Pourquoi s’orienter souvent vers un symbolisme loin des réalités quotidiennes de la renaissance ? D’abord, la chasse aux sorcières ne fut pas une création du moyen âge. Les premières "chasse aux sorcières" débutèrent vers le milieu du 15ème siècle, à la toute fin du moyen-âge. Les tribunaux les plus meurtriers furent organisés entre 1580 et 1630. La dernière sorcière à être condamnée en Europe (Anna Goldi) le fut en 1782 en Suisse. Il eut environ 100 000 procès et 50 000 exécutions dont 35 000 dans les pays du monde germanique.
La chasse aux sorcières (car les victimes étaient essentiellement des femmes) se situe à une période ou l’Europe était aux prises avec une période de grandes catastrophes : le continent venait de sortir de la terrible guerre de cent ans, de la grande peste de 1348-1349 (qui se déclenchait chaque décennie depuis la dernière grande peste du 14ème siècle) et qui détruit une grande partie de la population citadine du continent, des grandes jacqueries et venait d’entrer dans une période de grande insécurité marquée par les maraudes des gens en armes et la grande guerre de trente ans qui ensanglanta l’Europe centrale et fit perdre aux territoires germaniques un tiers de leur population. Par ailleurs, les massacres au nom de la religion ou autres raisons politiques connurent leur apogée avec le Saint Barthélemy ( le 25 Août 1572 )... .et puis il eut le long refroidissement du climat de 1550. Certains historiens ont attribué les longs bûchers ou on brûlait les sorcières au rude froid du climat des régions proches de l’Europe centrale.
Tout ce déchaînement de maladies, de guerres et de cruauté fit que dans certaines régions frontalières (Lorraines, région des Alpes,…), un grand pessimisme et une grande fatalité des esprits prenaient le haut du pavé dans les tourmentes quotidiennes des paysans et des gens des villes. Ce fut, le moment clé ou les croyances dans le diable, dans l’apocalypse et dans le triomphe du mal étaient les grandes anti-valeurs et les grandes muses de l’époque. La mort est devenue partout victorieuse. L’art et la littérature exprimèrent cet état de fait. « Les danses macabres », « le triomphe de la mort » et « la grande faucheuse » étaient les grands thèmes de l’art mineur. Les livres associant illustrations et textes sur le mal, sur la mort furent de véritables best-sellers. C’est à ce moment aussi ou la femme a été associée au mal : « les trois âges de la mort » de Hans Baldung illustre bien cette corrélation et c’est peut être cela qui alluma les grandes chasses aux sorcières.
Le diable fit une remarquable apparition au 14ème et 15ème siècle. Les nombreuses images de l’art roman (griffons, petits monstres,..), fertiles créations de l’imaginaire médiéval des évêques, n’étaient rien comparativement au grand Lucifer puissant et terrifiant, seigneur et omniprésent (il n’était plus seulement extérieur mais également intérieur), il pouvait donc couler dans le sang et se cacher dans les entrailles des hommes de bêtes. Ce furent principalement les femmes qui passaient pour être les principales réceptacles du démon. D’ailleurs, l’image de cette dernière fut terriblement déformée à partir du15ème siècle, paradoxalement avec l’apport de l’art.
« Le personnage de la sorcière, vieille, laide, puante, ou bien diaboliquement belle, tentatrice et lubrique, apparaîtra à certains comme une évidence, tant le livre et l'art l'auront diffusé » et fut le corollaire des images dressées par la pensée médiévale des clercs. On peut citer les nombreuses missives la concernant : "Femme, tu es la porte du Diable! »(Tertullien) ;"la beauté physique ne va pas au-delà de la peau. Si les hommes voyaient ce qui est sous la peau, la vue des femmes leur soulèverait le cœur. Quand nous ne pouvons toucher du bout du doigt un crachat ou de la crotte, comment pouvons-nous désirer embrasser un sac de fiente?" (Odon, abbé de Cluny au Xème siècle), ou enfin "la femme est un mâle déficient et doit rester sous tutelle" (Saint Thomas)....Ces trois citations n'étant qu'un modeste extrait d'un genre foisonnant.
Par ailleurs, les histoires tragiques se multiplient durant le 16èmes siècle. Je cite notamment celle de Rosset qui raconte par exemple celle de La Jaquière, lieutenant du guet à Lyon et amateur de "garces"... Une nuit, faisant sa ronde, il déclare à ses compagnons que si le diable se trouvait devant lui, il ne le lâcherait pas avant d'avoir obtenu de lui ce qu'il voudrait... Alors, apparaît au détour de la rue une magnifique jeune femme accompagnée de sa suivante. La Jaquière l'escorte jusqu'à sa demeure. Peu farouche, la belle ne tarde pas à céder aux avances du lieutenant, puis de ses compagnons... Avant de leur demander, soudain distante, s'ils savent à qui ils ont eu affaire... et, retroussant ses jupes, de leur montrer "la plus horrible, la plus vilaine, la plus puante et la plus infecte charogne du monde"...La maison disparaît en un coup de tonnerre. La Jaquière et ses compagnons périront le lendemain.
Mais ce qui fit de la chasse aux sorcières un véritable programme politique fut les Démonologies et les manuels de chasse aux sorcières. Ces derniers furent de véritables textes de propagande, ils édifièrent le mythe de la sorcière et cristallisèrent son image dans les esprits. Ce qui est assez paradoxal, c’est que ces textes ne furent pas des textes ecclésiastiques mais séculiers rédigés par d’éminents juristes (De Lancre, Bodin). Leur thèse est la suivante : le mal, la sexualité et le démon forment un grand complot contre l’homme, pour le détruire, il faut recourir à toutes les mesures coercitives, même la torture. C’est durant cette phase que la femme fut définitivement associée au démon. « Le marteau des sorcières » ((Malleus maleficarum ) fut un véritable manuel de chasse qui fut suivit par bien d’autres, l’un de ses passages confirment le sinistre reproche fait aux femmes « « Il y a comme un défaut dans la formation de la première femme, puisqu’elle a été faite d’une côte courbe, c’est à dire d’une côte de la poitrine, tordue et comme opposée à l’homme, il en découle aussi de ce défaut que, comme un vivant imparfait, elle déçoit toujours ». Ce livre fut rédigé par deux inquisiteurs (Jacques Sprenger et Henri Institoris) et donna lieu à la bulle du Pape Innocent VIII de 1484 qui eut des conséquences terribles pour la grande et sinistre chasse aux sorcières du 15ème et 16ème siècles. Beaucoup de ces manuels firent leur apparition dans un monde déjà tourmenté par le démon.
Mais je dois dire que toutes ces vérités historiques me laissent sur ma faim ! Si la renaissance fut cette grande période d’humanisme pourquoi tant de sinistres bûchers furent organisés. Pourquoi l’esprit libre et l’essor des idées scientifiques, de l’imprimerie et des arts furent incapables d’éviter à l’Europe 50 000 victimes accusées de Sorcellerie sans aucune preuve matérielle ?
Pallas
_________________ « La guerre qui fut jadis cruelle et glorieuse est aujourd'hui cruelle et sordide » Winston Churchill.
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