Sur le champ de bataille, la situation est compliquée.
Les corps d'infanterie française tiennent solidement les ailes. Le centre a disparu avec la destruction sur place du septième corps. Augereau lui-même, blessé, est évacué par ses aides de camp.
Les brigades de cavalerie étaient en deuxième ligne, ce qui va faciliter leur concentration.
Les russes, qui ne croient pas à leur chance, ont du mal à exploiter la défaite du centre français, parce que leurs lignes, très resserrées, ont été positionnées en défense, et que leurs réserves sont précisément sur leurs ailes, en arc-boutants.
"Nous laisseras-tu dévorer par ces gens là ?"
En quelques dizaines de minutes, Murat regroupe au centre, en deuxième ligne, l'essentiel des régiments de cavalerie présents.
Il les ramasse alors en une masse de plus de 80 escadrons, et va en faire une énorme colonne infernale.
Ils sont tous là. La cavalerie de la garde, accompagnant son infanterie, est devant, avec en tête les grenadiers à cheval du Colonel-Général Lepic qui, voyant les ploiements des bonnets à poil de ses grenadiers qui rentrent la tête au passage des tirs d'artillerie russe, a hurlé, ce gascon : "Jarnidiou, relevez la tête : la mitraille, c'est pas de la m... !!"
Derrière lui les chasseurs à cheval de la garde, puis les deux divisions de cuirassiers et leurs frères carabiniers à cheval, deux régiments qui portent l'habit bleu sans cuirasse et le bonnet à poil (ils ne seront équipés de cuirasses et de casques à la grecque qu'en 1812)
Les hussards et chasseurs à cheval des septième et quatrième corps sont après, puis les dragons de la réserve générale regroupés en deux divisions complètes.
Et Murat lance son monde, au petit puis grand trop, vers les lignes russes.
La charge d'Eylau va alors très rapidement se développer en deux axes (et non en un énorme serpent de cavaliers immortalisé par les tableaux).
Lepic et la cavalerie de la garde partent plein centre vers l'infanterie russe suivis par les dragons, pendant que les lourds suivis des hussards et chasseurs à cheval se déportent vers la gauche pour saturer le front de bataille.
Dans le même temps, les grenadiers et chasseurs à pied de la Garde montent en ligne en plein centre; ils refoulent à la baïonnette et sans même s'arrêter deux brigades russes qui venaient de descendre la pente pour commencer - enfin - à exploiter la trouée du centre français. Mais c'est trop tard. Pour la première fois depuis Marengo les grenadiers de la Garde avancent au combat, et ils méritent leur solde supérieure en abordant les russes comme une masse.
D'Hautpoul est tué à la tête de ses cuirassiers, dont le premier régiment, en tête de charge, vient se planter comme une flèche dans la deuxième ligne russe : ce sera l'argument dramatique du "colonel Chabert" de Balzac.
Pour le plaisir je vous propose ici un intermède, un extrait du film "le colonel Chabert" d'Yves Angélo :
https://www.youtube.com/v/iFKDnjjbB7oLa scène ici filmée de la charge du premier cuirassier à Eylau mérite un regard et une écoute : si la charge elle-même est épique mais totalement fausse, l'étendard du 1er régiment, apparemment totalement décalé, est véridique (plusieurs régiments encore en 1807 avaient des étendards pour la cavalerie ou des drapeaux pour l'infanterie de type consulaire) mais surtout l'Andantino de Schubert donne à cette charge de cavalerie une puissance dramatique particulière !
Mais revenons aux combats en cours :
Lepic traverse deux lignes d'infanterie russe avec ses grenadiers à cheval. Quand il arrive, son cheval épuisé, devant la troisième ligne, un officier russe se détache et lui crie : "arrêtez cette folie, rendez-vous !"
Lepic se retourne, de ses trois cents cavaliers une vingtaine sont encore autour de lui.
Il se donne le temps de lancer une injure bien sentie au russe, puis rebrousse chemin avec ses hommes, il va en ramener sept dans les lignes françaises : les grenadiers à cheval de la garde ont bien mérité de l'empire.
Au mileu de ce chari-vari de régiments de cavalerie qui viennent frapper les russes sur tout leur centre, tout à coup des tirs se font entendre à l'extrême-gauche de la ligne française.
Lestoc qui arrive en renfort de Bennigsen, ou Ney ?
Miracle, c'est Ney qui jette sans ordre, au fur et à mesure de leur arrivée, ses brigades sur le flanc droit des russes.
La droite russe, complètement surprise, souffre, puis s'incurve dangereusement.
Bennigsen n'a pas su exploiter son succès au centre, contrecarré par la cavalerie française. L'arrivée de 15 000 français de plus - de trop - le décide à ordonner un repli général, mais très bien coordonné.
Quand la nuit tombe, c'est à dire vers 16h30 (nous sommes en pologne en janvier) les français restent maître d'un champ de bataille épouvantable, ou 10 000 des meilleurs d'entre eux viennent de mourir.
La correspondance privée de Napoléon à Joséphine fera apparaître que, pour la première fois depuis 1797, l'empereur est fatigué, effrayé d'un massacre qui ne résoud rien.
Pour lui qui s'était finalement habitué aux explications brutales et définitives, cette armée russe qui n'en finit pas de ne pas vouloir mourir est en train de devenir un mystère angoissant.
Et son corps de bataille est exsangue et épuisé.
Il lui faut absolument plusieurs semaines de répit. Or, ce qu'il ignore, c'est que l'armée russe a elle aussi terriblement souffert, et qu'elle a également besoin de se recomposer.
De ce sanglant match nul d'Eylau vont découler plusieurs mois de repos et de renforcement des deux armées.
Ce délai va être fatal à l'armée du général Bennigsen.