Il me semble que le débat sur Napoléon a quelque peu dérivé sur les responsabilités de la France en 1793 et en 1792 (et à cette date il me semble qu’on peut affirmer que Napoléon n’y est pour rien).
Je souhaiterais revenir, pour les contester, sur 2 point du premier message de Lampsaque :
Lampsaque a écrit :
.2 La France de Napoléon opprimait par ses conquêtes et exploitait économiquement. L’Angleterre n’a annexé aucun territoire d’Europe continentale et a laissé chacun libre d’imposer les tarifs douaniers qu’il voulait. Les vainqueurs de 1814 et 1815 n’ont pris aucune province à la France de 1789, qui leur avait imposé vingt-trois ans de guerre et avait procédé à des annexions immenses. Elle a, évidemment, été laissée libre d’établir les tarifs douaniers qu’elle voulait.
.3 Après la chute de Napoléon, il y a eu un siècle très pacifique, avec comme conflits surtout d’assez brèves guerres relatives aux unifications italienne et allemande. En d’autres termes, la guerre commençait à devenir relativement illégitime et à être dépassée par le mouvement de la civilisation, comme l’a bien vu Benjamin Constant (De l’esprit de conquête et d’usurpation). On peut difficilement nier que Napoléon, c’était la guerre gigantesque, et ses adversaires, c’était, très en gros, un camp nettement plus pacifique que lui.
C’est mal comprendre les buts de l’Angleterre. Bien évidemment, il ne s’agissait surtout pas pour elle d’annexer une quelconque parcelle de continent européen, au risque de se retrouver liée par des alliances contraignantes pour la préserver. Ses objectifs étaient de supprimer toute rivalité pour la suprématie coloniale et commerciale mondiale, d’une part en infligeant une défaite définitive au rival le plus dangereux (la France), d’autre part en s’assurant d’un équilibre des puissances sur le continent afin qu’aucune d’elle ne devienne hégémonique. Rien de bien original ni de bien nouveau dans tout cela, depuis la succession d’Espagne et jusqu’en 1919.
Mais les annexions de l’Angleterre, moins « spectaculaires » que celles de Napoléon, sont stratégiquement placées et pour le coup définitives. Ainsi, entre autres, Malte, Ceylan ou la Colonie du Cap, qui curieusement n’ont pas été restituées à l’ordre des Hospitaliers ni à la Hollande une fois Napoléon exilé.
Cette explication d’une rivalité centenaire entre la France et l’Angleterre me convainc bien mieux que l’équation simpliste « Napoléon, c’est l’agression et l’oppression », équation qui peine à expliquer l’attitude britannique, en particulier à l’origine de la formation des 2ème, 3ème et 4ème coalitions dirigées contre la France.
Je partage l’idée du Duc que, à partir de 1808, la politique napoléonienne penche effectivement vers l’agression. Néanmoins, il me semble particulièrement erroné de prétendre que c’est la France qui aurait imposé 23 ans de guerre aux vainqueurs de 1814 et 1815, puisque ce sont souvent ces puissances qui lui ont déclaré la guerre, comme en 1805 et 1806 notamment.
En ce qui concerne les adversaires de Napoléon « nettement plus pacifiques que lui », il me semble qu’il s’agit d’une vision fausse de la réalité. La politique internationale de l’époque, c’est :
2 partages de la Pologne en 2 ans, quelques années avant l’arrivée de Bonaparte au pouvoir, avec bien entendu la répression des révoltes qui s’en suivent ;
2 attaques en 6 ans (1801, 1807) de la flotte anglaise contre le Danemark pourtant neutre (les deux fois), pour garantir l’efficacité du blocus – à ce compte, il est en effet inutile d’imposer des tarifs douaniers…
1 guerre suédo-russe et une guerre austro-turque
2 guerres russo-turques, avec l’annexion de la Crimée, d’Odessa et de la Bessarabie par le Russie ;
Voilà pour le pacifisme des puissances européennes avant et pendant les guerres napoléoniennes.
Quant à l’ « après », eh bien s’il peut sembler plus pacifique c’est à mon avis pour 2 raisons :
D’abord, parce que les violences des guerres napoléoniennes ont lassé et épuisé tout le monde.
Et surtout, parce qu’en 1815 l’Angleterre parvient à ses fins : le congrès de Vienne instaure un ordre où la Grande-Bretagne a l’hégémonie commerciale, maritime et coloniale, et où la garantie de l’ordre en Europe est sous-traitée à la « Sainte-Alliance » réactionnaire.
Et de fait : en 1823, Louis XVIII envoie des troupes en Espagne pour mater la révolution ; dans les années 1820-1830, l’Autriche et le Pape répriment tous les soulèvements en Italie ; en 1830, 120000 Russes répriment l’insurrection polonaise ; en 1849, les Autrichiens envoient une armée contre le Piémont pendant que les Russes leur prêtent main forte contre la révolution hongroise. Bref, malgré les révolutions en France et en Belgique, l’ordre règne. L’équilibre européen reste assuré. Ce qui permet aux Britanniques de se concentrer sur l’essentiel : prise de Singapour, occupation de la Birmanie, occupation des Malouines, guerre de l’opium contre la Chine, invasion de l’Afghanistan…
Mais ça, c’est avant les années 1850 et la guerre de Crimée (3 ans), celles de l’unification de l’Italie (1859-1866), les guerres des duchés entre la Prusse et le Danemark.
Comme le dit Bismarck à cette époque : « les grandes questions de notre temps ne seront pas tranchées par des discours et des votes à la majorité, mais par le fer et par le sang ». Et c’est ce qu’il fera. Si les guerres de 1866 et 1870 ont été courtes, ce n’est dû qu’à la nette supériorité des Prussiens sur leurs ennemis et non à un quelconque « pacifisme ».
Donc, non, le XIXème siècle n’est pas pacifique, la guerre n'est en rien considérée comme illégitime. Les dirigeants britanniques, autrichiens, russes ou prussiens manient la guerre autant que de besoin, s’en servent consciemment comme un moyen de leur politique (c’est l’époque de gloire de Clausewitz), au besoin contre leur propres sujets ou ceux de leurs alliés.
Je pense que vous avez une image déformée et caricaturale de Napoléon (qui « sacrifie allégrement le bien de l’État et de la nation à son intérêt ou à sa passion. »), comme si d’une part il était seul responsable des guerres qu’il a eu à mener, et comme s’il n’y avait pas en lui la moindre réflexion d’homme d’État sur les intérêts de la France.