CEN_EdG a écrit :
Bonjour,
On lit souvent que le choc microbien causé par les maladies importées par les Européens fut déterminant dans l'affirmation de leur suprématie politique et militaire et donc dans la facilité (relative) avec laquelle ils purent coloniser les Amériques entre l'extrême fin du XVe siècle et le XVIIIe siècle.
Sans remettre du tout en cause son importance et encore moins sa réalité, il y a une chose que je ne m'explique pas : pourquoi les Européens n'ont-ils pas succombé eux aussi à un choc microbien ? En effet, celui-ci marche dans les deux sens, les anticorps n'existant pas chez les Amérindiens pour les maladies européennes telles que la variole, mais n'existant pas plus chez les Européens pour les maladies indigènes. Alors quoi, il n'y avait pas de maladies en Mésoamérique avant l'arrivée des Conquistadores ?
Merci de vos réponses.
Cordialement,
CEN EdG
En fait, il y a bien eu un choc microbien en-retour vers les occidentaux... Sauf que les conditions furent très différentes. En fait, dans un premier temps, pour bien comprendre tout cela il faut faire un bon en arrière de quelques millénaires, environ 13 à 14 000 ans, si on se base sur les découvertes les plus récentes.
Donc, au cœur du mésolithique, des
chasseurs-cueilleurs sibériens, sûrement en pourchassant du gibier ou en suivant des troupeaux passent de l'Asie en Amérique. Il faut bien prendre en compte le fait qu'il s'agit de chasseurs-cueilleurs. Contrairement à ce que croient beaucoup de monde leurs contacts avec les animaux sont relativement rares et durent peu de temps. En fait, dans la plupart des cas, ils chassent leurs proies, les tuent et puis les dépècent. Les contacts avec des animaux vivants sont limités. Ils ont pourtant avec eux quelques chiens, puisqu'il parait que nos chiens descendraient majoritairement de loups asiatiques...
Quelques millénaires passent, et les chasseurs-cueilleurs de certaines régions commencent à se sédentariser, ce qui est le signe qu'ils arrivent à exploiter leur milieu en permanence. Certains d'entre eux développent l'élevage et il vont domestiquer des mouflons, des chèvres, des aurochs, des chevaux, des sangliers, plus diverses sortes de volailles et un peu de petit gibier. Les éleveurs vivent en contact des animaux qu'ils exploitent, donc les maladies vont transiter entre animaux et humains. C'est un jeu assez complexe avec des virus et des bactéries qui sautent de l'animal vers l'homme pour revenir vers l'animal, et ainsi de suite. Ainsi, dans le cas de la tuberculose, il y a 20 ans, on pensait que c'était une maladie que nous avaient transmises les bovidés. Mazis, des études récentes semblent montrer qu'en fait, les bovidés ont attrapé cette maladie au contact des premiers éleveurs. En fait, le premier "réservoir" serait humain, puis le bacille serait passé à l'animal, où il aurait évolué, pour revenir chez l'homme ayant gagné en virulence. Bon, on connait la suite, l'agriculture, les premières civilisations ....
Nos chasseurs-cueilleurs amérindiens ne chômèrent pas de leur coté. Ils ont eu 2 continents à coloniser. Ensuite, eux aussi connurent les joies de l'élevage et de l'agriculture. Sauf qu'en Amérique, il n'y avait pas de gros herbivores qui pouvaient être domestiqués comme nos vaches, nos buffles et nos chevaux. Ils se contentèrent des petits camélidés disponibles, dont le
lama est l'un des exemplaires de plus grande taille... C'est sûr que les peuples cavaliers auraient eues une autre figure et une autre histoire s'ils avaient du se contenter de telles montures...
Mais, il y a 2 autres faits qu'il faut prendre en compte. Le premier est le fait que les contacts n'ont jamais cessé entre les peuplades de ce que l'on nomme l'Ancien Monde. Et avec eux, les virus, les bactéries, parasites, brefs tout un monde microscopique a été brassé. Je reviendrais sur ce point un peu plus tard. Second fait, les chasseurs-cueilleurs sibériens qui ont franchi le détroit de Béring furent peu nombreux, certains parlent de quelques centaines d'individus. Bref, ils furent soumis à
l'effet fondateur. Je conseille d'aller lire le lien wikipedia qui est dans la phrase précédente, car il explique mieux que je ne le ferais cet effet fondateur. Bref, les futurs amérindiens n'amenèrent avec eux qu'une partie des microbes auxquels étaient exposés les populations de l'Ancien Monde. Et ils se sont adaptés à ceux-ci. Mais, ils ne purent pas s'adapter aux évolutions qui avaient lieux dans l'Ancien-Monde, ni aux microbes auxquels les chasseurs-cueilleurs furent très peu exposés.
Du point de vue bactériologique, le Nouveau-Monde était un paradis vis-à-vis de ce qui se passait dans l'Ancien-Monde. L'Ancien-Monde ce sont les 3 continents suivants : Afrique, Asie, Europe. Les archéologues ont constaté qu'il y a toujours eu des échanges entre les diverses populations qui occupaient ces 3 continents. Le réservoir de maladies fut donc immense, d'où les vagues de pestes qui ont déferlé plus ou moins régulièrement.
Ensuite, certains chercheurs se sont étonnés du fait, discuté dans diverses discussions du forum préhistoire, que nous semblons descendre sur le plan génétique des populations d'agriculteurs du Moyen-Orient... En fait, ce n'est pas tout à fait vrai, nous avons aussi, mais en moindre quantités, des gènes de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs... L'une des possibilités de cette colonisation des territoires par les éleveurs et les agriculteurs, aux dépends des chasseurs-cueilleurs est peut-être d'origine microbienne. Quand les agriculteurs s'installaient dans une nouvelle terre, ils apportaient avec eux leurs maladies, auxquelles ils été "habitués". Dans ce cas, il faudrait voir l'avancé des peuples néolithique comme une succession de petits chocs microbiens. Les agriculteurs néolithiques s'installent sur une nouvelle terre, ils entrent en contact avec les chasseurs-cueilleurs et ils échangent des denrées et des outils. Une épidémie se déclare, la population des chasseurs-cueilleurs est décimée, les agriculteurs intègrent les survivants et on vit en paix jusqu'au prochain déplacement. C'est un scénario possible, sauf qu'il est à peu près impossible de le démontrer ou de l'infirmer. Les archéologues voient qu'il y a eu des contacts, puisque des traits culturels sont transmis des chasseurs-cueilleurs vers les populations néolithiques. Sauf à certains endroits où l'acculturation fut rapide et profonde. Nos gènes portent les traces des contacts entre ces diverses populations. Mais l'histoire de cette protohistoire est très difficile a écrire dans les détails.
Sur le plan bactériologique comment se situent les diverses populations qui vont se rencontrer suite à la découverte des Amériques en 1492 ? D'un coté, il y a les habitants de l'Ancien-Monde, ils vivent dans un monde "intégré" où animaux de ferme et humains vivent en contact réguliers, voire continus. Le réservoir est immense et couvre 3 continents qui ont des écologies très différentes. De plus, des vagues épidémies ont sélectionné les individus résistants aux divers microbes qui circulent...
Coté Nouveau-Monde, il y a des populations totalement "naïves" à certains microbes. En fait s'il y a eût des contacts, ils remontent à eu moins 15 000 ans. Bref, il n'y a pas d'anticorps disponibles pour lutter contre certaines maladies. Alors que les habitants de l'Ancien-Monde sont en contact avec les descendants des microbes que les sibériens ont amené sur le nouveau continent ...
Bref, la suite on la connait. Chez certaines populations on a un taux de survie aux diverses vagues épidémiques qui vont balayer le Nouveau-Monde inférieur à 10%. Cela veut dire qu'en quelques années, des millions de personnes vont disparaitre et cela va déstructurer les sociétés ce qui va rendre la colonisation plus facile.
Mais, on sait l'impact qu'eurent les Grandes Épidémies sur les populations de l'Ancien-Monde sur le plan des idées. Il suffit de lire les textes qui nous sont parvenus. Je pense qu'il y a dû y avoir quelque chose de similaire chez les élites de certains des peuples pré-colombiens : vous voyez des gens mourrir en nombre autour e vous et on vous annonce la venue d'envahisseurs qui ne semblent pas souffrir des maladies qui vous assaillent ...