J'ai lu pas mal d'ouvrages sur les loups en général et sur la Bête du Gévaudan en particulier, dont une bonne partie de ceux qui sont cités dans ce fil (Michel Louis et Jean-Marc Moriceau). En ce qui concerne le second, d'ailleurs, j'ai même eu l'insigne honneur de le rencontrer sur une exposition et de lui fournir quelques actes trouvés dans les paroissiaux de mon département sur des gens (généralement des enfants et des adolescents... mais pas uniquement) attaqués et dévorés par des bêtes sauvages. Je précise bien "bêtes sauvages" car, dans une majorité de cas, la "bête" n'est pas identifiée.
Par ailleurs, j'ai eu aussi l'occasion de visiter le site Alpha-Loup, à St Martin Vésubie, qui permet bien de comprendre les différents points de vue sur le sujet (éthologue, louvetier, éleveur), sans toutefois aborder le thème toujours délicat de la prédation humaine.
Mon point de vue sur la question, c'est qu'il serait quand même naïf de croire que le loup est incapable de s'en prendre à l'homme. Dans certaines conditions, quand son espace vital est trop restreint (notamment dans les campagnes céréalières de la seconde moitié du XVIIIe siècle) par rapport à sa population, le loup n'hésite pas à sortir du bois pour s'attaquer à des proies faciles : non seulement les animaux de pâture mais, si ceux ci sont absents, à des enfants ou des jeunes adolescents isolés. Par ailleurs, lorsque des conflits armés laissent derrière eux des cadavres, les loups, en parfaits charognards, trouvent là une bonne occasion de se repaître : c'est arrivé dans les Balkans pendant la guerre 14 /18, par exemple. Enfin, il y a aussi le problème des loups apprivoisés, habitués à la proximité humaine. Un cinéaste animalier que j'ai rencontré il y a déjà pas mal d'années expliquait volontiers que dans un cirque à Oulan-Bator, il avait été cerné par la meute de loups fort hostile à son encontre et qu'il avait eu la peur de sa vie.
Ceci étant dit, accuser le loup de tous les maux est aussi ridicule que de l'en disculper systématiquement. Pour la Bête du Gévaudan, sans avoir d'explication à fournir (les différentes dépouilles des bestioles tuées ont disparu dans les profondeurs de l'histoire), c'était avant tout une affaire politique, destinée à ébranler le pouvoir royal. Et Louis XV l'a fort bien compris puisqu'il a expédié sur place son porte-arquebuse personnel, Antoine de Beauterne, avec pour mission de lui ramener la Bête. Dont acte. La Bête tuée, c'était la paix qui revenait, peu importe si les attaques ont recommencé peu après. Le rôle des Chastel là-dedans est trouble, mais difficile de savoir exactement lequel. Comme quelqu'un l'a souligné dans un autre post, c'étaient des marginaux.
A la même époque, et ailleurs, bien d'autres Bêtes ont répandu une forme de terreur. Quelquefois des loups. Le plus souvent autre chose : des chiens enragés, des chiens errants, des loups un temps apprivoisés ayant échappé à leurs maîtres, des hybrides chien / loup, etc. Et très franchement, je crois aussi que certains noblaillons sans scrupules ont été fort capables de lâcher dans la nature de dangereuses bestioles telles que ci-dessus ou négliger de chercher celles qui leur avait échappé sans se soucier des conséquences. La plupart d'entre eux pratiquaient la chasse à courre, avec des chiens de meute qui n'étaient certainement pas de gentils caniches (quoique, ça peut être vicieux, un caniche...
). Ces chiens, livrés à eux mêmes, ne se laissaient pas grattouiller gentiment le crâne.
Par ailleurs, le film
Gladiator (qui ne parle pas du tout de loup) montre quelque chose d'intéressant à son ouverture (lorsque Maximus fait la guerre aux Germains) : les chiens de guerre. De gros molosses cuirassés entraînés pour être agressifs et blesser, voire tuer, l'ennemi. Les chiens de guerre ont été couramment utilisés dans les armées jusqu'au XVIe siècle. Localement, peut-être plus tard.
Enfin, il y a quelques temps, en relisant des notes que j'avais prises par rapport aux attaques de loups sur les moutons des Alpes et aux attaques en général sur tout le territoire national (car les attaques de loups sont minimes par rapport à la quantité de bêtes tuées par des animaux errants en France), un souvenir m'est revenu. Dans les années 80, j'avais un chien, un petit chien très tonique, vague mélange de caniche, de teckel et de fox terrier. Un de mes oncles s'amusait à cette époque à élever quelques moutons dans un petit enclos sur son terrain. Et le jeu favori de mon chien consistait à courir à fond la caisse le long de l'enclos en aboyant pour les effrayer. Ce qui marchait évidemment fort bien : les moutons, affolés, ne cessaient de se précipiter d'un côté sur l'autre. Si le chien avait réussi à pénétrer dans l'enclos, nul doute qu'il aurait tenté de leur mordre les jarrets. Toute bête à poils ou à plumes sortant de la race canine l'agaçait foncièrement, de même que les bêtes verticales à deux pattes qui faisaient du vélo, le garde-champêtre et le facteur. Je me dis que si ce chien avait été plus gros et plus fort, il aurait fait du hachis de mouton. Je me dis aussi que si les moutons avaient été en liberté, ils se seraient précipités dans un bel ensemble dans le premier traquenard venu, tout ça parce qu'un petit chien leur courait après. Alors quid d'un molosse ?
En tout cas, pour en revenir aux loups, nulle attaque sur l'homme n'a eu lieu depuis 1918 (et celle-ci laisse planer bien des doutes). En revanche, des attaques de chiens sur de jeunes enfants ou même sur des adultes ont lieu chaque année. Et les fameux patous censés garder les troupeaux en montagne causent pas mal de problèmes dans certains secteurs sans que les touristes soient forcément responsables (du reste, la plupart des randonneurs de haute et moyenne montagnes sont très respectueux des consignes). Il y a trois ou quatre ans, une femme qui randonnait du côté de Bonneval sur Arc en Haute Maurienne a subi une attaque de patou qui lui valu la bagatelle de 32 points de suture. Les loups, eux, restent à l'écart...