Nebuchadnezar a écrit :
Or, je me demande si un Napoléon, vainqueur et vieillissant, n'aurait pas fini comme dictateur militaire, cadenassant la société à l'aide d'une classe de nobles d'empire qui n'aurait eu de cesse de rétablir des privilèges à leur profit.
N'étant en rien un adepte des pronostics whatifiens, je vais laisser la parole au premier intéressé (ou tout du moins tel que le présente Las Cases dans son Mémorial...) :
« La paix dans Moscou accomplissait et terminait mes expéditions de guerre. C'était, pour la grande cause, la fin des hasards et le commencement de la sécurité. Un nouvel horizon, de nouveaux travaux allaient se dérouler, tout pleins du bien-être et de la prospérité de tous. Le système européen se trouvait fondé; il n'était plus question que de l'organiser.
Satisfait sur ces grands points, et tranquille partout, j'aurais eu aussi mon congrès et ma sainte-alliance. Ce sont des idées qu'on m'a volées. Dans cette réunion de tous les souverains, nous eussions traité de nos intérêts en famille, et compté de clerc à maître avec les peuples.
La cause du siècle était gagnée, la révolution accomplie; il ne s'agissait plus que de la raccommoder avec ce qu'elle n'avait pas détruit. Or, cet ouvrage m'appartenait; je l'avais préparé de longue main aux dépens de ma popularité peut-être. N'importe. Je devenais l'arche de l'ancienne et de la nouvelle alliance, le médiateur naturel entre l'ancien et le nouvel ordre de choses. J'avais les principes et la confiance de l'un ; je m'étais identifié avec l'autre; j'appartenais à tous deux; j'aurais fait en conscience la part de chacun.
"Ma gloire eût été dans mon équité."
Et après avoir énuméré ce qu'il eût proposé de souverain à souverain, et de souverains à peuple. Forts comme nous l'étions, continuait-il, tout ce que nous eussions concédé eût semblé grand. Il nous eût mérité la reconnaissance des peuples. Aujourd'hui, ce qu'ils arracheront ne leur semblera jamais assez, et ils ne cesseront de se défier, ni d'être mécontents.
Il passait ensuite en revue ce qu'il eût proposé pour la prospérité, les intérêts, la jouissance, et le bien-être de l'association Européenne. Il eût voulu les mêmes principes, le même système partout. Un Code Européen ; une Cour de Cassation Européenne, redressant, pour tous, les erreurs, comme la nôtre redresse chez nous celles de nos tribunaux. Une même monnaie sous des coins différents; les mêmes poids, les mêmes mesures, les mêmes lois, etc. etc.
L'Europe, disait-il, n'eût bientôt fait de la sorte véritablement qu'un même peuple, et chacun en voyageant, partout se fût trouvé toujours dans la patrie commune.
Il eût demandé toutes les rivières navigables pour tous ; la communauté des mers ; que les grandes armées permanentes fussent réduites désormais à la seule garde des souverains, etc. etc.
Enfin, c'était une foule d'idées, la plupart nouvelles ; les unes des plus simples, d'autres tout à fait sublimes, sur les diverses branches politiques, civiles, législatives; sur la religion, les arts, le commerce: elles embrassaient tout.
Il a conclu: De retour en France, au sein de la patrie, grande, forte, magnifique, tranquille, glorieuse, j'eusse proclamé ses limites immuables; toute guerre future, purement défensive; tout "agrandissement nouveau, anti-national. J'eusse associé mon fils à l'Empire; ma dictature eût fini, et son règne constitutionnel eût commencé...
Paris eût été la capitale du monde, et les "Français l'envie des nations !....
Mes loisirs ensuite et mes vieux jours eussent été consacrés, en compagnie de l'Impératrice, et durant l'apprentissage royal de mon fils, à visiter lentement et en vrai couple campagnard, avec nos propres chevaux, tous les recoins de l'Empire; recevant les plaintes, redressant les torts, semant de toutes parts, et partout, les monuments et les bienfaits !... Mon cher, voilà encore de mes rêves ! ! ! »