Rebecca West a écrit :
Je note que le livre que vous proposez est abondé d'un dictionnaire. Pourriez-vous avancer un ou deux exemples de ce qui est proposé dans ce dictionnaire ?
Si ceci aide à une meilleure compréhension, je me laisserai tenter.
Voici deux articles :
Jeanne d'Arc ; Histoire et Dictionnaire a écrit :
BÂTARDISE.
Remontant traditionnellement aux écrits de Pierre Caze, au tout début du XIXe siècle, les théories « bâtardisantes » sont en fait beaucoup plus anciennes puisqu'elles remontent à Shakespeare : Jeanne, condamnée à mort, cherche désespérément une échappatoire ; après avoir prétendu qu'elle était encinte, au grand divertissement des nobles anglais qui l'ont condamnée, elle est mise en présence de son père ; elle prétend alors qu'elle est de plus noble origine et se trouve par lui maudite et vouée au bûcher (Henri VI, Première partie, acte V, scène 6). En dépit de son caractère frappant, cette scène ne semble avoir connu aucune répercussion en France. C'est Pierre Caze (1767-1849) qui forge le premier la théorie selon laquelle Jeanne est en fait la fille bâtarde de Louis d'Orléans et de sa belle-sœur Isabeau de Bavière. Présentant les séductions frelatées de la « découverte, de l'inédit, du spectaculaire, cette thèse est reprise abondamment à partir du livre de Jean Jacoby, paru en 1932. Après tout, ne permet-elle pas d'expliquer au grand public une question fondamentale : Pourquoi Jeanne a-t-elle pu être accueillie à la cour ? Les historiens ont beau s'épuiser à démontrer l'impossibilité de la thèse de la « bâtardise » en rappelant par exemple que Jeanne, selon tous les témoignages, est née en 1411 ou 1412 (et qu'elle peut difficilement du coup être la fille du duc d'Orléans assassiné en 1407…), ou qu'elle a été soumise à un examen à Poitiers avant d'être crue. Rien n'y fait. Reprenant inlassablement les mêmes éléments, toujours présentés comme des « révélations » ou comme l'expression d'une vérité longtemps dissimulée par l'« Église », le pape ou les historiens professionnels, de nouveaux écrits paraissent régulièrement à ce sujet et assurent sans doute quelques rentrées d' argent à leurs auteurs.
La théorie « bâtardisante » est parfois combinée avec la théorie « survivantiste » : par un subterfuge compliqué (l'imagination des défenseurs de cette thèse étant sans limites), Jeanne aurait échappé au bûcher de Rouen. Cette idée, qui repose sur l'existence, bien attestée celle-là, d'au moins une femme, Claude des Armoises, qui voulu se faire passer pour Jeanne avant d'être démasquée, n'est, malheureusement pour la Pucelle, pas plus ccrédible que la précédente. S'il reste bien des mystères dans l'épopée de Jeanne d'Arc, toutes les élucubrations ne sont pas permises pour autant !
Xavier Hélary
Voir aussi : Caze (Pierre) ; Fausses Jeanne d'Arc.
et :
Jeanne d'Arc ; Histoire et Dictionnaire a écrit :
FAUSSES JEANNE D'ARC
La mort de Jeanne d'Arc fut reçue avec incrédulité par la plupart des Français : ils avaient accepté l'idée qu'elle était envoyée par Dieu pour porter secours au royaume de France, et sa mort pouvait faire croire qu'elle avait menti, ou qu'elle avait été abandonnée par Dieu. La première solution avait évidemment la préférence du roi d'Angleterre, tandis que le roi de France avait tout intérêt à promouvoir la seconde ; mais dans l'ensemble c'est plutôt le scepticisme ou la perplexité qui semblent avoir prévalu.
L'apparition d'une ou de plusieurs usurpatrices n'a donc rien de surprenant : le retour d'un héros mort brutalement est une constante du folklore mondial, depuis le fils d'Alexandre le Grand jusqu'au commandant Massoud, en passant par l'empereur Frédéric Barberousse, Louis XVII ou la fausse Anastasia. On est d'ailleurs bien renseigné sur les mécanismes de ces usurpations par le livre de Gilles Lecuppre L'Imposture politique au Moyen Age. La seconde vie des rois, Paris, 2005, et par des affaires comme celle de Martin Guerre, dans la deuxième moitié du XVIe siècle (Natalie Zemon Davis, Le Retour de Martin Guerre, Paris, 1982).
On connaît au moins quatre apparitions d'une fausse Jeanne d'Arc entre 1436 et 1456, mais il est probable que certaines d'entre elles, sinon toutes, soient le fait d'une seule et même usurpatrice. La première fois que celle-ci se manifeste, elle se fait appeler Claude. C'est du moins ainsi que la présente la chronique du doyen de l'église Saint-Thiébaut de Metz : « L'an 1436 [ ... ] le 20e jour de mai, vint la pucelle Jeanne qui avait été en France [ ... ] et se faisait appeler Claude » - mais pourquoi diable Jeanne se ferait-elle appeler Claude? Cette fausse Jeanne est reconnue par un certain nombre de gens, dont Nicole (Nicolas) Louve, citoyen de Metz qui avait assisté au sacre de Reims, et, semble-t-il, par les propres frères de Jeanne - sans qu'on soit certain toutefois qu'il s'agisse bien de ses frères, ou de complices chargés jouer ce rôle! Ce qui est certain, en tout cas, c'est que le second de ceux-ci, Jean, passe par Orléans le 31 août 1436 et s'y fait donner de l'argent « pour s'en retourner par devers sa dite sœur »(comptes de la municipalité d'Orléans). Par la suite on n'entend plus parler des frères de Jeanne : ont-ils été abusés un temps avant de réaliser leur erreur, ont-ils cru tirer un profit quelconque de la réapparition miraculeuse de leur sœur qu'ils auraient accréditée en admettant une imposture? C'est impossible à dire, faute de sources. La réapparition de la prétendue Jeanne est en tout cas connue de la France entière : à Arles, le 27 juin 1436, un notaire enregistra un un pari entre deux habitants de la ville quant à la véracité de la survivance de Jeanne.
L'historien luxembourgeois Alain Atten a retracé une partie de l'itinéraire de la fausse Jeanne pour l'année 1436. Prise en charge par le « jeune » comte de de Virneburg, fidèle partisan du duc de Bourgogne et fils du comte Robert chevalier de la Toison d'or, Claude se retrouve en juillet à Arlon, à la cour de la duchesse Élisabeth de Luxembourg-Görlirz. Vers le 17 août, elle y reçoit un messager de la ville d'Orléans, probablement venu aux nouvelles. Ce même mois, toujours dirigée par Virneburg, elle se rend à Cologne, où elle apporte son soutien au candidat bourguignon à l'archevêché de Trèves, Ulrich von Manderscheid. Malheureusemenl pour elle, c'est son adversaire, Raban von Helmstedt, qui finit par l'emporter. Obligée de fuir devant la menace d'un procès en hérésie - elle s'est livrée à quelques tours de prestidigitation qui ont inquiété l'inquisiteur local -, elle retourne à Arlon, où elle épouse Robert des Armoises, seigneur de Tichémont. Elle s'installe ensuite avec son mari à Metz. Elle n'y reste sans doute pas longtemps, : selon une chronique espagnole, mais très tardive, la Pucelle aurait été cette même année à La Rochelle. Elle aurait été ensuite capitaine d'une compagnie de gens de guerre pour le compte de Gilles de Rais jusqu'en 1439. Pierre-Gilles Girault a émis l'hypothèse que c'est elle qui serait désignée comme la « dame de Jarville » dans le procès du maréchal. Jarville-la-Malgrange est un village à proximité de Nancy : s'agit-il là d'une indication sur les vraies origines de la fausse Jeanne d'Arc? Elle s'éloigne en tout cas de Gilles de Rais vers 1439, juste à temps, puisque celui-ci sera exécuté l'année suivante.
Du 8 juillet au 1er août 1439, la fausse Jeanne demeure à Orléans. Accueillie en triomphe par les habitants, elle quitte la ville avant le début d'un banquet qui devait lui être offert. Craint-elle d'être démasquée dans une ville très attaqchée à son souvenir? D'après Pierre Sala, qui écrit à la fin du XVe siècle, c'est dès l'année suivante qu'elle est menée devant Charles VII, qui dévoile sans difficultés son imposture et la fait conduire à Paris pour être jugée par le Parlement. En cette occasion, elle est remarquée par le Bourgeois de Paris, qui raconte dans son Journal qu'elle avait deux enfants, qu'elle avait fait la guerre pour le compte du pape Eugène IV - donc vers 1433 -, qu'elle tint encore garnison par la suite – ce qui semble être une allusion à son séjour chez Gilles de Rais - puis qu'elle « s'en alla ». Peut-être retourna-t-elle en pays bourguignon : il est d'ailleurs fort surprenant que Jeanne ressuscitée se soit mise au service du parti qui l'avait capturée et livrée aux Anglais...
Une série de témoignages plus tardifs permet de suivre cette fausse Jeanne, à moins qu'il ne s'agisse d'une autre tentative. Dans une enquête menée en 1476 à la demande de Collot de Perthes pour faire constater sa parenté avec la famille de la Pucelle, trois témoins, Jean Le Montigneue, Jean Guillaume et Simon Fauchart, rapportent le passage de « Jeanne la Pucelle » au village de Sermaize (près de Vitry-le-François) dans les années 1449-1452. Elle y serait venue dans l'intention de se faire reconnaître par Perrinet et Poiresson de Vouthon, cousins germains de la Pucelle - il n'est plus fait mention de ses frères. Leur père Jean de Vouthon, oncle maternel de la vraie Jeanne, était venu s'installer à cet endroit vers 1415. S'agissait-il d'une nouvelle campagne d'escroquerie de Claude des Armoises, ou d'une autre aventurière? On ne sait, mais là encore elle était entourée de comparses, dont l'un est identifié : il s'agit de Collesson Coutant, un cordonnier orléanais qui était justement originaire de Sermaize et que l'on sait avoir été en relation avec la mère de Jeanne d'Arc à Orléans.
En 1456, année de la réhabilitation de Jeanne d'Arc, on retrouve mention d'une fausse Jeanne appelée cette fois de Sermaize, mariée à un certain Jean Douillet et qui fut un temps emprisonnée à Saumur. On ne sait si cette Jeanne « de Sermaize » était ainsi appelée parce qu'elle vivait dans ce village (situé à l'est d'Angers) ou si c'était par confusion avec le nom « des Armoises », mais peut-être le nom lui avait-il été inspiré par son passage à Sermaize. Il s'agit de la dernière mention connue d'une fausse Jeanne. Il est vraisemblable qu'il s'agissait de la même que les fois précédentes : Thomas Basin, quand il parle de l'usurpatrice à cette occasion, ne fait état que d'une seule et même personne.
Il ne faut pas confondre cette fausse Jeanne avec celle que l'on appelle « la Pucelle du Mans », connue par un récit de Jacques du Clercq : âgée d'environ vingt-deux ans en 1460, elle s'appelait Jeanne la Féronne et était native d'un village appelé « Caze-lez-Unnon » dans les sources (Cossé-le-Vivien ?). Elle fut exorcisée par l'évêque du Mans, Martin Berruyer, qui écrivit à Marie d'Anjou, reine de France, qu'elle était possédée du démon et qu'elle prophétisait faussement. Menée devant le conseil du roi, elle fut convaincue d'être une fabulatrice et condamnée à être exposée au pilori à Tours. La confusion entre les deux Jeanne, attestée dès 1504, semble tenir au fait que Martin Berruyer avait rédigé un mémoire inséré dans le procès de réhabilitation de Jeanne : Jeanne la Féronne était bien trop jeune pour se faire passer pour Jeanne d'Arc, qui aurait eu alors quarante-huit ans.
Olivier Bouzy
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