Nathan8 a écrit :
l'intention de l'angleterre n'etait pas moins que la domination du monde
Voilà une vision bien caricaturale dans la droite ligne de la « propagande » napoléonienne, consulaire, impériale et post impériale.
Cette vision a d’ailleurs aveuglé Napoléon dans ses jugements héléniens sur la politique anglaise lors du congrès de Vienne ; politique qu’il ne pouvait en conséquence pas comprendre.
Montholon (Récits de la captivité de l'Empereur Napoléon à Sainte-Hélène) :
"[Napoléon] passe en revue toutes les fautes du ministère anglais dans les conférences du congrès de Vienne et dans les arrangements qui ont été la conséquence des désastres de 1815.
Le cabinet de lord Castlereagh, comme celui de l'aristocratie vénitienne, s'est laissé dominer par de vieilles idées; le grand lord Chatam a dit : « Si l'Angleterre agissait envers la France avec justice pendant vingt-quatre heures seulement, elle courrait à sa ruine. » L'Angleterre doit à lord Castlereagh tout l'embarras de sa situation et les crises qui la menacent. Il faut avoir été aveuglé par un respect irréfléchi pour les opinions de lord Chatam, ou par une absurde vanité de désintéressement, digne d'un nouveau don Quichotte, pour s'être conduit comme l'a fait lord Castlereagh au congrès de Vienne. Quand l'Autriche acquérait dix millions d'habitants, la Russie huit millions, la Prusse dix millions, qu'enfin la Hollande, la Bavière et jusqu'à la Sardaigne obtenaient des agrandissements de territoire, l'Angleterre n'aurait pas trop demandé, pour sa part d'indemnité de vingt ans de sacrifices et d'efforts, qui pourraient paraître impossibles, si elle eût exigé l'établissement de petits États maritimes indépendants, mais sous sa protection, tels que Hambourg, Brème, Lubeck, Stralsund, Dantzick, Anvers, Gênes, Venise, pour servir d'entrepôt à ses manufactures, avec des stipulations secrètes qui lui assureraient, au moyen de tarifs d'accord, une concurrence raisonnable. Mon système continental n'était point un caprice d'ambition, une folie de ma colère; c'était un coup mortel à l'industrie anglaise et un acte d'une immense valeur pour développer et garantir l'avenir de l'industrie manufacturière de l'Allemagne, de l'Italie et de la France. Lord Castlereagh sera maudit tôt ou tard pour son imprévoyance, par les manufacturiers anglais, quand le jour viendra où les gouvernements des États du continent leur fermeront leurs portes, que le développement de l'industrie manufacturière que j'ai créée dans tous les pays soumis à mon sceptre sera la conséquence nécessaire des bienfaits de la paix. Mais une faute plus grave encore est d'avoir donné la couronne de Pologne à la Russie; mieux valait cent fois la donner au roi de Prusse ou à l'empereur d'Autriche. On ne devait pas non plus lui laisser usurper le protectorat des quatre provinces du Danube. La Russie est envahissante de sa nature, tôt ou tard elle fera une irruption en Europe; elle le doit dans l'intérêt du progrès de civilisation des quatre cinquièmes de sa population, et ce lui sera un moyen puissant de rapprochement et de séduction vis-à-vis des peuplades nombreuses et valeureuses qui habitent sur ses frontières; elles seront attirées vers elle par les récits fabuleux des jouissances de l'Europe, toutes viendront se grouper dans les rangs des troupes légères de l'armée russe. L'appât du pillage d'une ville comme Paris est plus qu'il ne faut pour que tous les barbares du Nord se ruent sur l'Europe. Tous ces peuples ont ce qu'il faut pour être conquérants; ils sont braves, actifs, infatigables, insensibles aux atteintes du climat, vivent de peu et ont une discipline de brutes. Si la Russie réussit à détruire la nationalité polonaise ou à s'acquérir la fraternité des Polonais, elle n'aura dès ce moment plus de rivale, parce qu'elle arrêtera l'Angleterre en menaçant ses possessions dans les Indes, et l'Autriche par la grande supériorité morale de ses troupes et l'assistance des sectaires de l'Église grecque, en si grand nombre en Hongrie et en Gallicie. Selon toute apparence un patriarche grec officiera un jour à Sainte-Sophie, et de ce jour l'Angleterre perdra les Indes, et l'Europe sera soumise au knout d'un czar.
Une autre faute, non moins grande du ministère anglais, c'est d'avoir réuni la Belgique à la Hollande; parce que la Hollande ne sera jamais assez forte pour empêcher la France de la lui enlever, quand elle le voudra, et que la Hollande n'ayant point les manufactures de la Belgique, redevenait, par son propre intérêt, l'entrepôt le plus important des produits des fabriques anglaises. Mieux valait pour l'Angleterre rendre la Belgique à l'empereur d'Autriche.
En résumé, le cabinet de lord Castlereagh est responsable de tous les malheurs, de tous les désastres qui menacent l'Angleterre, pour avoir manqué l'occasion d'assurer à son pays d'immenses avantages commerciaux, et de la rendre la nation la plus riche et la plus puissante du monde. Il a signé le traité de Paris, et il s'est conduit au congrès de Vienne comme si l'Angleterre avait été vaincue. De puissance directrice qu'elle était vis-à-vis de la coalition, il l'a transformée en puissance auxiliaire, heureuse de ramasser quelques miettes au festin des rois. Au lieu de parler en maître, il s'est mis humblement à la remorque des chancelleries de Vienne, de Saint-Pétersbourg, de Berlin, qui depuis vingt ans étaient à la solde de la trésorerie de Londres. Il a laissé son pays sous le poids d'une dette immense qui dès lors se trouvait n'avoir été contractée que dans l'intérêt d'une famille, les Bourbons, et de cette sainte alliance, si oublieuse de tout ce que l'Angleterre a fait pour elle, que déjà elle se prépare à lui fermer les marchés du continent avec non moins de rigueur que ne l'a fait l'empire français."
O'Meara(Napoléon dans l’exil) :
" [Napoléon] observa que lord Castlereagh méritait la réprobation de la nation anglaise, pour le peu de soin qu'il avait pris de ses intérêts à l'époque de la paix générale. « Les malheurs dont je fus assailli avaient donné un tel ascendant à l'Angleterre, qu'on lui eût accordé presque tout ce qu'elle aurait demandé, indépendamment du droit qu'elle avait de réclamer une récompense pour l'indemniser des dépenses énormes qu'elle avait faites. Il s'est offert, pour l'Angleterre, un moment favorable qui ne se présentera peut-être plus; elle aurait pu se tirer de tous ses embarras dans l'espace de quelques années, et se délivrer de l'immense fardeau qui pèse sur elle. Si lord Castlereagh eût été réellement attentif aux intérêts de son pays, il aurait saisi promptement la seule occasion qui se soit présentée à lui d'assurer à l'Angleterre des avantages commerciaux, capables de la délivrer de ses embarras. Mais au lieu de cela, il ne s'est occupé qu'à faire sa cour aux rois et aux empereurs, qui ont flatté sa vanité en l'honorant de quelque attention; ils savaient qu'en agissant ainsi, ils lui feraient négliger les intérêts de son pays, et qu'ils serviraient ainsi les leurs. Il en a été complètement la dupe, et votre nation le maudira. »
Las Cases (Mémorial de Sainte-Hélène ; n’apparaît pas dans le Manuscrit original) :
« Après vingt ans de guerre, après tant de trésors prodigués, tant de secours fournis à la cause commune ; après un triomphe au-dessus de toute espérance, quelle paix pourtant a signée l'Angleterre ! Castlereagh a eu le continent à sa disposition ; quel grand avantage, quelles justes indemnités a-t-il stipulés pour son pays ? il a fait la paix comme s'il eût été vaincu. Le misérable ! je ne l'eusse guère plus maltraité si je fusse demeuré victorieux. Ou bien encore, serait-ce qu'il s'estimait assez heureux de m'avoir renversé ? Dans ce cas, la haine m'a vengé. Deux forts sentiments ont animé l'Angleterre durant notre lutte : son intérêt national et sa haine contre ma personne. Au moment du triomphe, la violence de l'un lui aurait-il fait oublier l'autre ? elle paierait cher ce moment de passion ! » Et il développait son idée, parcourant les diverses combinaisons qui démontraient les fautes de lord Castlereagh et les nombreux avantages qu'il avait négligés. « Des milliers d'années s'écouleront, disait-il, avant qu'il ne se présente une telle occasion pour le bien-être, la véritable grandeur de l'Angleterre. Est-ce donc de la part de lord Castlereagh ignorance ou corruption ? Ce lord Castlereagh a distribué noblement, à ce qu'il a cru, les dépouilles aux souverains du continent, et n'a rien réservé pour son pays; mais n'a-t-il pas craint qu'on lui reprochât d'avoir été là bien plutôt leur commis que leur associé ? Il a fait don de territoires immenses : la Russie, la Prusse, l'Autriche ont acquis des millions de population. Où se trouve l'équivalent de l'Angleterre ? elle qui pourtant avait été l'âme de ces succès, elle qui en avait payé tous les frais : aussi recueille-t-elle déjà le fruit de la reconnaissance du continent, et des bévues ou de la trahison de son négociateur. On continue mon système continental ; on réprouve, on exclut les produits de ses manufactures : au lieu de cela, pourquoi n'avoir pas bordé le continent de villes maritimes libres et indépendantes ? celles, par exemple, de Dantzick, Hambourg, Anvers, Dunkerque, Gênes et autres, qui fussent demeurées les entrepôts obligés de ses manufactures, dont ils eussent inondé l'Europe en dépit de toutes les douanes du monde. Elle en avait le droit et le besoin; ses décisions eussent été justes : et qui s'y fût opposé au moment de la libération ? Pourquoi s'être créé un embarras, et, avec le temps, un ennemi naturel, en unissant la Belgique à la Hollande, au lieu d'avoir ménagé deux immenses ressources à son commerce, en les tenant séparées ? La Hollande, qui n'a point de manufactures, était le dépôt naturel de celles de l'Angleterre, et la Belgique, devenue colonie anglaise sous un prince anglais, eût été la route par laquelle on en eût constamment inondé la France et l'Allemagne. Pourquoi n'a-t-on pas plié l'Espagne et le Portugal à un traité de commerce à long terme, qui eût repayé de tous les frais qu'on a faits pour leur délivrance, et qu'on eût obtenu sans peine d'affranchir leurs colonies, dont, dans les deux cas, on eût fait tout le négoce ? Pourquoi n'a-t-on pas stipulé quelque avantage dans la Baltique et vis-à-vis les États d'Italie ? C'était là comme autant de droits régaliens de la souveraineté des mers. Après s'être battu longtemps pour en soutenir le droit, comment en négliger les bénéfices, quand elle se trouvait consacrée de fait ? Est-ce qu'en sanctionnant l'usurpation dans les autres, l'Angleterre eût pu craindre qu'aucun osât se refuser à la sienne ? Et qui l'eût pu ? Je m'attendais à quelque chose de la sorte. Peut-être le regrettent-ils aujourd'hui qu'il est trop tard, car ils ne sauraient plus y revenir, ils ont manqué le moment unique !... Que de pourquoi encore j'aurais à multiplier !... Lord Castlereagh seul pouvait agir ainsi; il s'est fait l'homme de la sainte-alliance : avec le temps, il sera maudit. Les Lauderdale, les Grenville, les Wellesley et autres, eussent traité bien différemment; c'est qu'ils eussent été les hommes de leur pays, etc. »
Nicolson (Le congrès de Vienne - Histoire d'une coalition 1812-1822) a commenté ainsi ce passage du Mémorial :
"Considérant après coup ces négociations à Sainte-Hélène, Napoléon, incapable par tempérament de comprendre une autre politique que celle de la force, ne pouvait attribuer la magnifique modération de Castlereagh qu'à la trahison ou à la corruption, à l'ignorance ou à la folie.
[...]
Si Castlereagh avait connu ce jugement, il aurait tout simplement répondu : "Je ne faisais qu'appliquer ce que Pitt nous conseillait à tous de faire en 1804". Dans un moment accoutumé à l'opportunisme brillant, à la politique à sensation de la force, un tel attachement à des principes était en vérité remarquable. Son idée maîtresse, pendant ces mois passés à Paris, était "sécurité et non revanche". Les réparations pouvaient être payées sous forme d'une indemnité raisonnable s'ajoutant aux frais d'occupation, et par la restitution des œuvres d'art qu'on avait généreusement laissées à la France en 1814. La sécurité pouvait être assurée par deux moyens, le premier particulier à l'Angleterre et le second dans l'intérêt général de l'Europe. D'une part, la sécurité stratégique immédiate serait garantie par l'occupation des places fortes du nord de la France et la cession de quelques cantons frontières. D'autre part, la paix européenne serait maintenue par l'union durable des puissances prépondérantes en Europe, liées entre elles par une alliance."