AU COEUR DES CABALES DE LA COUR
Sitot les fetes de son mariage terminées, la comtesse de Provence a tout le loisir de s'interroger sur le caractère de son époux que la raison d'Etat lui a imposée.
La question est malaisée car Louis Stanislas ne se dévoile pas et parle peu. Marie-Joséphine est déja chagrine car contrairement à ce qu'il a dit, il ne lui a pas procuré de révélations inédites dans la couche conjugale. Elle est déja desemparée et se sent isolée.
Si elle est loin d'etre séduisante, son mari n'a rien d'un Adonis. Les portraits du petit-fils cadet de Louis XV nous montrent un jeune homme au visage trop plein rehaussé cependant de beaux yeux noirs expressifs. D'un embonpoint précoce, il se dandine pompeusement comme un coq de basse-cour. Sa santé n'est pas brillante : sujet à la gloutonnerie, il a de fréquentes indigestions et des poussées de fievre.
Au cours d'une maladie en 1772, il perd tous ses cheveux. Louis Stanislas est contraint de porter perruque. Marie-Joséphine ne trouvera rien de mieux en le surnommant "Prince Tignasse !".
La lettre de Mercy-Argenteau du 16 septembre 1772 renforce ce tableau : " La santé du comte de Provence est toujours fort chancelante. Ce jeune prince est d'une faiblesse qui n'admet pas l'usage des exercices qui seraient propres à fortifier son tempérament. Les médecins ont pris la résolution de lui fermer un cautère qu'on avait du former dans son enfance. Il en est résulté que monseigneur de Provence commence à ressentir des incommodités occasionnées par les humeurs qui refluent dans le sang. Il lui est venu des dartres aux mains et il a perdu ses cheveux. Tous ses symptomes n'annoncent pas que la santé du jeune prince puisse se rétablir aisément et qu'on est guère dans le cas de s'attendre qu'il puisse avoir des enfants."
D'un an plus jeune que sa femme, le comte de Provence est un prince secret mais qui ne manque ni d'intelligence ni d'esprit. Prince cultivé, il est versé dans les lettres classiques, c'est un boulimique de lecture. Mais Louis Stanislas, second héritier après le dauphin est dévoré par l'ambition des frères cadets : celle de monter sur le trone. Il jalouse son frère qu'il juge moins intelligent et capable que lui. Les deux frères se méfient déja l'un de l'autre. S'ils ont encore des élans de franche camaraderie, une broutille provoque des disputes, voire des bagarres.
Les mauvaises pensées sont enterrées au fond du coeur de Provence mais jusqu'a la fin il méprisera le futur Louis XVI. Mercy-Argenteau parle de son penchant pour "l'intrigue, l'interet et une dissimulation outrée" et plus tard de sa fausseté.
S'il ne fait guere part de ses pensées à Marie-Joséphine, Louis Stanislas tient à maitriser la conduite de sa femme à Versailles . En effet si le comte de Provence n'a aucune part dans les affaires de l'Etat, il flatte la favorite en titre et les ministres de son grand-père. En témoigne cette lettre de l'ambassadeur d'Autriche : "Le despotisme qu'il exerce sur son épouse a souvent donné lieu a celle-ci de se plaindre. Elle voudrait paraitre répugner à toutes les démarches du parti dominant et elle s'en excuse comme d'une violence que lui fait subir le ton impérieux et absolu du jeune prince."
Nous y voila ! car à la cour la favorite du roi règne sans partage, il faut compter avec elle. De trés modeste origine, la comtesse Du Barry est devenue la maitresse de Louis XV en 1768. D'une incontestable beauté plastique, c'est une femme de gout au reste trés bonne. Elle ne ferait pas de mal à une mouche !
Si elle n'a pas d'ambitions politiques affichées, elle est malgré tout rattrapée par le jeu des intrigues et des cabales de la cour. L'arrivée de l'archiduchesse Marie-Antoinette en 1770 lui a causé un rude écueil : la dauphine lui bat froid, la regarde à peine et ne lui parle pas. Marie-Antoinette ne veut pas adresser la parole à une femme qu'elle juge impure, née à la lisière du peuple et qui lui vole la vedette.
Cette situation dure depuis un an lorsque Marie-Joséphine arrive à Versailles. A ce titre, le comte de Provence est l'un des rares menbres de la famille du roi à faire bon visage à madame Du Barry. C'est pourquoi il veut que sa femme conforme son comportement sur le sien : qu'elle parle à la favorite, qu'elle lui dise des niaiseries qui n'engagent à rien mais qui marqueront la différence avec l'attitude hautaine de la dauphine !
Assurément un dangereux chausse-trappe pour la princesse inexperimentée qu'est encore Marie-Joséphine. Pendant les premiers mois de son mariage, la comtesse de Provence semble dépassée par sa nouvelle situation, elle ne comprend pas le monde à la fois brillant et cynique de Versailles et les intrigues qui y fourmillent. Elle a du mal à s'adapter, la foule omniprésente lui pèse, elle s'étonne que l'on prenne la peine de la saluer lorsqu'elle se trouve dans ses appartements privés. En décembre 1771, elle écrit ainsi à ses parents : "Je suis excédée des visites, car à Turin il y a le baise-main, ici il n'y en a pas, toutes les dames viennent à l'heure qu'elle veulent et elles viennent à la débandande."
Nous ne sommes pas loin du temps ou Louis XIV disait à sa belle-fille "Nous nous devons tout entiers au public". Une princesse ne s'appartient pas. Il n'empeche à la fin du XVIIIe siècle, ces usages commençaient à devenir intolérables... Madame de Provence veut ne froisser personne, alors si on lui demande de faire la cour à madame Du Barry au risque de s'attirer les foudres de Marie-Antoinette, il y a un monde !
Mais la situation n'est pas si simple. Pour son mariage, une maison lui a été constituée, elle compte plusieurs centaines de personnes, de la dame d'honneur au dernier galopin de cuisine. Or cette maison a été largement pourvue de courtisans favorables à madame Du Barry. Les principals titulaires de charges doivent leur nominations grace à la favorite. A t-on voulu sciemment faire de la maison de la comtesse de Provence, un parti barryste ?
Pierre de Nolhac dans "Marie-Antoinette Dauphine" écrit à ce sujet : "Le mariage du comte de Provence fut la grande curée des profitables déshonneurs : ce fut madame Du Barry qui dressa la liste des charges qu'on créait pour la princesse savoyarde. Une de ses premieres amies, madame de Valentinois fut dame d'atours. Toutes ces créatures avaient pour role d'acquérir la comtesse de Provence à la favorite , d'obtenir d'elle à force de flatteries et de mensonges, le soutien ou au moins les égards qu'on avait vainement désirés de la dauphine".
Cela Marie-Antoinette le sut trés tot, alors que Marie-Joséphine était dans l'ignorance de ses intrigues d'antichambre. Peu à peu les deux princesses mises en porte-à-faux par des enjeux qui les dépassaient firent preuve de méfiance l'une envers l'autre. Ce sentiment se transforma en de la franche animosité, il devait perdurer jusqu'a la Révolution.
On a parlé parfois de l'existence d'un parti piémontais. A la vérité il n'a jamais existé qu'en idée et ce ne fut qu'une chimère. Certes, l'arrivée de la comtesse d'Artois en 1773 puis le mariage de Clotilde, soeur de Louis XVI avec le prince de Piémont en 1775 ont preté le flanc à ses bruits. Mais les deux princesses de Savoie n'avaient ni le caractère ni surtout la culture et les moyens politiques pour s'en faire les auxiliaires.
En fait, les alliances successives de la maison de Bourbon avec des princes de Savoie causa un mouvement d'humeur de la maison de Habsbourg. Car ne l'oublions pas les Bourbons et les Habsbourgs étaient le symbole d'une alliance capitale dont l'aboutissement avait été l'union du dauphin et de Marie-Antoinette.
C'est pourquoi Vienne se senti laisée par les alliances successives entre la maison de France et celle de Savoie. Elle craignit un moment la naissance d'un parti piemontais à Versailles susceptible de causer du tort à Marie-Antoinette et aux interets franco-autrichiens.
De ce fait, dans l'idée la favorite de Louis XV en aurait été un des satellites, elle a vainement cherché l'appui de Marie-Joséphine pour contrer l'hostilité de Marie-Antoinette.
Echec et mat pour madame Du Barry ! La comtesse de provence veut bien etre aimable avec elle, lui adresser quelques mots mais pas davantage. Pas question d'entrer dans des intrigues auxquel elle n'entend rien et pire encore ! qui risque de causer un différend entre Versailles, Vienne et Turin. Mais si il n'y avait que cela...
Car Marie-Joséphine nous l'avons dit, n'est pas un modèle de perfection esthétique loin s'en faut. Le drame c'est qu'elle se néglige au-delà de la bienséance, la coquetterie lui est étrangère.
Or dans une cour ou les dames passent une grande partie de leur temps à se parer pour la représentation, cette étrangeté ne passe pas inaperçue. A tel point que l'on recours aux méandres de la voie diplomatique. On mandate l'ambassadeur de Piémont-Sardaigne, La Marmora pour faire part à son ministre de tutelle du mécontentement de Louis XV. Dans cette conspiration du silence madame Du Barry -encore elle- et le duc d'Aiguillon, ministre des affaires étrangères ont appuyés La Marmora dans cette démarche.
Voici ce que l'ambassadeur écrit dans sa dépèche du 17 février 1772 : "Mais ce qui semble plus essentiel, c'est l'article de la parure et de la propreté. Il est bon que Votre Excellence sache que non seulement on ne peut obtenir de cette princesse qu'lle se laisse coiffer avec soin, comme ce serait de lui accomoder le front en enlevant les poils follets qui le rétrecissent et font que les sourcils approchent de trop près et se réunissent presque aux cheveux. Mais qu'elle ne prend nul soin de sa taille que Son Excellence sait n'etre point parfaite. Mais ce n'est pas tout et ils m'ont dit plus sur l'article de la propreté. Ils prétendent qu'elle néglige sa bouche, qu'elle ne fait pas assez usage des bains et qu'elle se refuse à se servir des expédients généralement adoptés, du moins ici, soit pour la propreté journalière, soit pour prévenir par des eaux de senteurs le désagrément des émanations que l'agitation de la danse ou la chaleur ne peuvent manquer de produire."
Voila qui est édifiant ! car non seulement la comtesse de Provence est affligée d'extraordinaires sourcils, mais elle ne se lave pas les dents et oublie le reste. A sa décharge, Marie-Joséphine vient d'un pays ou les règles de l'hygiène sont fort irrégulieres. Il en va autrement à Versailles. Louis XV et sa famille disposent de salles de bains dignes des fées et ils en usent...Majesté et altesses se lavent avant de se parfumer puis endossent de rutilants habits de brocart pour les moments reservés à l'apparat.
Malheureusement la princesse n'arrivera jamais complètement à se défaire de sa paresse. Si elle consentira à se faire épiler les sourcils, elle usera avec parcimonie des parfums et des fards. Elle n'avait pourtant que l'embarras du choix sur sa table de toilette.
Ce problème se calque sur un autre, celui de sa vie conjugale. Car non seulement Marie-Joséphine est trés négligée, mais elle est laide, de quoi dégouter son mari.
De plus, comme on l'a vu, le comte de Provence a moins de 20 ans souffre déja de troubles de santé. Si leur mariage a peut-etre fini par etre consommé, il ne le fut pas à cette époque. Marie-Joséphine laisse percer son désarroi lorsqu'elle écrit à ses parents le 7 février 1772 : "Je peux vous dire et pour mon malheur que quoique mes règles ne viennent point, je suis sure de ne pas etre grosse".
Or on sait aujourd'hui que les dérèglements hormonaux sont souvent dus à des facteurs psychologiques. Si elle est blessée dans sa nature intime, c'est qu'elle est probablement traumatisée par tous les changements inhérents dans sa vie depuis quelques mois. Coupée de ses racines, mariée à un prince trés froid, entrainé malgré elle dans des intrigues de cour dont elle n'a pas la clé de l'enigme, elle a déja le coeur lourd.
Si les relations d'Apollon et de Vénus ne sont pas au beau fixe, la vie des princes est infiniment agréable. Tout est fait pour les divertir. Les Provence je joignent souvent au couple delphinal dans une cascade de fetes, de bals et de comédies. Leurs vies en apparence sont trés gaies mais la toile de fond est moins riante. Un troisième couple se joindra bientot à eux : celui du comte et de la comtesse d'Artois.
Sur ce point, Marie-Joséphine usa de tout son pouvoir pour faciliter les mariages successifs dans sa famille. Pour celui de sa soeur Marie-Thérèse, elle en réfère directement à Louis XV qui lui répond le 4 mai 1772 :
"Certainement si votre ou vos soeurs vous ressemblent je ne pourrais mieux choisir, et si j'étais un peu plus jeune, je me mettrais moi-meme sur les rangs, bien faché peut-etre de ne pas y avoir sonjé plus tot. Je ne m'engage pas encore, mais je vous aime bien tendrement, et sans des circonstances dont je suis sure que vous etes instruite, nous nous connaitrions davantage. Je vous embrasse de bon coeur ma chère fille."
Le problème c'est que la France hésita un certain temps entre les princesses Marie-Thérèse et Marie-Anne . Elles étaient quasi-naines et Louis XV penchait pour Marie-Anne. Marie-Joséphine ne l'entendait pas de cette oreille. Voici ce qu'elle écrit à ce sujet : "Je serai tout aussi fachée que si on préférait la cadette à l'ainée car j'aime bien pauvre Thérèse comme vous savez." Elle eut gain de cause, ce fut finalement Marie-Thérèse qui fut choisie pour épouser le comte d'Artois.
Accueillie à la Croix-Saint-Herem le 14 novembre 1773, Louis XV trace d'elle un portrait avantageux à son petit-fils l'Infant de Parme : "Elle est trés bien, un peu petite, une belle peau ainsi que la gorge, le nez fort long et ressemblant fort à son père le roi de Sardaigne".
Le comte de Mercy-Argenteau est moins aimable : " Elle est fort petite, médiocrement prise dans sa taille ; elle a le teint assez blanc, le visage maigre, le nez fort allongé et desagréablement terminé, les yeux mal tournés, la bouche grande, ce qui forme en tout une physionomie irréguliere, sans agréments et des plus communes. Mais ce qui est bien plus facheux encore pour cette princesse, c'est la disgrace de son maintien, sa timidité et son air embarrassé ; elle ne sait prononcer une parole. Elle danse trés mal et n'a rien qui n'annonce en elle, ou le défaut de dispositions naturelles, ou une éducation excessivement négligée. Tout le public en a jugé ainsi et son premier coup d'oeil a été trés défavorable pour Mme la comtesse d'Artois".
Décidèment le jugement de l'ambassadeur d'Autriche est encore pire que celui donnécomtesse de Provence deux ans plus tot ! Mercy-Argenteau ne se gène pas pour dénigrer outre mesure les princesses de Savoie. En fait, il ne cherche qu'à consolider la position de Marie-Antoinette qui ne fait pas l'unanimité à Versailles.
A l'instar de Provence, le comte d'Artois souhaite avoir la haute main sur les faits et gestes de sa femme. Il est résolument anti-barryste et interdit à Marie-Thérèse d'adresser la parole à la favorite royale. Aussi si Marie-Joséphine se déclare ravie lors des retrouvailles avec sa jeune soeur, elle va vite déchanter. Elle se pose en conseillere avisée de la comtesse d'Artois afin de lui faciliter la tache dans les méandres de la cour. Mais Marie-Thérèse se dérobe aux sollicitations de la comtesse de Provence. Ce n'est pas une attitude pour la réjouir et elle marque de l'humeur. Cet épisode est l'une des premieres manifestations tangibles du caractère de Marie-Joséphine qui commence à s'affirmer. Son tempérament la dispose à l'autorité. Cette inclination ne fera qu'augmenter avec les années.
De son coté, la patrie des princesses de Savoie, le roi de Piemont-Sardaigne en tete, commence à s'impatienter du traitement dont sont victimes Marie-Joséphine et Marie-Thérèse.
Si Louis XV est trés aimable avec elle, il refuse de trancher le conflit larvé qui oppose sourdement la dauphine et ses belles-soeurs. Les trois jeunes femmes sont elles-memes les dupes de cette cabale qui les dépassent. Toutefois, elles sont sollicitées en permanence par le ambassadeurs qui défendent leurs interets en France. Mercy-Argenteau pour Marie-Antoinette et le comte de Viry pour les comtesses de Provence et d'Artois.
Ces princesses ne font que se conformer aux instructions des diplomates patentés qui leurs sont attachés. Mais ces politiques chevronnés oublient une chose : elles sont extremement jeunes -elles n'ont pas 20 ans- et n'ont qu'une idée trés réduite des arcanes de la politique. Si pour bien faire elles sont aimables avec un parti, elles en mécontentent un autre par contre-coup...Rude mission.
Le règne de Louis XV touche à sa fin. Sa liaison avec une femme de petite condition -mais dont la beauté, la culture, l'éducation et les manières ne déparent pas à Versailles- fait scandale. Vénéré pendant sa jeunesse sous le surnom de "Bien-Aimé" il est maintenant le "Bien-Hai".
Beaucoup espèrent de l'avénement de Louis XVI et de Marie-Antoinette, pourtant peu au fait des responsabilités écrasantes et des difficultés croissantes de la monarchie.
La mort prématurée du roi le 10 mai 1774 va procurer à la comtesse de Provence un rang éminent au sein de la dynastie. Un vent de jeunesse et d'optimisme souffle sur Versailles. Marie-Joséphine parviendra-t-elle à faire honneur à son rang de deuxième dame du royaume ?
_________________ Dominique Poulin
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