A propos de l'indigo et des moyens entrepris afin d'en diminuer sa consommation, on peut citer le décret du 3 juillet 1810. Voici l'article que l'on pouvait lire à ce sujet dans le "Bulletin de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale", de 1810 :
« Programme d’un Prix proposé par ordre de S. M. l'Empereur et Roi, pour remplacer l’indigo dans les teintures, tant par les produits du sol français que par ceux de l’industrie.
On ne peut pas se dissimuler que la découverte du Nouveau-Monde , si avantageuse au développement du commerce et de la marine , n’ait porté préjudice à plusieurs branches de l’agriculture et de l'industrie européenne. La cochenille a presque éteint la culture du kermès qui donnait un rouge plus solide, mais moins brillant ; le coton a remplacé le lin, la soie et la laine pour une grande partie de nos usages ; les bois de teinture de l’Amérique ont été substitués à des productions du sol ou à des produits de notre industrie. Mais de tous les produits du Nouveau-Monde, il n’en est aucun dont l’introduction ait été plus funeste à notre agriculture que celle de l’indigo. Avant que cette production tinctoriale fût portée en Europe, la teinture en bleu se faisait par le pastel, plante qu'on cultivait sur presque toutes les parties de notre continent. Comme la qualité du pastel des climats méridionaux était très supérieure à celle des climats du nord, c'est dans le midi de la France, surtout aux environs de Toulouse qu’on se livrait à cette culture : le commerce du pastel y était d’une telle importance vers la fin du 16e siècle, époque où l’indigo commença à être connu, qu'on en exportait environ 200 000 balles par an, du poids 29 200 livres chaque ; ce commerce était si avantageux pour l’agriculture qu’on appelait le pays de Lauragais, où se _faisait la culture de la première qualité de pastel ; le pays de Cocagne. Ce commerce avait tellement enrichi ces contrées que les plus beaux édifices de Toulouse ont été bâtis par des fabricants de pastel, et que l’un d’eux ; Pierre de Bernin, cautionna pour la rançon de François Ier.
L’introduction de l’indigo alarma tellement les gouvernements d’Europe sur le sort du pastel, qui formait une des branches principales de leur agriculture et de leur commerce, qu’on proscrivit partout l'usage de l’indigo, sous des peines sévères. Henri IV prononça la peine de mort contre ceux qui l’emploieraient ; les souverains de Hollande et d’Allemagne suivirent son exemple pour maintenir leur fabrication du pastel, connu dans le nord sous le nom de pastel d’Erfurt, de Juliers, etc. Il est probable que si les connaissances avaient été au niveau où elles sont aujourd’hui , on aurait porté la fabrication du pastel au degré de perfection où était celle de l’indigo, et l’on eût conservé cette branche précieuse d’agriculture et de commerce.
Aujourd’hui la culture du pastel est presque nulle en France; on ne l’a conservée que dans une très petite partie du Haut-Languedoc, et dans quelques cantons du nord où il est connu sous le nom de vouëde. Dans le Haut-Languedoc, la culture du maïs a pris la place de celle du pastel, mais elle était si loin de le remplacer pour l’avantage des cultivateurs, que, tant que le pays de Lauragais a été imposé sur les anciennes bases, les États de Languedoc ont été obligés de lui accorder chaque année 5 à 600 000 francs de dégrèvement. Le pastel n’est plus employé que pour monter les cuves dites de pastel, dans lesquelles on le mêle avec l’indigo.
Pour bien juger de la préférence qu’on a accordée à l’indigo sur le pastel, et absoudre l’Europe d’avoir sacrifié une production territoriale et nationale à un produit exotique, il importe de savoir 1°. que l’indigo tel qu’il est dans le commerce, a été dépouillé, par des opérations bien connues, de tout ce que la plante qui le fournit contient d’étranger à, son principe colorant, et que par conséquent, sous le même volume, il présente plus de couleur que le pastel, dont le principe colorant est mêlé avec tous les débris de la plante, ce qui en rend l'emploi difficile, donne des cuves peu riches en couleur et qui ont besoin d’être renouvelées à chaque opération de teinture, tandis que celles d’indigo peuvent durer un an ; 2°. que la couleur de l’indigo est plus vive que celle du pastel, et se prête mieux à former les diverses nuances du bleu.
On peut dire à l’avantage du pastel qu’il fournit une couleur plus solide, et qu’il est même susceptible de donner un bleu très vif, puisque nos anciens teinturiers formaient avec le seul pastel ces beaux bleus appelés bleus perses, dont parlent les historiens, et qui ont fait la réputation de nos couleurs dans le Levant. Il ne s'agit donc que d’améliorer la préparation du pastel pour atteindre et même surpasser les qualités de l’indigo, et le premier moyen consiste à en extraire la fécule colorante. La connaissance que l’on a du procédé employé pour extraire la fécule de la plante qui fournit l’indigo, et les résultats qu'ont déjà obtenus des hommes de mérite, en traitant le pastel par des méthodes analogues, nous permettent de fonder de solides espérances sur la solution de ce problème. Au lieu de couper la plante trois ou quatre fois dans une saison comme on le pratique, s'agit peut-être que de la laisser mûrir pour qu’elle donne une fécule mieux formée, plus abondante, et d’une extraction plus facile.
En encourageant et perfectionnant la culture et la préparation du pastel, Sa Majesté n’a pas cru devoir négliger d’autres moyens de remplacer ou au moins de diminuer la consommation de l'indigo. Elle a pensé que, dans l’état actuel de nos connaissances, il suffisait de diriger les talents vers un grand but d’utilité publique, pour se promettre de grands résultats. Déjà la belle couleur du bleu de Prusse est portée avec avantage sur les tissus de la fabrique de Lyon, et on peut espérer qu’on en étendra facilement l'usage aux tissus de laine. On croit devoir borner à ces derniers les recherches des concurrents ; parce que cette magnifique couleur, la plus riche et la plus brillante qu’on connaisse, d’ailleurs si solide à l’air, à l’eau et aux acides, n’est pas de nature à résister aux lessives auxquelles on soumet les tissus de lin et de coton.
Si les intentions de Sa Majesté étaient remplies par rapport au pastel et au bleu de Prusse, nul doute qu'on ne pût à la rigueur se passer d’indigo ; mais, pour donner à cette importante question toute l'extension dont elle est susceptible, Sa Majesté a voulu s’assurer si, sur l’immense étendue du sol français, aussi varié par ses productions que par la température, il n’existait pas quelque plante autre que le pastel qui fournit une fécule analogue à l’indigo, ou quelque couleur bleue végétale qu'on pût fixer solidement sur les étoffes ; c’est le sujet de deux prix dont l’importance sera sentie par tous ceux qui apprécient les découvertes d’après leur degré d’utilité.
Décret impérial
Sur le compte qui nous a été rendu des moyens qu’on pourrait employer pour diminuer la consommation de l’indigo dans la teinture, tant par des produits du sol français que par ceux de l’industrie ; Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Titre Ier Art. 1er. Il sera accordé un prix de la somme de 100 000 francs à celui qui trouvera le moyen d’extraire d’une plante indigène, et d’une culture facile, une fécule propre à remplacer l’indigo, quant au prix, à l’emploi, à l'éclat et à la solidité de la couleur. Art. 2. Un prix égal sera donné à celui qui fournira un procédé propre à fixer une couleur végétale indigène, sur la laine, le coton, le lin et la soie, de manière à remplacer l’indigo, aux conditions de l’article 1er. Art. 3. Un prix d’une somme de 50 000 francs sera accordé à celui qui, en mêlant l’indigo avec des substances indigènes, ou en l’employant d’une manière nouvelle, en diminuera la dose de moitié, et produira néanmoins le même effet quant à l’intensité de la couleur et à sa solidité. Le prix sera de 25 000 francs, si on diminué d’un quart l’emploi de l’indigo, et aux mêmes conditions que ci-dessus.
Titre II Art. 4. Il sera accordé un prix de 25 000 francs à celui qui fera connaître un moyen facile et sûr d’extraire de la plante qui fournit le pastel ( isalis tinctoria, Lin. ) la fécule colorante, et de l'employer dans la teinture. Art. 5. Le prix sera de 100 000 francs, si on parvient à obtenir ou à donner à cette fécule, sans nuire à sa solidité, la finesse et l’éclat de l’indigo.
Titre III Art. 6. Il sera accordé un prix de 25 000 francs à celui qui fera connaître un procédé sûr et facile pour teindre la laine et la soie avec le bleu de Prusse, de manière à obtenir une couleur unie, brillante, égale et inaltérable par le frottement et le lavage à l’eau. Art. 7. Les concurrents adresseront à notre Ministre de l’Intérieur une description de leurs procédés, et y joindront des échantillons d’étoffes teintes ou de matières préparées, en suffisante quantité pour vérifier les procédés. Art. 8. Nos Ministres de l’Intérieur et du trésor public sont chargés de l’exécution du présent décret. »
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
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