Pierma a écrit :
Génie militaire qu'il admire, tacticien comme l'histoire en a peu vu, en revanche il n'a pas su construire une stratégie cohérente face à cette opposition et en trouver une qui puisse déboucher sur un équilibre favorable à la France.
Le blocus continental est une folie qui éclaire toutes les autres : l'Espagne, l'arrestation du Pape, l'épouvantable campagne de Russie, et je dois en oublier...
Je partage assez cette analyse, à une réserve près : à mon sens Napoléon a bien eu une stratégie cohérente (le blocus continental), mais fautive et vouée à l’échec.
Et puisqu’on a parlé de poker, de whist et d’échecs, je pense effectivement qu’il y a du joueur chez Napoléon et dans cette attitude de fuite en avant. Il s’est enfermé dans un système où, à chaque étape, n’ayant pu vaincre son adversaire principal (britannique), il augmentait les enjeux et les risques. Ainsi l’intervention en Espagne puis l’invasion de la Russie. Un peu comme un joueur de roulette qui mise davantage à chaque coup pour « se refaire ».
Lampsaque a écrit :
2° Pourquoi les Alliés avaient-si peu d’ambitions à l’encontre de la France ?
Pas parce qu’ils étaient pacifistes, naturellement, ou même tellement pacifiques.
Mais notamment parce qu’ils dépeçaient la Pologne.
Et à part ça, parce que la Russie avait surtout à gagner à une expansion contre les musulmans, au Sud, les Prussiens à une expansion en Saxe, et les Habsbourg à une expansion contre les Ottomans, dans les Balkans. Les Habsbourg étaient par ailleurs désireux d’échanger leurs Pays-Bas contre la Bavière.
Mais c’est un fait qu’ils rêvaient très peu d’expansion au détriment de la France.
C’est sans doute un fait, encore qu’en 1815 à Vienne il y ait eu des projets prussiens visant à retirer à la France l’Alsace, voire une partie de la Lorraine, de la Champagne et de la Franche-Comté ; et encore qu’au final la Prusse et l’Autriche fassent des gains territoriaux par rapport à 1790 (Rhénanie et Vénétie).
Mais comme le dit le duc, je ne vois pas non plus de « rêve » de Napoléon (ni de la République avant lui) de faire des annexions. Le sort des armes leur a été favorable et il a fallu savoir quoi en faire, avec notamment l’idée de se protéger contre un retour de l’ennemi battu. En 1805 par exemple, Napoléon se serait bien passé que l’Autriche et la Russie lui déclarent la guerre. Pour autant après Austerlitz il lui a fallu trouver une solution pour écarter « définitivement » le danger autrichien.
Lampsaque a écrit :
3° Avec les paix de Lunéville et d’Amiens, la France a obtenu des gains prodigieux.
Ni les Anglais ni Bonaparte n’ont tellement tenu à la paix. De la part de Bonaparte, avec ce qu’il avait obtenu, c’était une attitude plus beaucoup plus agressive que celle des Anglais. Qu’il n’ait pas été conciliant pour préserver la paix, je trouve que c’est une faute gravissime, et un crime contre la France.
Les deux parties étaient peut-être mécontentes du traité, mais en l’état c’est surtout l’Angleterre qui en voulait la révision, avec comme problème de fond la position dominante de la France en Europe.
Dans votre idée, qu’est-ce que Bonaparte aurait pu céder qui aurait modifié cette situation pour la rendre acceptable aux Britanniques ? Je ne crois pas que quelques concessions mineures auraient changé quoi que ce soit. Et je pense que Bonaparte en était conscient.
Lampsaque a écrit :
4° Je ne sais pas si l’empire colonial anglais en 1815 lui rapportait tant que ça. Je ne crois pas (je peux me tromper…).
Je crois surtout que l’Angleterre était plus développée que tous les autres pays, et qu’elle avait beaucoup de charbon. Elle était en avance, elle était riche.
Vous citez Malte, Ceylan, le Cap : pas des territoires immenses ni très productifs, et pas non plus des possessions françaises. Bref, l’Angleterre n’exploitait pas l’Europe, ni en 1789, ni en 1815, et ne tirait pas de profits considérables de son empire colonial, ni de la domination des mers par sa flotte de guerre. Et d'ailleurs sa situation n'a pas empêché deux très importants rattrapages : celui des E.-U. et celui de l'Allemagne. Supposons que ce soit la France et non l'Angleterre qui se soit emparée de l'Inde et qu'elle l'ait conservée. Je ne crois pas que ça aurait changé grand-chose aux richesses respectives de la France et de l'Angleterre.
L’empire colonial est-il rentable ? Vaste question… Est-ce que l’occupation de l’Europe par les armées de Napoléon a été plus « rentable » ? Vous semblez le présupposer mais cela reste à prouver.
Vous sembliez attribuer au seul Napoléon une volonté de domination (« agression et exploitation » disiez-vous) : mon propos était de montrer que cette volonté existe également chez les Britanniques sous une autre forme, celle de la domination maritime, et que celle-ci s’est effectivement réalisée, en l’occurrence par la prise de contrôle de points d’appui maritimes stratégiquement placés (bien entendu ces territoires en eux-mêmes n’ont pas une très grande valeur en 1815). [Et j’ai choisi à dessein des territoires qui n’étaient pas des possessions françaises pour montrer que malgré le « beau rôle » que se donne l’Angleterre dans la lutte pour la liberté des peuples opprimés par l’Ogre corse, sa politique est tout aussi pragmatique voire brutale. On veut bien recréer le royaume de Hollande, mais pas lui rendre ses colonies.].
Que cela ait été une stratégie « profitable » ou non est un autre sujet, sans doute un peu trop vaste pour qu’on puisse le traiter, mais qui ne se limite pas du tout à la « rentabilité » de l’empire colonial.
Mais il est difficilement contestable que l’Angleterre d’après 1815 tire des avantages importants de sa domination maritime.
Tout d’abord, sur le plan militaire, elle a la garantie qu’aucune puissance ne puisse l’envahir ni même ne l’envisage (il y a eu pas mal de projets au XVIIIème siècle, mais le camp de Boulogne est la dernière tentative avant 1940) ; et de même personne ne peut venir contester ses projets d’expansion maritime : typiquement lors de l’occupation des Malouines ou de la 1ère guerre de l’opium, aucune puissance européenne ne fait rien.
Certes, la Grande-Bretagne était plus développée que les autres pays, certes elle avait beaucoup de charbon… Vous croyez que cela n’a rien à voir avec sa domination maritime ? Je pense que les deux sont liés, et que c’est plus facile de rester le pays le plus développé lorsque :
- votre flotte marchande domine le commerce maritime grâce à la présence de ports amis sur tout le globe ;
- vous pouvez dissuader (ou vaincre) toute menace d’une autre puissance contre vos intérêts commerciaux ;
- vous pouvez vous procurer du coton pour votre industrie textile sans subir de droits de douane ;
- vous contrôlez le commerce et l’activité bancaire de grands pays d’Amérique du Sud ;
- vous avez la possibilité (et vous vous donnez le droit) d’arraisonner tout navire de quelque pavillon que ce soit faisant du trafic d’esclaves (et pouvant donc concurrencer vos produits coloniaux), même dans les ports brésiliens ;
- vous pouvez imposer à coups de canon le commerce de l’opium à la Chine afin d’équilibrer la balance des paiements de vos colonies
Quant aux rattrapages que vous évoquez, ils sont réels, mais tardifs. La victoire de 1815 a assuré à la Grande-Bretagne trois quart de siècle de domination mondiale incontestée. Ce n’est pas si mal.