Comme il s'agissait d'un point de digression dans une autre discussion, aborder les buts de guerre des monarchies européennes coalisées contre la monarchie constitutionnelle, puis contre la 1ère République en France semblait mériter un espace d'échange à part.
Des guerres dites "révolutionnaires" (puis impériales), qui ont touché l'Europe et le monde entre 1792 et 1815, deux buts essentiels sont traditionnellement retenus : vaincre la France, puissance majeure en Europe et dans le monde, afin de l'affaiblir durablement -alors dans une compétition violente avec l'Angleterre depuis la guerre de Sept Ans -, mais également étouffer les idées révolutionnaires afin qu'elle ne se répandent davantage en direction des monarchies absolues d'Europe qu'étaient la Prusse, l'Autriche et la Russie, entre autres, et de leurs populations.
Si le premier but ne fait pas l'ombre d'un doute, le second est souvent discuté.
En effet, la 1ère coalition (1793-1797 ; sauf pour l'Angleterre) se forme contre la France de manière sériée, suite à la guerre franco-autrichienne de 1792 et à l'exécution de Louis XVI - souvent considérée comme un prétexte pour que les autres puissances se joignent aux austro-prussiens, alors en guerre contre la France depuis près d'un an.
Cela dit, il ne faut pas balayer d'un revers de la main les inquiétudes légitimes des monarques d'Europe quant aux idées révolutionnaires françaises, risquant de se propager en Europe et d'ébranler les fondements de leur assise monarchique. En effet, la théorisation de l'émergence d'une souveraineté nationale et populaire, par son inscription dans la Loi, la fin des privilèges, la garantie de libertés individuelles et collectives, entre autres, sanctionnaient la fin de l'Ancien Régime en France, caractérisé par une monarchie absolue de droit divin et une société d'ordres inégalitaire. Un monde s'était effondré.
C'est tout le sens de la
Déclaration de Pillnitz, contractée par l'Empereur et le roi de Prusse à l'été 1791 afin de répondre à l'affaiblissement du pouvoir royal en France, qui était sans précédent, suite aux évènements révolutionnaires de 1789 et à l'émergence d'idées révolutionnaires.
Citer :
« Sa Majesté l'empereur et Sa Majesté le roi de Prusse, ayant entendu les désirs et les représentations de Monsieur et de M. le comte d'Artois, déclarent conjointement qu'elles regardent la situation où se trouve actuellement Sa Majesté le roi de France comme un objet d'un intérêt commun à tous les souverains de l'Europe. Elles espèrent que cet intérêt ne peut manquer d'être reconnu par les puissances dont le secours est réclamé, et qu'en conséquence elles ne refuseront pas, conjointement avec leurs dites Majestés, les moyens les plus efficaces relativement à leurs forces, pour mettre le roi de France en état d'affermir, dans la plus parfaite liberté, les bases d'un gouvernement monarchique également convenable aux droits des souverains et au bien-être des Français. Alors, et dans ce cas, leurs dites Majestés sont décidées à agir promptement et d'un commun accord, avec les forces nécessaires pour obtenir le but proposé et commun. En attendant, elles donneront à leurs troupes les ordres convenables pour qu'elles soient à portée de se mettre en activité. »
Déclaration de Pillnitz, 27 août 1791
Le programme réactionnaire de ces princes ne fait l'ombre d'un doute : il s'agit de rétablir le monarque français dans ses prérogatives absolues d'avant le 23 juin 1789. L'ingérence est totale, surtout face à une Nation qui avait proclamé son indépendance et sa foi révolutionnaire face au monde en abolissant privilèges, société d'ordres et monarchie absolu, mais le risque est trop grand pour que ces monarques absolus demeurent les bras croisés, en simples observateurs.
Cet avertissement, qui n'entraina pas directement un conflit avec la France augurait, cependant, un risque de déflagration générale avec cet appel sans ambigüité à tous les souverains d'Europe.
Cette prise de conscience contre-révolutionnaire ne fut pas sans conséquences dans la politique que menèrent ces princes dans leurs Etats respectifs. En effet, François II en Allemagne, Catherine II en Russie et même Pitt en Angleterre se raidirent dans leur politique intérieure, par crainte d'une extension des idées révolutionnaires au sein de leur population : interdiction des associations étudiantes jugées "subversives" en Allemagne, pouvoirs renforcés de la police, censure exacerbée, interdiction des ouvrages de Kant et d'auteurs favorables à la Révolution. En Angleterre, Pitt fait fermer tous les clubs ayant des sympathies pour la Révolution et fait condamner les auteurs "suspects" pro-jacobins, il obtint même la suspension de l'
Habeas corpus le 16 mai 1794 ! Catherine II chasse les loges maçonniques de Russie et rappelle tous les Russes en France, tout en condamnant dans ses Etats les moindres soutiens aux idées de la Révolution française. Tous les personnels politiques et administratifs soupçonnés d'entretenir d'éventuelles connivences avec les idées des "lumières" ou de la Révolution sont écartés. De manière très surprenante, seule la Prusse résiste à ce vaste phénomène européen, jusqu'en 1798 du moins.
Au niveau extérieur, François II fit tout ce qui lui fut possible pour que la France lui déclare la guerre, poussé en cela par Catherine II. C'est ce qui arriva le 20 avril 1792.
Les "despotes éclairés" d'Europe centrale et orientale avaient vécu et l'Angleterre,"libérale", exacerba ses passions à l'encontre de tout ce qui pouvait venir de France - sauf les émigrés, bien entendu.
Si l'Autriche et la Prusse manquèrent d'argent pour mener à bien cette guerre, l'Angleterre se chargea de les financer par des largesses jusqu'alors inconnues.
Après l'exécution de Louis XVI, pratiquement toutes les grandes monarchies d'Europe entrèrent en guerre contre la France avec l'objectif de réduire cette jeune République à néant, tout comme les idées néfastes qu'elle se proposait de partager avec les autres peuples d'Europe.
Citer :
"Pour tous les gouvernements européens, l'exécution de Louis XVI concrétise la menace dangereusement subversive que constitue l'exemple français".
Jean-Pierre Jessenne, Révolution et Empire 1783-1815, p. 130
Les armées coalisées, sont rejointes par les émigrés français, soutenant cette gigantesque entreprise contre-révolutionnaire.
La réunion de leurs chefs à Anvers au début d'avril 1793 ne laisse pas planer l'ombre d'un doute : il faut abattre ce pouvoir révolutionnaire et ses idéaux. Si la Prusse ne semble plus très intéressée par l'affaire, deux puissances majeures (plus la Russie en coulisses) vont mettre dans la balance hommes, matériel et subsides : l'Autriche et l'Angleterre.
Cette "croisade" réactionnaire contre la France fait écrire ceci à Michelet :
Citer :
« La guerre de la coalition changeait de caractère. D’une froide guerre politique, elle menaçait de devenir une furieuse croisade de vengeance et de fanatisme. Le souffle de l’émigration emportait malgré eux les généraux de l’Angleterre et de l’Autriche. »
Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, p. 545.
Pour la France, il ne s'agissait plus de lutter désormais contre l'Autriche seule, mais bien contre toute l'Europe. Cela entraina les fameuses levées en masse, les révoltes tristement célèbres de Vendée ou de Provence, et, finalement, l'émergence de la Terreur afin que survive cette jeune République et les idéaux qu'elle portait.
Citer :
« La coalition portait à nouveau la guerre sur le territoire national, au moment même où la levée des 300 000 hommes déchainait la Vendée. Les coalisés réunis en conférence à Anvers, au début d’avril, ne cachaient pas leurs buts de guerre : opérer la contre-révolution et obtenir des indemnités territoriales. »
Albert Soboul, La Révolution française, p. 285.
Une véritable "internationale contre-révolutionnaire" se mit donc en marche en recherchant à restaurer cet Ancien Régime en France, tout en empêchant aux idées révolutionnaire de s'étendre :
Citer :
"De tous les pays indépendants de l’Europe, seuls les Etats scandinaves n’entrèrent pas en lutte contre la France entre 1789 et 1799. Ainsi l’Europe indépendante est-elle l’Europe contre-révolutionnaire. Les gouvernements des pays hostiles à la France se montrèrent d’autant plus violents contre elle, que l’agitation révolutionnaire sur leur territoire fut plus active, et qu’ils redoutèrent davantage une révolution à l’intérieur de leurs frontières. Aussi, l’Angleterre fut-elle la clé de voûte de la coalition contre-révolutionnaire."
Jacques Godechot, Les Révolutions (1770-1799), p. 222
Entre 1792 et 1795, le sort des armes fut incertain et aux victoires des coalisés, répondaient celles des Français, après un redressement incroyable réalisé par la Convention montagnarde entre l'été 1793 et l'été 1794 au prix de sacrifices démesurés, alors que les observateurs pensaient que les Français, en proie à des révoltes intérieures et à une menace extérieure majeure, cèderaient :
Citer :
L’ampleur de la coalition implique normalement l’échec des Français et le rétablissement de l’Ancien Régime.
Des révoltes aux révolutions, Serge Bianchi, p. 390
Lorsque le succès de leurs généraux permettaient à la coalition de reprendre des territoires jusqu'alors contrôlés par la France, comme le Hainaut par exemple à l'été 1793, les Autrichiens remettent en place le système de l'Ancien Régime.
Après 1795 - essentiellement suite à la campagne d'Italie - les Français ne se battent plus sur leurs frontières, mais occupent un certain nombre de territoires au Nord (Belgique, Hollande, Allemagne rhénane), à l'Est (Savoie) et au Sud-Est (Nord de l'Italie) qu'il n'évacuent plus, débutant leurs premières annexions ou la création des "Républiques soeurs".
L'opération parallèle de démembrement de la puissance française se révèle également être un échec. A ce sujet, les coalisés n'avaient pas d'objectifs territoriaux bien précis, bien que les îles à sucre françaises intéressaient fortement les Anglais, tout comme n'importe quel port stratégique sur l'Atlantique ou la Méditerranée : les attaques contre Toulon en 1793 ne furent pas totalement hasardeuses à ce sujet et les royalistes français, alliés des Anglais dans ce coup de main furent exaspérés par l'attitude de Hood qui préféra faire flotter le drapeau de sa Majesté que celui de la monarchie française.
Jules Michelet ne critique pas à tort ce "parti de l'étranger", qui s'occupait davantage de combattre la République avec les coalisés au nom d'une idéologie obscurantiste et réactionnaire pour une restauration des Bourbons - dont les alliés ne s'occupèrent plus vraiment après 1797, puisque vaincus sur tous les fronts par la France -, que défendre leur pays. De toute manière en dehors de capitaux versés par les organisateurs des coalitions, la plupart des observateurs expliquaient que bien que nombreux, ces coalisés manquaient cruellement d'organisation et de coordination.
Les princes allemands souhaitaient récupérer les seigneuries d'Alsace - ce qui avait été également une des causes (avec les protestations et l'anathème lancé sur la France révolutionnaire par le pape) de la
Déclaration de Pillnitz - et, qui sait, récupérer des territoires aux frontière du Nord et de l'Est. En réalité, d'après Richet, rien n'avait été avancé de manière précise et les buts réclamés évoluaient au gré des campagnes et des batailles. De tout manière, après 1795, ils étaient bien incapables de demander quoique ce soit : il fallait déjà récupérer les territoires sur lesquels la France avait débordé...
Il ne s'agissait donc plus uniquement pour des coalisés, vaincus en 1797 (sauf l'Angleterre), de démembrer la France et d'étouffer les idées révolutionnaires, qui s'exportèrent
de facto, mais bien de récupérer aires d'influence, territoires et populations perdus.
Pour autant, ils n'abandonnèrent pas leur idée de vaincre la France et d'y rétablir l'ordre d'antan :
Citer :
En fait en 1799, à défaut d’une restauration pacifique de Louis XVIII, rendue impossible par les déclarations du prétendant, qui annonçait sa volonté de rétablir l’Ancien Régime, « moins les abus », deux solutions seulement étaient possibles. Ou le retour au régime de l’an II, à la dictature d’une sorte de comité de Salut public, qui eût repris la marche vers la démocratie. Ou une dictature militaire qui, en rassurant les profiteurs de la Révolution, rétablirait la paix à l’intérieur et à l’extérieur. […] Une chose paraissait certaine : la Révolution continue, et si les coalisés redoutent les talents militaires de Bonaparte plus que ceux de ses collègues, ils ne s’estiment nullement battus, et n’ont pas perdu l’espoir d’atteindre, en 1800, leurs objectifs de 1799 : battre la France et la Révolution, rétablir en Europe l’ « Ancien Régime ».
Jacques Godechot, Les Révolutions (1770-1799), p. 251.
La suite est connue : les nombreuses coalitions qui se formèrent dans les années 1800 - toujours fomentées par l'Angleterre et ses subsides ou l'Autriche - contre la République, puis l'Empire se soldèrent par des échecs retentissants. La France ne se contentait plus de "déborder" au-delà du Rhin et des Alpes, elle allait directement raisonner ces monarques absolus dans leurs capitales, à l'exception de l'Angleterre conservant la haute main sur les mers et les Océans du globe.
Mais cette corrélation entre la lutte contre la France révolutionnaire et le durcissement des coalisés dans leur politique intérieure (toujours plus hostile aux idées révolutionnaires) ne doit pas être oubliée, elle sanctionne véritablement leur premier but de guerre : éviter que les idées révolutionnaires ne pénètrent dans leurs Etats et en Europe - à défaut de pouvoir l'empêcher en France - en dressant un véritable cordon sanitaire autour de la France. L'Angleterre à ce titre - et l'Autriche (jusqu'en 1809) - risqua même l'implosion pour parvenir à ses fins :
Citer :
En luttant contre la Révolution, le gouvernement britannique luttait donc non seulement contre la France, mais encore pour maintenir, à l’intérieur du royaume, la prépondérance des classes riches ; la défaite eût sans aucun doute été d’une violente révolution en Angleterre et de la sécession de l’Irlande.
Jacques Godechot, Les Révolutions (1770-1799), p. 222
Bien entendu, cela n'arriva pas et c'est la France qui fut bien défaite en 1815, après la construction d'un Empire français en Europe (1805-1812) nourri par les rêves expansionnistes d'un Napoléon au regard rivé sur les plaines et fleuves d'Europe orientale, qui furent son tombeau. Il faut toutefois constater qu'au delà de son caractère autoritaire, il permit aux populations des Etats vassalisés par la France, voire annexés, de vivre sous les lois du
Code civil, demanda à ce qu'il fut mis fin aux privilèges et à l'absolutisme en faisant promulguer des constitutions.
En 1815, les monarchies coalisées victorieuses se retrouvent donc dans une situation inespérée encore deux années auparavant : après 20 ans de combats, ils triomphent enfin de cette France et de sa "propagande" révolutionnaire. Restait à réduire la France (ce qui fut fait lors des deux traités de Paris et lors du Congrès de Vienne), en évitant tout retour des idées révolutionnaires : c'est le triomphe de la Sainte-Alliance.
Avec la restauration des Bourbons, ils disposent d'une France devenue plus faible et politiquement conforme à ce qu'ils attendaient : cela en est terminé de la souveraineté populaire, la réaction avait triomphé, comme le stipule fort bien le préambule du 2nd traité de Paris en 1815.
Citer :
"Au nom de la Très Sainte et Indivisible Trinité.
Les Puissances Alliées ayant, par leurs efforts réunis et par le succès de leurs armes, préservé la France et l'Europe des bouleversements dont elles étaient menacées par le dernier attentat de Napoléon Buonaparte, et par le système révolutionnaire reproduit en France pour faire réussir cet attentat ;
Partageant aujourd'hui avec S.M.T.C. [Louis XVIII] le désir de consolider, par le maintien inviolable de l'autorité royale et la remise en vigueur de la Charte constitutionnelle, l'ordre de choses heureusement rétabli en France, ainsi que celui de ramener, entre la France et ses voisins, ces rapports de confiance et de bienveillance réciproque que les funestes effets de la révolution et du système de conquête avaient troublés pendant si longtemps"
.
Cela dit, même si cette
"Restauration, en France, reste comme une revanche contre-révolutionnaire aux yeux des Français" (Jessenne,
Ibidem, p. 270), Louis XVIII a évolué depuis la
Déclaration de Vérone (1795) et ses prises de position en 1799 et lors de la décennie 1800 : il ne peut revenir en 1815 au régime de monarchie absolue qu'il défendait jusqu'alors et doit composer avec les héritages institutionnels et sociaux de la Révolution et de l'Empire, parfois à la grande colère de nombreux émigrés.
Cependant, "l'honneur est sauf" et les principes de souveraineté populaire ainsi qu'un grand nombre de libertés sont niés. La souveraineté reposant exclusivement sur sa personne, disposant à lui seul des fameux "trois pouvoirs", les Chambres n'étant que des espaces d'enregistrement de décisions d'un monarque disposant seul de l'initiative législative. Pour autant, ni les privilèges, ni l'absolutisme ne furent réintroduits. Si la France fut bien abaissée finalement, la Contre-Révolution ne fut pas pleinement victorieuse.