en reprenant Olivier Caudron rien ne dessine une "ségrégation raciale" des personnes de couleur résidant en France à la description des profils très variés, pas seulement des domestiques ou artisans mais aussi des employés civils ou militaires de l'Etat ou des administrations locales ou "propriétaire" et contractant des unions "mixtes"
il est vraisemblable que toutes n'aient pas rempli les conditions fixées par l'arrêté du 13 messidor an X (2 juillet 1802) pour l'entrée en France des « Noirs, mulâtres et autres gens de couleur » (c'est significativement l'expression de l'Ancien Régime qui est reprise par Bonaparte), à savoir soit d'être « au service », soit d'être pourvu d'une autorisation. Cette mesure très limitative paraît cependant avoir eu un réel impact sur l'évolution quantitative de la population
Louis Merré, qualifié de « griffe » par le maire de Saint-Martin, c'est-à-dire, en théorie, de noir aux trois-quarts, descendant donc d'un Noir et d'un mulâtre se remarie début 1804 à Loix en Ré avec une femme blanche
La présence à Saintes de Marie Fathué Abbalon, née en Abyssinie (Ethiopie), illustre une nouvelle origine de population noire en France, issue celle-ci de l'expédition d'Egypte, les sultans livrant à l'armée française de jeunes esclaves en échange de sa protection. Arrivée en France en l'an IX avec l'armée d'Egypte, désormais âgée de 20 ans et épouse du capitaine de la « compagnie départementale », C'est très certainement par égard pour son statut social que le recensement la qualifie de « dame »
A Marennes, deux individus présents depuis longtemps travaillent pour l'administration : Muraire, un mulâtre de 50 ans, qui vit en France « depuis l'enfance », est contrôleur des Droits réunis, tandis que le Noir Placide, arrivé en 1776, est « piéton » de la sous-préfecture. Dans cet éventail des conditions socioéconomiques, figure encore le statut de « propriétaire » de Jean Charles et Nicolas Moulinier, mulâtres, sans doute des frères, à Coux
Quant aux femmes, à LagordMadeleine Pinson, mulâtresse à qui l'état n'associe aucune profession, est l'épouse du citoyen Delorme, marchand de vin. Elisabeth, mulâtresse, débarquée à l'âge de deux ans, est la « fille de confiance » de Madame Guimet, qui l'a élevée « comme son propre enfant ». Marie Nolet, mulâtresse de 57 ans propriétaire à Tonnay-Boutonne la quarteronne Louise Bouffard, 16 ans, venue seulement à l'an l'an XI, soit peu avant l'indépendance haïtienne, elle vit à La Rochelle « de ses revenus », « ayant des prétentions dans les colonies et propriétaire »
Une union mixte est cependant signalée à Pamproux (Deux-Sèvres) : la mulâtresse Marie Jeanne Popotte est mariée au sieur Cherrière, ce qui lui vaut d'être qualifiée de « propriétaire », tout comme la quarteronne Charlotte Auditeau, veuve depuis quatorze ans d'un notaire de Saint-Maixent.
Après l'arrêté restrictif du 13 messidor an X, les arrivées se raréfient. C'est peut-être à son caractère « inclassable » que le cordonnier de Limoges, déjà mentionné, Juste Antoine Bonnet, doit d'être entré en 1804. M. Birouard, payeur du département des Deux-Sèvres, a pu pour sa part faire venir, en 1806 encore, un « nègre », une « négresse » et un mulâtre du Cap Français, qui sont tous les trois ses domestiques à Niort. Quant à Semsam, le dernier arrivé parmi les recensés, en France depuis février 1807, il « se dit prisonnier de guerre anglais » ; ce Noir est en tout cas « placé chez M. Jôlé, médecin de l'hospice militaire de Poitiers ».
à Poitiers, cinq officiers réformés dont un chef d'escadron de gendarmerie, Guillaume Etienne Lanneau ; deux de ces officiers sont employés à l'octroi de la ville et un troisième « à la surveillance des prisonniers de guerre prussiens ». Un mulâtre est également commis de l'octroi à Melle, dans les Deux-Sèvres où résident aussi, à Pamproux et Saint-Maixent, les deux propriétaires déjà évoquées
Julie Duprat sur le Bordelais Le recensement de 1807 confirme en effet la présence d’une population noire toujours importante sous l’Empire, marquée par la coexistence d’anciens arrivants installés dès l’Ancien Régime et de nouveaux immigrants qui rejoignent la France suite aux troubles révolutionnaires dans les colonies ; ces derniers font face à une certaine précarisation et sont pour une grande part logés au sein du couvent de la Chartreuse. Des solidarités se mettent en place entre ces deux groupes pour surmonter les difficultés. L’assimilation des populations noires semble plus facile dans l’arrière-pays aquitain : moins concentrés dans l’espace, les gens de couleur trouvent plus facilement à s’établir et à se marier. Toute une partie du sud-ouest de la France continue ainsi à être irriguée par l’arrivée de minorités noires : on trouve notamment beaucoup d’élites métissées revenant s’établir sur les terres paternelles et nouant des alliances matrimoniales avec la bourgeoisie et la noblesse locales. (...) L’amoindrissement du préjugé de couleur et l’absence de hiérarchie raciale en métropole permettent aux gens de couleur de prendre des initiatives individuelles afin de s’établir et de s’intégrer dans l’espace urbain. L’histoire que nous avons voulu retranscrire ici est donc moins celle d’un groupe homogène que celle d’une multiplicité d’expériences personnelles. Comme dans les colonies, où les relations entre Blancs et Noirs ne sauraient être analysées sous un prisme uniquement bipartite, l’établissement en métropole de gens de couleur recouvre un large spectre de réalités. Les présences noires à Bordeaux à la veille de la Révolution sont donc plurielles : esclaves, libres, affranchis, domestiques, artisans, rentiers et négociants… Ces individus, s’ils sont rassemblés par leur origine africaine, n’ont pas tous été conditionnés par leur couleur de peau et suivent des trajectoires variées. Ce beau sujet reste encore largement à explorer et de nombreuses archives modernes et révolutionnaires bordelaises attendent d’être analysées sous le prisme de la question noire.
|