Aigle,
Cette question m'a intéressé il y a quelques temps, aussi ai-je accumulé quelques éléments de réponse qui, je l'espère, vous satisferont.
De manière préliminaire, une remarque : Corbie et les "désastres" français, c'est en 1636 (Corbie est prise le 15 août 1636 par les Espagnols, reprise par les Français le 14 novembre 1636 ; la perte de Saint-Jean-de-Luz et l'invasion espagnole de la Bourgogne datent également de 1636).
Sinon : 1) la France - et j'entends le roi et le cardinal par cela bien sûr - ne voulait pas de la guerre. Elle n'entre dans un conflit germanique que parce que son champion suédois, censé assurer l'équilibre des forces en Allemagne, a été tué en 1632 et surtout parce que son armée jusqu'alors victorieuse est sèchement vaincue à Nordlingen le 6 septembre 1634. Elle ne s'y est donc pas vraiment préparée militairement ; il est trop tôt et elle n'envisageait un engagement direct que plus tard. 2) si Richelieu est ministre depuis 1624, loin s'en faut qu'il ait préparé l'intervention française depuis cette année-là ! Il a surtout été préoccupé par le rabaissement de la puissance huguenote jusqu'en 1629 (prise de Privas), incluant un volet militaire essentiellement naval contre l'Angleterre, puis par la nécessité de juguler les complots et cabales divers et variés qui animent la vie politique française d'alors, et ce au moins jusqu'en 1633. 3) l'armée française est en pleine transition. Elle a subi une réforme en profondeur en 1635 (voir le grand nombre de régiments, ayant encore aujourd'hui une filiation, qui ont été créés cette année-là) qui doit la faire passer du statut de force de police intérieure à peine suffisante à mater les huguenots ou les Grands rebelles à une armée d'envergure européenne. Elle n'est donc absolument pas prête en 1635, sauf en cas de conditions tactiques optimales (notamment un rapport de forces nettement à son avantage, ou si elle est commandée par un leader charismatique capable de faire pencher le sort des armes par son coup d'oeil - ce qui sera le cas à Rocroi en 1643, après huit années où elle aura emmagasiné une expérience déterminante) à contrer la puissance de choc des Tercios espagnols, constitués et de loin de la meilleure infanterie d'Europe. Qui plus est, elle est grevée par une logistique tout à fait défaillante, l'expérience - déjà parfois dramatique et laborieuse - acquise lors des guerres d'Italie ayant sombré dans les luttes fratricides qui ont égrené la seconde moitié du XVIe siècle et qui ont vu l'armée française profondément régresser en ces matières d'intendance et de planification (c'est ce qui explique qu'une campagne qui s'engage dans les meilleures conditions en 1635, notamment par une victoire certes partielle à Avein le 30 mai 1635, s'achève dans la confusion et l'échec, l'armée des maréchaux de Châtillon et de Brézé, malgré l'appui hollandais, étant décimée à l'automne et obligée de rétrograder en Picardie).
Afin de mettre en valeur mes points 2 et 3, prenez l'exemple de l'armée dite franco-weimarienne, cette force militaire "louée" au duc de Saxe-Weimar qui verrouille les frontières orientales du royaume pendant trois ans, de 1638 à 1640, avant de constituer le socle sur lequel est constituée l'armée d'Allemagne qui, sous Guébriant de 1639 à 1643 puis sous Turenne de 1643 à 1648, ira de victoire en victoire et sera décisive dans l'obtention de conditions de paix si favorables à la France aux traités de Westphalie. C'est une armée initialement mercenariale, renforcée certes d'un contingent français. Elle triomphe, notamment grâce à ses chefs (Saxe-Weimar, Guébriant et Turenne sont des généraux de tout premier ordre), d'ennemis nettement supérieurs en nombre. Comparez là à l'armée de Champagne ou aux armées qui opèrent en Catalogne et en Italie : leur capacité à s'imposer de manière décisive à leurs adversaires est bien moins nette, et il faut attendre les années 1640-1643 (encore qu'avec la cinglante défaite d'Honnecourt en 1642...) pour que la balance s'équilibre et que l'armée française commence à être capable de tenir la dragée haute à des Espagnols supérieurs tactiquement depuis un bon siècle.
CNE503
_________________ "Sicut Aquila"/"Ils s'instruisent pour vaincre"/"Par l'exemple, le coeur et la raison"/"Labor Omnia Vincit"/"Ensemble en paix comme au combat"/"Si Vis Pacem Para Bellum"/"Passe toujours !"
Dernière édition par LCL_511 le 20 Août 2011 15:07, édité 1 fois.
|