille
Chapitre 8 - Les enseignements militaires de la défaite
Conclusion
Annexe - État des troupes engagées
Lexique
Notes
Sources et bibliographie
Illustrations
Index
Liste des cartes
Citer :
1. Généalogie des rois de France et d’Angleterre
2. Situation territoriale des deux camps en France à la veille des opérations
3. Les alliances à l’échelle européenne
4. La campagne de 1346 de La Hougue à Caen et de Caen à la Somme par Poissy
5. La traversée du Ponthieu et l’approche du champ de bataille
6. La bataille de Crécy : présentation du site du Pré aux Clercs avec les deux armées en ligne
7. La bataille de Crécy : déroulement
8. La fin de la campagne
Avant-propos :
Citer :
La nuit est tombée depuis longtemps, ce samedi 24 août 1346. Il peut être minuit. Une petite troupe d’hommes à cheval arrive devant le château de Labroye, à 5 kilomètres au nord-est de Crécy-en-Ponthieu. La porte est fermée, le pont-levis relevé – des fuyards de l’armée française ont déjà prévenu la garnison que la bataille était perdue et les Anglais vainqueurs. Les cavaliers appellent le châtelain, qui monte aux créneaux et demande qui donc veut entrer à une heure si tardive. La voix de Philippe de Valois lui répond, pathétique : « Ouvrez, ouvrez, châtelain : c’est l’infortuné roi de France ! »
Cette scène composée par Jean Froissart n’a jamais eu lieu. Le célèbre chroniqueur a plaqué sur les événements réels une scène qu’il avait lui-même écrite pour un roman de chevalerie de son cru. Reste que son génie littéraire réussit en quelques mots à suggérer l’invraisemblable issue de la sanglante bataille de Crécy : la transformation du plus puissant prince d’Occident en un misérable fuyard. Quelques mois avant que la Peste noire ne décime leurs royaumes, on pouvait estimer que Philippe VI régnait sur près de 15 millions de sujets, et son rival Édouard III sur guère plus de 5 millions. Leurs ressources financières et leur puissance militaire étaient tout aussi disproportionnées : vers 1340, le roi de France disposait d’au moins 30 000 cavaliers et 30 000 fantassins, alors que l’armée anglaise qui débarqua en France en 1346 comptait moins de 15 000 combattants. Un chroniqueur français du XVe siècle va jusqu’à affirmer que si l’on vendait tout le royaume d’Angleterre, on n’en tirerait pas 1 % de la valeur des biens qu’ils avaient détruits dans le royaume de France... Encore ce bilan effroyable ne pouvait-il, selon lui, donner une idée juste des dommages non matériels : enfants morts sans baptême et privés du paradis, religieuses, épouses et pucelles violées, églises incendiées, reliques détruites et « grande effusion du sang chrestien », autant de malheurs advenus par la « maudicte et mauvaise generacion [race] d’Angleterre ».
Avec une France si peuplée, si riche et si forte, et une Angleterre si pauvre et si faible, Crécy aurait dû en toute logique marquer la fin précoce de la guerre de Cent Ans, tant la victoire semblait promise au Valois. L’armée anglaise écrasée, Édouard III capturé en compagnie de son héritier, on imagine aisément les conditions léonines qui auraient pu être imposées au Plantagenêt. Et pourtant, au soir d’une bataille particulièrement meurtrière pour les Français, c’est bien Philippe VI qui fut contraint à la fuite pour éviter la capture. Écrire l’histoire de la bataille de Crécy, c’est donc tenter d’expliquer une défaite incompréhensible aux yeux de nombre de ses contemporains. Bien des historiens se sont attelés à cette tâche, mais les travaux en français sont rares et succincts en regard des contributions anglo-saxonnes qui se sont succédé depuis l’ouvrage classique du colonel Burne en 1955. L’objet du présent livre n’est pourtant pas seulement d’offrir au public français un état de la recherche étrangère, car d’importants désaccords demeurent, qu’il a fallu arbitrer par un réexamen minutieux des sources.
Rien ne manifeste autant le grand nombre des questions restant à trancher ni l’âpreté des débats entre spécialistes que la dissemblance des deux dernières synthèses consacrées à la bataille, l’une dirigée par les Anglais Andrew Ayton et Philip Preston en 2005, l’autre par les Américains Michael Livingston et Kelly DeVries en 20157. Ce n’est pas forcer le trait que de dire qu’ils ne racontent pas la même bataille ! Leur désaccord fondamental sur l’emplacement exact du champ de bataille les conduit à rendre compte des modalités des combats de façon radicalement différente. En fait, c’est la totalité de la campagne de 1346 qu’ils interprètent de manière opposée. De tels désaccords s’expliquent avant tout par un problème de sources. Les documents comptables, si précieux pour connaître avec précision les effectifs d’une armée, font largement défaut dans les deux camps pour l’année 1346. Il faut donc s’appuyer sur les récits des chroniqueurs, aussi nombreux que contradictoires. Michael Livingston et Kelly DeVries ont édité dans leur ouvrage une soixantaine d’extraits de chroniques relatifs à la bataille, en ne retenant que les textes du XIVe siècle. On y trouve des récits profrançais, comme les Grandes Chroniques de France, véritable histoire officielle du royaume composée à partir du XIIIe siècle par des moines de l’abbaye de Saint-Denis et régulièrement mise à jour pour raconter les règnes postérieurs. Côté anglais, citons la Chronique de Geoffroy le Baker, commande du chevalier Thomas de la Moore, et celle du pseudo-Adam de Murimuth, probable œuvre d’un clerc. Aucun de ces récits ne surpasse en célébrité ceux de Jean le Bel ou de Jean Froissart, qui furent pendant des siècles la référence essentielle des historiens. Deux chroniques italiennes, celle du Florentin Villani et celle dite de l’Anonyme romain, dressent un tableau fort différent des combats. Plusieurs chroniques locales, comme celle de Saint-Omer ou celle du Bourgeois de Valenciennes, ont été largement mises à contribution depuis la fin du XXe siècle. C’est à partir de ce corpus, si large qu’un historien ne peut prétendre en épuiser les richesses, qu’il nous revient de rendre intelligible la première grande défaite terrestre des Français dans la guerre de Cent Ans.