Apologie... a écrit :
en dépit de ses origines sociales, il est opposé aux monarchies et attaché à la démocratie.
Votre formule prête à confusion. Tocqueville n'est pas attaché à la démocratie pour elle-même. Il est attaché au principe du réel : la démocratisation de l'Europe est en marche ; c'est un fait qui s'enracine loin dans l'histoire. Il parle d'un « fait providentiel », non comme on dirait qu'on a de la chance, mais au sens traditionnel : ses causes et ou ses raisons nous échappent (l'œuvre de Dieu). On parle volontiers d'un réalisme résigné chez lui, à propos de la démocratie, qu'il accepte comme on accepte une
nécessité, mais à laquelle il ne se sent aucune espèce d'affinités. Au total, qu'on aime ou pas la démocratie, il faut l'accepter, dit Tocqueville
Tocqueville a écrit :
Partout on a vu les divers incidents de la vie des peuples tourner au profit de la démocratie ; tous les hommes l'ont aidée de leurs efforts : ceux qui avaient en vue de concourir à ses succès et ceux qui ne songeaient point à la servir ; ceux qui ont combattu pour elle, et ceux qui se sont déclarés ses ennemis ; tous ont été poussés pêle-mêle dans la même voie, et tous ont travaillé en commun, les uns malgré eux, les autres à leur insu, aveugles instruments dans les mains de Dieu.
Le développement graduel de l'égalité des conditions est donc un fait providentiel, il en a les principaux caractères : il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance humaine ; tous les événements, comme tous les hommes, servent à son développement.
Serait-il sage de croire qu'un mouvement social qui vient de si loin pourra être suspendu par les efforts d'une génération ? Pense-t-on qu'après avoir détruit la féodalité et vaincu les rois, la démocratie reculera devant les bourgeois et les riches ? S'arrêtera-t-elle maintenant qu'elle est devenue si forte et ses adversaires si faibles ?
Où allons-nous donc ? Nul ne saurait le dire ; car déjà les termes de comparaison nous manquent : les conditions sont plus égales de nos jours parmi les chrétiens qu'elles ne l'ont jamais été dans aucun temps ni dans aucun pays du monde ; ainsi la grandeur de ce qui est déjà fait empêche de prévoir ce qui peut se faire encore.
Le livre entier qu'on va lire a été écrit sous l'impression d'une sorte de terreur religieuse produite dans l'âme de l'auteur par la vue de cette révolution irrésistible qui marche depuis tant de siècles à travers tous les obstacles, et qu'on voit encore aujourd'hui s'avancer au milieu des ruines qu'elle a faites.
Il n'est pas nécessaire que Dieu parle lui-même pour que nous découvrions des signes certains de sa volonté ; il suffit d'examiner quelle est la marche habituelle de la nature et la tendance continue des événements ; je sais, sans que le Créateur élève la voix, que les astres suivent dans l'espace les courbes que son doigt a tracées.
Si de longues observations et des méditations sincères amenaient les hommes de nos jours à reconnaître que le développement graduel et progressif de l'égalité est à la fois le passé et l'avenir de leur histoire, cette seule découverte donnerait à ce développement le caractère sacré de la volonté du souverain maître. Vouloir arrêter la démocratie paraîtrait alors lutter contre Dieu même, et il ne resterait aux nations qu'à s'accommoder à l'état social que leur impose la providence.
[...]
Instruire la démocratie, ranimer s'il se peut ses croyances, purifier s'il se peut ses mœurs, régler ses mouvements, substituer peu à peu la science des affaires à son inexpérience, la connaissance de ses vrais intérêts à ses aveugles instincts ; adapter son gouvernement aux temps et aux lieux ; le modifier suivant les circonstances et les hommes : tel est le premier des devoirs imposé de nos jours à ceux qui dirigent la société.
Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau.
De la démocratie en Amérique I, Introduction, GF-Flammarion, 1981, pp. 60-61"
Apologie... a écrit :
Il mentionne également la nécessité de contre-pouvoirs, comme les libertés de la presse
Il est très critique, et sans illusion aucune sur les effets de la liberté de la presse (cf. tout le chapitre III, notamment la fin, quand il établit un rapport entre l'opinion et les préjugés) :
Tocqueville a écrit :
J'avoue que je ne porte point à la liberté de la presse cet amour complet et instantané qu'on accorde aux choses souverainement bonnes de leur nature. Je l'aime par la considération des maux qu'elle empêche bien plus que pour les biens qu'elle fait.
p. 264.
Enfin, si on parle de scepticisme démocratique à propos de Tocqueville (cf. par exemple Pierre Manent), ce n'est pas pour rien.