Pierma a écrit :
Drouet Cyril a écrit :
« Vous avez examiné, me dit-il, ces affaires des juifs ? C'est grave. Je ne puis pas souffrir que tous les propriétaires d'Alsace et d'une partie de la Lorraine soient spoliés par l'usure, eux et leurs enfants.
Curieux, cette affaire. Cyril, sauriez-vous pourquoi il y avait un problème spécifique avec les usuriers en Alsace ? (si c'est le cas.)
A titre d’information, dans les trois arrondissements de Strasbourg, de Saverne et de Sélestat, 12 296 000 francs avaient été prêtés de septembre 1800 à décembre 1802. En 1803-1804, 250 000 francs restaient impayés.
Tous les prêteurs n’étaient pas juifs, mais l’usure leur était généralement attribuée.
On peut à ce sujet se référer à la Statistique du département du Bas-Rhin, rédigée par le préfet Laumond, en 1801 :
« Le trafic, les échanges, le prêt, sont leur commerce habituel ; l’agriculture, les fabriques, et en général l’industrie sédentaire, ne sont ni de leur goût, ni dans leurs vues politiques
[…]
La haine qu’on leur portait s’est-elle affaiblie ? »
En considérant cette question en général, on pourrait répondre non. Comme les juifs n’ont rien changé à leur genre de commerce, et qu’ils sont (pris en total) tout aussi avides qu’avant, il n’y a pas de raison suffisante pour qu’ils soient plus aimés; mais il y a peut-être plus de justice distributive à leur égard qu’auparavant. On ne confond pas tous les juifs dans la même catégorie, et le respect public accompagne ceux , en petit nombre, qui s’en rendent dignes.
[…]
Quoi qu’il en soit, les juifs ne sont point aimés, parce qu’en général ils ne sont point aimables: qu’ils le deviennent, les dispositions changeront; ils en ont pour garant l’expérience‘de ceux d’entre eux qui le méritent. »
Cette haine se retrouve dans ce bulletin de police du 18 octobre 1805 :
« Haut-Rhin. Juifs. Au commencement de ce mois, on avait répandu dans le Haut-Rhin que les juifs devaient être tous massacrés, les [2 et 3 octobre]. Le préfet présumait que les juifs faisaient eux-mêmes circuler ces bruits pour fixer sur eux l'attention des autorités. Il avait prescrit néanmoins les mesures de sûreté convenables. Par une lettre du [14 octobre], M. le maréchal Moncey expose qu'aucun trouble n'a eu lieu aux jours indiqués (fêtes juives). Quelques individus, signalés comme auteurs ou complices de ce projet, ont été arrêtés et relâchés, s'étant justifiés complètement. Il existe cependant, suivant le rapport de la gendarmerie du Haut-Rhin, un mécontentement général et une haine prononcée contre les juifs. On les accuse d'avoir ruiner plusieurs familles par des escroqueries de toute espèce. Les autorités civiles et militaires veillent à leur
sûreté. »
De tels rapports ne pouvaient laisser indifférent Napoléon.
Décret du 30 mai 1806 :
« Sur le compte qui nous a été rendu que, dans plusieurs départements septentrionaux de notre empire, certains juifs n'exerçant d'autre profession que celle de l'usure, ont par l'accumulation des intérêts les plus immodérés, mis beaucoup de cultivateurs de ces pays dans un état de grande détresse;
Nous avons pensé que nous devions venir au secours de ceux de nos sujets qu'une avidité injuste aurait réduits à ces fâcheuses extrémités.
Ces circonstances nous ont fait en même temps connaître combien il était urgent de ranimer, parmi ceux qui professent la religion juive dans les pays soumis à notre obéissance les sentiments de morale civile, qui malheureusement ont été amortis chez un trop grand nombre d'entre eux par l'état d'abaissement dans lequel ils ont longtemps langui, état qu'il n'entre point dans nos intentions de maintenir ni de renouveler.
Pour l'accomplissement de ce dessein, nous avons résolu de réunir en une assemblée les premiers d'entre les juifs, et de leur faire communiquer nos intentions par des commissaires, que nous nommerons à cet effet, et qui recueilleront en même temps leur vœu sur les moyens qu'ils estiment les plus expédients pour rappeler parmi leurs frères l'exercice des arts et des professions utiles, afin de remplacer par une industrie honnête, les ressources honteuses auxquelles beaucoup d'entre eux se livrent de père en fils depuis plusieurs siècles.
A ces causes,
Sur le rapport de notre grand-juge, ministre de la justice, et de notre ministre de l'intérieur;
Notre Conseil-d'Etat entendu, Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:
Art. 1er. Il est sursis pendant un an, à compter de la date du présent décret, à toutes les exécutions de jugements ou contrats, autrement que par simples actes conservatoires, contre des cultivateurs non négociants des départements de la Sarre, de la Roër, du Mont-Tonnerre, des Haut et Bas-Rhin, de Rhin-et-Moselle, de la Moselle et des Vosges, lorsque les titres contre ces cultivateurs auront été consentis par eux en faveur des juifs. »
Décret du 17 mars 1808 :
« Art. 1er. A compter de la publication du présent décret, le sursis prononcé par notre décret du 30 mai 1806 pour le payement des créances des Juifs est levé.
Art. 2. Lesdites créances seront néanmoins soumises aux dispositions ci-après.
Art. 3. Tout engagement pour prêt fait par des Juifs à des mineurs, sans l'autorisation de leur tuteur; à des femmes sans l'autorisation de leur mari; à des militaires sans l'autorisation de leur capitaine si c'est un soldat ou un sous-officier, du chef de corps si c'est un officier, sera nul de plein droit, sans que les porteurs ou cessionnaires puissent s'en prévaloir et nos tribunaux autoriser aucune action pour poursuite.
Art. 4. Aucune lettre de change, aucun billet à ordre, aucune obligation ou promesse, souscrite par un de nos sujets non commerçants, au profit d'un juif, ne pourra être exigé sans que le porteur prouve que la valeur en a été fournie entière et sans fraude.
Art. 5. Toute créance dont le capital sera aggravé d'une manière patente ou cachée, par l'accumulation d'intérêts à plus de cinq pour cent, sera réduite par nos tribunaux.
Si l'intérêt réuni au capital excède dix pour cent, la créance sera déclarée usuraire, et comme telle annulée.
Art. 6. Pour les créances légitimes et non usuraires, nos tribunaux sont autorisés à accorder aux débiteurs des délais conformes à l'équité.
Art. 7. Désormais, et à compter du 1er Juillet prochain, nul Juif ne pourra se livrer à aucun commerce, négoce ou trafic quelconque sans avoir reçu, à cet effet, une patente du Préfet du département, sur un certificat; 1° du Conseil Municipal, constatant que ledit juif ne s'est livré ni à l'usure ni à un trafic illicite; 2° du consistoire de la synagogue dans la circonscription de laquelle il habite, attestant sa bonne conduite et sa probité.
Art. 8. Cette patente sera renouvelée tous les ans.
Art. 9. Nos procureurs généraux près nos cours sont spécialement chargés de faire révoquer lesdites patentes, par une décision spéciale de la cour, toutes les fois qu'il sera à leur connaissance qu'on juif patenté fait l'usure ou se livre à un trafic frauduleux.
Art. 10. Tout acte de commerce fait par un juif non patenté sera nul et de nulle valeur.
Art. 11. Il en sera de même de toute hypothèque prise sur des biens par un juif non patenté, lorsqu'il sera prouvé que ladite hypothèque a été prise pour une créance résultant d'une lettre de change, ou pour un fait quelconque de commerce, négoce ou trafic.
Art. 12. Tous contrats ou obligations souscrits au profit d'un juif non patenté, pour des causes étrangères au commerce, négoce ou trafic, pourront être révisés par suite d'une enquête de nos tribunaux. Le débiteur sera admis à prouver qu'il y a usure on résultat d'un trafic frauduleux; et, si la preuve est acquise, les créances seront susceptibles soit d'une réduction arbitrée par le tribunal, soit d'annulation si l'usure excède dix pour cent.
Art. 13. Les dispositions de l'art. 4, titre 1er du présent décret, sur les lettres de change, billets à ordre, etc., sont applicables à l'avenir comme au passé.
Art. 14. Nul juif ne pourra prêter sur nantissement à des domestiques ou gens à gages, et il ne pourra prêter sur nantissement à d'autres personnes, qu'autant qu'il en sera dressé acte par un notaire, lequel certifiera, dans l'acte, que les espèces ont été comptées en sa présence et celle des témoins, à peine de perdre tout droit sur les gages, dont nos tribunaux et cours pourront en ce cas ordonner la restitution gratuite.
Art. 15. Les juifs ne pourront, sous les mêmes peines, recevoir en gage des instruments, ustensiles, outils et vêtements des ouvriers journaliers et domestiques.
Art. 16. Aucun juif, non actuellement domicilié dans nos départements du Haut et Bas Rhin, ne sera désormais admis à y prendre domicile.
Aucun juif, non actuellement domicilié, ne sera admis à prendre domicile dans les autres départements de notre empire, que dans le cas où il y aurait fait l'acquisition d'une propriété rurale, et se livrera à l'agriculture, sans se mêler d'aucun commerce, négoce ou trafic.
Il pourra être fait des exceptions aux dispositions du présent article, en vertu d'une autorisation spéciale émanée de nous.
[…]
Art. 18. Les dispositions contenues au présent décret auront leur exécution pendant dix ans, espérant qu'à l'expiration de ce délai et par l'effet des diverses mesures prises à l'égard des juifs, il n'y aura plus aucune différence entre eux et les autres citoyens de notre empire, sauf néanmoins, si notre espérance était trompée, à en proroger l'exécution, pour tel temps qu’il sera jugé convenable.
Art. 19. Les juifs établis à Bordeaux et dans les départements de la Gironde et des Landes, n'ayant donné lieu à aucune plainte, et ne se livrant pas à un trafic illicite, ne sont pas compris dans les dispositions du présent décret. »