Petite évocation de la cérémonie inaugurale de la statue de Bara à Palaiseau (en grande partie réalisée à partir des journaux suivants : Le Petit parisien, Gil blas, L'Intransigeant, La Justice, La Lanterne, La Presse, Le Constitutionnel, Le Gaulois, Le Petit Journal, Le Rappel, Le Siècle, Le Temps).
Les festivités eurent lieu le dimanche 11 septembre 1881 et connurent un vrai succès populaire (largement relayé par la presse), et ce, malgré le temps pluvieux qui gâcha quelque peu la fête.
Dès dix heures, plus de soixante sociétés chorales et autres musiques d’harmonie et fanfares, participant au concours musical organisé par la municipalité défilèrent dans la petite cité dont les rues avaient été pavoisées pour l’occasion. Ainsi, dans les principales voies, trophées, arcs de triomphes, oriflammes, rubans, drapeaux, guirlandes de fleurs et de feuillages, bustes de la république, verres aux couleurs nationales ornés du nom de Bara, écussons aux initiales R.F. ou J.B. s’offraient au regard.
Le défilé stoppa au n°117 de la rue de Paris, sous un arc de triomphe orné de drapeaux et d’écusson aux armes de la République et dont le fronton était frappé de l’inscription « La famille Bara ». Ladite maison était en effet habitée par M. Ollivier, vieillard de 70 ans, qui avait épousé Charlotte Bara, l’une des trois sœurs de Joseph. Entouré de près d’une trentaine de membres de sa famille, il fut chaleureusement ovationné.
A 14 h 00, une nombreuse foule venue avec le train de Paris arriva à Palaiseau ; suivie une demi-heure plus tard par un cortège de voitures amenant le général de brigade Thibaudin, représentant du ministre de la Guerre, le général Farre ; ainsi que d’autres personnalités de marque telles que Cottu, préfet de Seine-et-Oise, Rameau, député, Gilbert-Boucher, sénateur.
Au son de la Marseillaise jouée par la fanfare municipale, ces derniers furent accueillis par Bouclier, maire de la commune et président du comité responsable de l’érection de la statue du jeune héros.
Tous se dirigèrent alors vers la place de la mairie où s’assemblèrent près de deux mille personnes. Sur l’estrade adossé à la mairie, outre les invités de marque déjà cités, on pouvait apercevoir Benjamin Raspail, député de la Seine, Liouville, député de la Meuse, les membres du Comité, ceux du Conseil municipal de Palaiseau, Cadet et Mesureur, conseillers municipaux de Paris, les officiers du 90e de ligne, Ollivier, les chefs de délégations maçonniques, Bidal, orateur délégué des loges, ainsi que Mme Jarrethout, ancienne cantinière des Francs-tireurs de Châteaudun qui s’était couverte de gloire lors de la Guerre de 1870-1871.
Débuta alors sur la place le défilé d’un long cortège mené par la compagnie des sapeurs pompiers de Palaiseau. Suivaient la fanfare municipale jouant la Marseillaise, les anciens défenseurs de la patrie, les délégués des loges maçonniques (parmi lesquelles la Rose écossaise, l’Hirondelle, les Hospitaliers de Palestine), la fanfare de la Lyre de Montmartre, les Flobertistes du 20e arrondissement, les enfants du bataillon scolaire du Pecq, les sociétés chorales et instrumentales.
Parmi les nombreux groupes présents sur la place, se tenaient également des délégations des départements et des villes d’Amiens et de Chartres (dont la bannière honorait un glorieux Chartrain : Marceau, qui lui aussi batailla en Vendée), une compagnie du 90e de ligne, des députations des écoles de Paris et de Chartres.
A 16 h 00, aux cris de Vive la République, on leva enfin le voile tricolore couvrant le monument représentant le jeune Bara, en uniforme de hussard, sabre au poing, sur le point de tomber.
Erigée grâce à une souscription publique (son coût s’éleva à 5 000 francs), l’œuvre de Lefeuvre avait été préalablement présentée (sous forme d’un modèle en plâtre) au Salon de 1881. Haute de 1 m 60, en bronze (fourni par le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts), elle reposait sur un piédestal en pierre d’Euville mesurant 2 m 70, édifié par l’architecte Leblanc. L’ensemble était entouré d’une grille en fer forgé, fabriquée par Chatelain, serrurier à Palaiseau.
En ce 11 septembre 1811, le piédestal n’était pas encore gravé. Ce n’est que par la suite que les inscriptions suivantes furent apposées :
(face antérieure
A
JOSEPH BARA
NE A PALAISEAU
LE 31 JUILLET 1779
MORT EN VENDEE
LE 17 FRIMAIRE AN II
(face postérieure : )
SOUSCRIPTION NATIONALE
P. BOUCLIER, MAIRE
PRESIDENT DU COMITE
11 SEPTEMBRE 1881
Ensuite, des vieillards, au nom des loges maçonniques, vinrent déposer une couronne en chêne doré au pied de l’estrade. Après quoi, la gerbe fut portée par des enfants de Palaiseau face à la statue
Une couronne d’immortelles fut également déposée par un enfant âgé de 8 ans, membre de la famille Ollivier.
Puis, M. Davrigny, du Théâtre français, récita une poésie de Fabre des Essarts. En voici quelques passages :
« Treize ans ! A peine l’âge où Sophocle naissant
Chantait sur le luth d’or l’hymne de Salamine ;
Doux être ayant encor ce sourire innocent
Qui fait que l’humble vierge, au seuil de sa chaumine,
Ne rougit point en l’embrassant.
Treize ans ! Et, sans passer par les horizons mièvres
Où se berce l’essor des banales amours,
Sentir soudain en soi frémir les grandes fièvres,
S’en aller, oublieux de l’aube des beaux jours,
La République au cœur, la Marseillaise aux lèvres.
Treize ans ! Et s’élancer au devant du trépas,
Brave, tragique et fier, comme un guerrier d’Homère,
Vers la patrie en pleurs qu’on égorge là-bas !
Et courir, des baisers attendris d’une mère,
Aux baisers sanglants des combats ! »
Certes que nous mourrions quand le bonheur nous leurre,
Quand notre rêve entier en un jour s’écroula,
C’est bien. Mais pour partir que l’on choisisse l’heure
Où tout brille et sourit, c’est sublime cela !
Et c’est pourquoi je chante et c’est pourquoi je pleure !
[…]
Comme sa taille était moins grande que son âme,
L’épaisseur des rameaux le cachait tout entier ;
Il marchait, le regard inondé de flamme,
Parmi les crânes chauds et les fleurs du sentier,
Beau comme un demi-dieu, charmant comme une femme,
Quand soudain d’un halliers, un gros de massacreurs
S’élance, fond sur lui, le menace, le presse,
Fauve, du sang sur les doigts, proférant des horreurs ;
Plusieurs pourtant devant cette jeunesse
Sentaient s’émousser leurs fureurs.
Un vestige dernier de pudeur instinctive
Fit trembler en leurs mains le fer déjà levé ;
Ces loups eurent pitié de cet agneau. « Dis : Vive
Le Roi ! « crie l’un d’eux « et tu seras sauvé !»
L’enfant eut sur sa joue une larme furtive :
Son petit cœur, hélas ! était bien gros ;
Il songeait à sa mère, à son lointain village,
Mais eux : « Crie où l’on frappe ! –Eh bien, frappez bourreaux,
Vive la République ! » et la horde sauvage
Fit un martyr de ce héros ! »
Les sociétés orphéoniques chantèrent alors un chœur de M. Avy : « Joseph Bara »
Suite à quoi, M. Brémond, de l’Odéon, récita le poème de Léon Duvauchel : « Le petit Soldat »
« I Page d'Histoire.
Quatre-vingt-treize. L'Ouest est en feu. C'est l'automne.
Le tocsin qui gémit et le canon qui tonne
Emplissent l'air vibrant de leurs sinistres bruits.
Depuis dix mois, combien de jours, combien de nuits,
— De jours fleuris, de nuits sereines, constellées,
Avec de gras troupeaux dans toutes les vallées,
Des moissons d'or, des fruits cueillis à pleines mains, —
Ont vu de corps joncher les marges des chemins !...
Hier c'était la Vendée, humble et calme naguère,
Qui donnait le signal de la terrible guerre :
La chaumière, la hutte entraînaient le château ;
Et l'Insurrection, promenant son râteau,
Chaque jour inscrivant d'autres noms sur ses listes,
Amenait du renfort aux bandes royalistes.
L'avalanche fondait et devenait torrent.
C'était Saumur après Beaupréau, Saint-Florent,
Machecoul et Torfou, le Marais, le Bocage,
Puis Cholet, que l'on prend et reprend, qu'on saccage.
Déroute ici, succès là-bas. Les gens du roi
Tantôt dans un combat sont en plein désarroi,
Désespérés, cherchant les bois, rentrant dans l'ombre ;
Tantôt ce sont les Bleus accablés par le nombre,
Cependant que, sous l'oeil d'habiles généraux
De vingt ans, dans leurs rangs surgissent des héros
Attisant la superbe ardeur qui les dévore
Au souffle dont frémit le drapeau tricolore.
A la longue, par tant de résistance aigris,
Les comités siégeant à Nantes, à Paris,
Décrètent d'en finir avec cette révolte.
Quand on sème la mort, c'est la mort qu'on récolte :
Qu'on brûle les hameaux, les arbres des vergers;
Qu'on transforme en déserts les districts insurgés ;
Que l'on fasse flamber le taillis et la haie !
Et, comme le gravier que l'ouragan balaie,
Qu'on pousse les brigands vendéens à la mer,
Devant les légions de Hoche et de Kléber !...
Ainsi, quand l'ennemi du dehors aux frontières
De l'Est fait accourir des provinces entières.
Que la Convention, au moment solennel,
Réclame le secours de son bras fraternel
A tout homme qu'émeut ce cri : Vive la France !
Des Français, retardant l'heure de délivrance,
Armés contre une loi qu'ils ne connaissent plus,
Fuient, craignant la levée en masse, noir reflux,
Et, la voulant toujours plus faible, plus meurtrie,
Ouvrent cette autre plaie au flanc de la Patrie !
La Patrie !... une chaste image au front voilé,
Dont trois races de rois ne leur ont pas parlé ;
Lien étroit, famille idéale, immortelle;
Mère tenant ses fils aînés sous sa tutelle;
Communauté sublime, associant toujours
Les mêmes intérêts et les mêmes amours,
Et traçant un devoir que leur jeunesse ignore !
Mot inconnu pour eux et vaguement sonore,
Qui leur paraît venir d'un langage tout neuf
Et qu'au monde naissant apprit Quatre-vingt-neuf !...
Paris est menacé ; l'antique territoire
Subit l'invasion endeuillant notre histoire !...
Qu'importe au fanatique abruti dans son coin?
Cette France est si grande et Paris est si loin !
Leur Patrie, elle aura sa limite précise
Au cercle que décrit l'ombre de leur église !
Qui donc leur montrera quel noble sentiment
Inspire cette idole adorée ardemment ?
Qui leur dira, s'offrant lui-même pour exemple,
Quel rayon éblouit l'âme qui la contemple
Et quelle force acquiert le bras qui la défend?...
— Un doux républicain, un soldat, un enfant ! ! !
II
La Mort de Bara
Dans les champs de Jallais, que baigne la rivière,
Après une escarmouche atroce, meurtrière,
Les tentes en bon ordre et les fusils chargés,
Les Bleus campent non loin de la route d'Angers.
Frimaire arrive avec ses soudaines gelées;
Le vent siffle au travers des broussailles grillées;
Dans les prés des blancheurs montent de toute part :
Est-ce de la fumée, ou n'est-ce qu'un brouillard?
Derrière la masure en torchis qu'on crénelle,
Près du moulin, il faut qu'on fasse sentinelle;
Et les soldats du droit humain, jamais lassés,
Grelottent dans la boue épaisse des fossés.
A mille pas débouche une sombre cavée,
Un chemin creux cachant quelque triste couvée
De ces oiseaux de nuit d'instinct bas et cruel :
Les Chouans, les défenseurs du trône et de l'autel.
Raviné par les eaux des collines voisines,
Il descend, cahoteux, écorché de racines.
Un cavalier, pourtant, y passe vers le soir.
C'est un hussard, c'est un enfant splendide à voir
Ainsi. Sous le costume élégant qui l'habille
Si bien, il est si beau qu'on dirait une fille.
Ah! quel succès feront plus tard à son printemps
Ce corps svelte, ces yeux bleus, ces cheveux flottants,
Quand ses doigts se joueront dans sa fine moustache !
Près de ses éperons pendent la sabretache
Et le fourreau brillant du glaive de combat
Déjà presque léger à son bras délicat.
Il conduit un second cheval privé de maître,
Celui d'un officier mort près de lui peut-être.
Il en règle l'allure à l'allure du sien...
C'est Bara, le blanc-bec vaillant comme un ancien.
Vers la chute du jour viennent les pensées graves,
Les souvenirs qui font s'oublier les plus braves.
Un étrange silence endort les environs :
Rien, pas même l'éclat indistinct des clairons
Appelant au quartier l'attardé qui chemine.
Bara sourit. Sa face exquise s'illumine.
Il songe. — Que de faits, souvent, dans un regard
Jeté sur le passé, de choses qu'un hasard
Peut évoquer, ainsi qu'une fleur dans un livre ! —
Tout là-bas, dans lé rêve attendri qu'il peut suivre,
Il revoit son pays paternel, Palaiseau ;
L'Yvette au nom charmant, frais comme un chant d'oiseau ;
La longue rue et puis la chère maisonnée
— Mère, frères et soeurs — si tôt abandonnée ;
Le seuil du vieux logis où jadis il jouait
En s'endormant au lent ronflement du rouet,
Inconscient encor de nos fureurs guerrières.
Il gravit les sentiers du Buisson de Verrières.
Des hauteurs, se déploient, vaste panorama,
Les vignes, les enclos qu'il connut, qu'il aima.
Et c'est Orsay, Champlan, le vallon de Chevreuse
Où les humbles se font une existence heureuse;
Les fonds d'Igny, dorés par les derniers soleils,
Où, dans le temps, avec des bambins, ses pareils,
Il bataillait, muni comme eux de projectiles
Inoffensifs, trouvés dans ces plaines fertiles,
Sous les pommiers, ou dans les fermes d'alentour.
Il combat maintenant le vrai combat ! L'amour
De la France l'amène en de lointains villages.
L'heure n'est plus à ces joyeux enfantillages.
La nation, hélas! en proie aux étrangers,
Pouvait-il sans frémir songer à ses dangers?
Son exil même aux siens peut être nécessaire :
Ils supporteront mieux leur fardeau de misère !...
Il est parti, n'ayant rien vu, rien écouté,
Ni les pleurs, ni l'adieu tant de fois répété.
« Mais pour servir, il faut au moins seize ans, en somme !
— Qu'importe ! si je fais mon devoir comme un homme !
Son escadron l'a vu s'élancer des premiers,
Et capturer, à lui tout seul, deux prisonniers,
Sabrant, chargeant au fort de la mêlée horrible,
Sous le plomb, sous le fer dont l'ennemi vous crible,
Porté par la monture au courage endurci
Qui partagea sa peine et son succès aussi.
Son alezan hennit sous la main qui le flatte.
Tout à coup, d'un talus, un hurlement éclate.
Des Chouans en bondissant barrent l'étroit ravin.
Vendéens ou Bretons, ils sont dix, ils sont vingt.
Hagards, tels que des gens ivres sortant des bouges,
Ils l'entourent. Ils ont au cou des mouchoirs rouges,
Aux mains de vieux mousquets et de grossiers sabots
Aux pieds; leurs vêtements sales sont en lambeaux,
Dans les ormes sur eux arrondis en arcade,
Ils guettaient là, depuis longtemps en embuscade,
Se rappelant l'ancien métier de braconniers,
De pilleurs, qu'ils faisaient encor, ces mois derniers,
Dans les champs, aux confins de la terre normande.
Alors l'un d'eux, celui, sans doute, qui commande
La horde : « Livre-nous ces chevaux !... » Mais Bara,
Inébranlable : « Non ! — C'est bon. On les prendra ! »
Puis, s'étant consultés en des patois bizarres :
« Tu dois être de ceux du commandant Desmarres?
— Oui. — Dis-nous donc, tu vas être libre à ce prix,
Quel est son plan, enfin, quels ordres il a pris :
Où vous dirigez-vous, vers la Loire ou Bressuire?
— Le bivouac est tout proche : il peut nous y conduire.
— Jamais !... Vous me prenez pour un traître, il paraît?
— Par sainte Anne ! on saura te rendre moins discret.
— N'approchez pas! » reprend le hardi volontaire...
On l'a désarçonné. Son colback tombe à terre
Pendant que sur la selle on prend ses pistolets.
« A mort ! — C'est un gamin; ses mains, regardez-les,
Sont blanches, » fait quelqu'un moins lâche que les autres.
« Ce n'est pas un gamin pour tirer sur les nôtres;
Je l'ai surpris, tantôt; j'étais dans le beffroi :
Un tigre ! — Alors, il va crier : Vive le roi !
— Jamais! jamais ! » L'enfant, qu'un dur poignet secoue,
Sent qu'une haleine impure effleure encor sa joue.
Un joyeux ci-devant est parmi ces coquins :
« Quelle précocité chez les républicains !
C'est donc à la mamelle, à présent, qu'on s'enrôle
Chez eux? ricane-t-il. Obéis, jeune drôle!...
Si tu veux vivre, il faut chanter : Vive le roi ! »
Bara sait que la mort l'attend, et sans effroi,
Près des chevaux cabrés, sans chercher sa réplique,
Il jette ce défi : « Vive la République ! »
C'en est fait ! Les trois mots sur sa bouche ont vibré
Ainsi que le refrain d'un cantique sacré,
Excitant les bandits en leur lugubre office.
Ils donnent le signal de l'odieux supplice :
La fusillade éclate à bout portant sur lui.
Il chancelle. Son pied blessé cherche un appui.
Son bras laisse échapper son épée. Il regarde,
Comme un amant contemple un portrait, sa cocarde,
Symbole du pays qu'il croit déjà vainqueur,
Minuscule drapeau qu'il portait sur son coeur,
Et répète, baisant cette sainte relique,
Dans un souffle expirant : « Vive la République ! »
III
Apothéose
Et voici ce que vit alors le grand ciel gris
Et ce que les halliers, par la nuit assombris,
Entendirent :
Au fond de la campagne obscure,
Une fée, un fantôme à l'aimable figure,
Tel que l'adolescent, en songe, en voit parfois,
Une femme parlant d'une divine voix,
Avec l'accent des soeurs, des pudiques maîtresses,
Rendait à ce mourant tendresses pour tendresses,
Et, seul objet du noble amour de ce martyr,
Recueillait son baiser et son dernier soupir.
O France ! c'était toi que son acte superbe
Faisait en cet instant agenouiller dans l'herbe,
Toi qui scellais sa lèvre et qui fermais son oeil,
Et, par un geste empreint d'un souriant orgueil,
Qui l'emportais, le front auréolé de flammes,
Vers l'invisible temple où sont les fortes âmes !
« Petit soldat, petit héros de quatorze ans,
Disait la voix, sublime enfant de paysans,
Victime du devoir et d'une idée auguste,
Viens t'asseoir, glorieux, parmi la foule juste
De ces êtres élus, sans reproche et sans peur,
Qui pour moi sont déjà tombés au champ d'honneur !
Le peuple redira ton nom dans ses légendes.
La Liberté, planant, les ailes toutes grandes,
Va prendre son essor plus large, plus puissant,
Baptisée aujourd'hui dans ton généreux sang!
Ton cri, c'est le mot d'ordre infini qu'on discerne
Dans les élans tentés par le monde moderne !
Tu la consacreras inoubliablement,
Cette cocarde étreinte au suprême moment :
Elle peut désormais parer les jeunes têtes
Des vierges accourant pour embellir nos fêtes ! »
Oui, tu vivras, enfant au courage viril,
Gardant aux yeux de tous les roses de l'avril !
Ceux dont l'âge veut dire avenir, espérance,
Un jour, beaux écoliers du beau pays de France,
Contemplant ton image aux murs de leurs foyers,
Ou déjà s'exerçant au métier des guerriers,
En toi verront un chef radieux et fidèle;
Et leur esprit naïf te prendra pour modèle;
Et les vertus qui font l'homme et le citoyen
Elèveront leur coeur à la hauteur du tien ! »
Le général Thibaudin prit ensuite la parole.
Voici quelques extraits de son discours : « Il faut que nous tirions une leçon de cette émouvant légende.
La France a reconquis avec son rang le respect du monde. Elle peut avoir confiance dans sa nouvelle armée ; mais il ne faut pas perdre de vue les enseignements de l’histoire et s’inspirer des exemples comme celui que Joseph Bara nous a légué.
Les armées de la République sont nombreuses et fortes ; mais la reconstitution de notre matériel ne serait qu’un trompe-l’œil si l’achèvement morale de la nation n’avait lieu maintenant.
La 'transformation s'opère, grâce au gouvernement qui est issu des entrailles du pays. C'est par l'instruction qu'il faut continuer l'œuvre commencée, afin de former des cœurs capables de s'élever plus tard aux devoirs qui incombent aux citoyens.
Glorifions les instituteurs qui ont pour mission de continuer l'instruction de la famille et de développer dans l'âme de nos enfants les vertus qui font les Bara, les Bara que nous devons proposer pour modèles à la postérité.
Ce que la Convention n’a pas fait, aujourd’hui la commune de Palaiseau le réalise, grâce aux efforts de sa municipalité et au concours des autorités du département.
Joseph Bara a légué à la jeunesse française un grand exemple par son double amour de la patrie et sa famille.
Rendons tous hommage à sa mémoire et répétons le mot qu’il dit en mourant pour la France : Vive la République ! »
D’autres discours furent ensuite prononcés, notamment par Rameau, Bouclier, Raspail, Cadet.
Cottu, au nom du ministre de l’Instruction publique décerna les palmes académiques à Bouclier et Leblanc, et on distribua les récompenses du concours musical aux sociétés chorales.
La cérémonie s’acheva par un ultime défilé où fut une nouvelle fois jouée la Marseillaise. Il était près de 18 h 00.
Les festivités se poursuivirent dans la soirée (la pluie gêna cependant les illuminations et les feux d’artifice), et deux banquets furent donnés à l’Ile d’Amour et à l’Ecu de France.