Tonnerre a écrit :
Au XVIIIe siècle, la France est presque constamment engagée dans des guerres impliquant les grandes puissances européennes dans un jeu de coalitions complexe. Certaines des batailles les plus célèbres de l'histoire militaire française ont eu lieu au XVIIIe. Pour mémoire...
Par XVIIIème siècle, j'entendais à partir de la fin du règne de Louis XIV. C'est la division historiographique traditionnelle, y compris sur ce forum. Donc la Guerre de Succession d'Espagne n'y entre pas. Pour la période qui va de 1715 à la Révolution, les guerres sont beaucoup moins nombreuses qu'au siècle précédent et beaucoup moins "importantes", dans le sens où elles ne mettent plus en jeu la sécurité du royaume ou de l'Etat, définitivement assurée après Louis XIV, qui clôt ainsi une période ayant grosso-modo débuté avec la Guerre de Cent ans.
Les guerres que vous citez sont soit de petites "escarmouches" (Guerre de la Quadruple alliance, Guerre de Succession de Pologne, Guerre de Corse), soit des guerres coloniales (Guerre d'Indépendance américaine, Guerre de Sept ans et de Succession autrichienne sur le continent américain). Les deux grosses guerres du siècle sont la Succession autrichienne et la Guerre de Sept ans. Or aucune des deux ne se mène pour sauvegarder le royaume, pour sauver l'Etat. On se bat pour aider un allié, pour maintenir un équilibre... Quand la France gagne la Succession autrichienne, Louis XV rend tout et accepte même de détruire les fortifications de Dunkerque pour faire plaisir au vaincu ! Bref, on est loin des guerres "nécessaires" pour le royaume, des guerres de défense. On a surnommé les guerres du XVIIIème siècle les "guerres en dentelles", évoquant la frivolité avec laquelle elles étaient – non pas menées, parce qu’une guerre est une guerre-, mais déclarées et conclues.
Et puis, je l’ai écrit dans le message précédent, la guerre elle-même change de nature. Elle devient coloniale et maritime autant que continentale, et les nobles n’y participent pas ou peu. L’artillerie devient l’alpha et l’oméga et il n’y a pas besoin d’être noble pour faire tirer un canon.
Bref, la noblesse a perdu son rôle de gardienne du royaume, rôle qu’elle avait tenu durant un bon millénaire.
Tonnerre a écrit :
D'autre part, c'est un stéréotype de l'historiographie progressiste du XIXe siècle que d'affirmer que la noblesse française a été parasitaire parce qu'elle n'a pas assumé de responsabilités économiques, contrairement à la noblesse anglaise qui, elle, se serait adaptée sans états d'âme au capitalisme.
Dans un de ses ouvrages que j'ai déjà cité ailleurs, JM Constant constate que les deux noblesses étaient finalement assez peu différentes, au moins jusque vers le milieu du XVIIe et que la noblesse française ne s'est guère moins engagée dans l'industrie et l'agriculture moderne que son homologue britannique. D'ailleurs, autant que la dérogeance, les protestations de bourgeois peu désireux de se voir concurrencer par de riches nobles dans leur domaine d'activités commerciales a été un frein à cet engagement de la noblesse dans les activités économiques, frein qui ne l'a pas empêchée d'occuper le domaine de la métallurgie et de la verrerie quasiment exclusivement pendant longtemps, ainsi que de jouer un grand rôle dans l'armement de navires et le grand commerce (cf Compagnie des Indes) et de s'intéresser aux méthodes agricoles modernes.
"Rien n'est plus faux. La noblesse française est largement aussi occupée que la noblesse anglaise" écrit Constant à propos de ce stéréotype de l'oisiveté noble;
un auteur anglais, L. Stone, réfute aussi cet autre stéréotype: que la noblesse anglaise était beaucoup plus ouverte que la noblesse française (dans un article des Annales intitulé "La noblesse anglaise, une noblesse ouverte?") Selon Constant et Stone, les taux de renouvellement des deux noblesses étaient proches, et on s'assimilait à la noblesse anglaise de la même façon qu'à la noblesse française: par l'argent et la vie noble essentiellement, et aussi en suivant un certain parcours (fonctions et charges).
Les deux noblesses ont divergé au XVIIe, en ce sens que la noblesse anglais est devenue un groupe ayant une vocation sociale et politique, alors que la noblesse française n'avait qu'un rôle social. A noter que les développement de la Chambre des Communes s'est fait en parallèle avec le développement de la gentry, composée d'individus de familles de petite noblesse mais aussi d' "honorables", c'est à dire des cadets des familles de la noblesse, seul les ainés héritant du titre, de la pairie et de la qualité noble en GB, contrairement à ce qui se passait en France.
Heu... oui mais nous parlions précisément du XVIIIème siècle, pas du XVIIème. Il n’y a pas de problème de légitimité de l’exemption fiscale noble au XVIIème étant donné que l’aristocratie paye toujours l’impôt du sang à cette époque.
Ceci dit, même au XVIIème, Richelieu a toutes les peines du monde à impliquer la noblesse française dans les compagnies maritimes qu’il souhaite développer, malgré les assurances répétées que l’aristocratie ne dérogerait pas en y investissant.
Et il y a effectivement la dimension politique dont vous parlez.