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Vraiment j'entends vos arguments, mais procurez-vous si besoin les livres que j'ai cités, je ne pense pas mal les lire, les 2 auteurs insistent vraiment sur le fait que les 4 alliés n'ont jusqu'en avril 1814 aucune intention de restaurer Louis XVIII.
Le problème n'est pas tant d'aller chercher le détail de ce que untel a dit à untel autour d'une table au mois de mars ou d'avril 1814 et d'ergoter là-dessus. Cela, alors que des tendances lourdes se développent dans l'ombre des chancelleries des monarchies coalisées depuis des années.
Il faut se replonger dans un contexte plus long et non pas chercher l'anecdote ultime qui donnera raison à l'un ou à l'autre des débatteurs - comme le font les deux autres intervenants dans cette discussion.
Rétrospectivement, il ne faut pas oublier les vingt années de défaites successives pour les coalisés et leur rêve de vaincre la France révolutionnaire et de replacer un capétien sur le trône. L'Autriche - l'ennemi le plus vindicatif avec l'Angleterre - a même accepté face à cette situation jamais vue de domination française sur tout le continent de marier un membre de la famille Habsbourg à "l'usurpateur" et de s'allier avec cette même France après 1809. C'est ce qu'on appelle du pragmatisme politique, puisque Vienne trahira son alliance (comme la Bavière ou la Saxe par la suite) avec Paris, au moment où Napoléon commencera à connaitre l'échec : la campagne de Russie et la campagne d'Allemagne en 1813. Ces multiples volte-face de ces alliés de circonstance de Napoléon - le passage à l'ennemi des divisions saxonnes en pleine bataille de Leipzig est assez célèbre pour être cité à titre d'exemple -, ainsi que le réveil de puissances revanchardes comme la Prusse font paraitre leur véritable visage : ils souhaitent se débarrasser de ces encombrants Français, qui n'ont cessé de s'étendre depuis dix ans sur le continent, malgré tous les efforts entrepris au départ.
Bien entendu, personne ne pense sérieusement à ce moment à une défaite pleine et entière de Napoléon - tout comme personne ne croyait à ses succès à Austerlitz, à Iéna, Friedland ou Wagram - et c'est dans ce sens que Metternich apporte à Napoléon les propositions de Francfort afin de mettre fin au conflit : Napoléon restera Empereur des Français, la France sera limitée à ses "frontières naturelles" (attention, celles de 1800
grosso modo) et devra évacuer tout territoire ne s'y trouvant pas. Napoléon tergiverse et ne donne pas suite à ces propositions de paix, pourtant généreuses, laissant pourrir la situation, pensant retourner la situation sur le terrain des combats.
C'est l'inverse qui se produit et qui débouche sur la toute aussi héroïque que désastreuse campagne de France en 1814, où les 70 000 soldats de l'Empereur se retrouvent face aux 500 000 hommes des monarchies coalisées.
Là, au gré des succès militaire et d'une défaite inéluctable des Français (on peut y ajouter l'entêtement de Napoléon), les conditions changent en janvier 1814 - forcément personne, à la différence de l'année passée, ne peut penser que Napoléon s'en sorte -et sont bien plus drastiques : Castlereagh va convaincre Metternich et les autres chancelleries des puissances coalisées de faire retourner la France à ses frontières de 1792 et restaurer la famille capétienne sur le trône de France. C'est bien entendu ce que Talleyrand attendait en France. J'ai cité uniquement le nom de ces trois diplomates, tant leur aura fut importante à l'époque sur le continent. Il faut bien rappeler qu'ils sont bien plus puissants que leurs souverains et ont toujours réussi à les persuader par le passé (et à l'avenir aussi).
En février les coalisés envahissent la France et au mois d'avril, malgré quelques succès aussi ponctuels que sublimes, mais finalement vains, de Napoléon, celui-ci est obligé d'abdiquer. Ainsi, la voie de la Restauration est enfin possible.
Encore une fois, ergoter sur ce qu'Alexandre - qui a vu un souverain russe décider du sort de la France dans l'Histoire ? -aurait pu dire ou faire à une table avec le très fade Frédéric-Guillaume III ou encore le terne François II n'a que peu sens. Ce ne sont pas vraiment ces personnages qui dominent le concert des puissances européennes et dictent la politique diplomatique menée par les Etats (nous ne sommes plus au Moyen-Age, mais au XIXème siècle et ces monarque n'ont pas l'envergure d'un Louis XIV, d'un Frédéric II ou d'une Marie-Thérèse), mais le plus souvent leurs ministres. Or ceux-ci sont acquis au retour des frères de Louis XVI, non pas en raison de la personnalité de Louis XVIII - qui les insupporte pour la plupart -, mais bien parce que c'est dans l'ordre des choses, parce que c'est le sens même de la politique menée par les monarchies coalisées depuis le début des guerres révolutionnaires. Metternich ne jouera la carte Napoléon que quelques temps, sans trop y croire lui-même.
C'est bien cette tendance lourde qu'il faut prendre en considération dans cette affaire, mêlée à une situation géopolitique très fluctuante en moins de deux années où l'on passe d'une Europe totalement dominée par la France de Napoléon - dans laquelle les principales puissances font le dos rond en attendant que "cela passe", sans trop d'espoir - à une France vaincue, envahie et occupée.
Liber censualis a écrit :
si Louis XVI avait échappé à son arrestation de Varennes, sûrement aurait il été fortement question de renverser la république et de le restaurer dans toutes ses prérogatives
N'oubliez pas qu'il était roi des Français à cette date et qu'il n'y avait nulle République à renverser. Les monarchies absolues d'Europe voulaient déjà le restaurer dans ses prérogatives d'avant 1789, alors que nous étions encore sous un régime de monarchie constitutionnelle ; mais cette "horreur" de
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et la fin de la société d'ordres ne devaient pas sortir de France, mieux elle devait tout simplement disparaitre. C'est tout le sens de la
Déclaration de Pillnitz, puis du
Manifeste de Brunswick et de la politique menée par les austro-prussiens en 1791-1793.
Liber censualis a écrit :
Les plus conservateurs des coalisés, Metternich et l'empereur François, envisageaient même de garder Napoléon lui-même
C'est normal, car c'est sans doute eux qui ont été le plus vaincus par lui entre 1796 et 1809. Douze années de défaites cela vous change votre politique, vous fait même vous allier avec votre ancien bourreau. Mais dès que cette situation change - que représentent quelques mois face à une double décennie dans ces esprits ? - vous en retournez à votre
credo, lentement, mais certainement !
Citer :
Mais convenez que Louis XVIII va largement protéger les acquis de la révolution et de l'Empire.
L'Empire en avait déjà écarté certains, la Restauration encore plus (liberté d'expression, droit de vote, alliance avec les régimes réactionnaires européens, etc.). Les libertés et les droits qui sont ceux des Français n'ont plus rien à voir avec ceux de 1792 ou de 1795. Mais même si on ne retourne pas vraiment à la société et à la monarchie de l'Ancien Régime, c'est bien parce que Louis XVIII a dû, également, composer avec pragmatisme. Sa tolérance et sa patience furent ses deux atouts, on ne peut pas en dire autant des autres membres de sa famille et de la plupart des émigrés "ultras" de l'époque.
Cette situation ne pouvait d'ailleurs être que transitoire, suite à cette période de guerre ininterrompue depuis 1792. Ce régime, bien trop conservateur et autoritaire, devait nécessairement se libéraliser, faute de quoi il serait abattu. C'est ce qu'il s'est produit en 1830.