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? Mourir de vieillesse, de maladie, ou de mauvais traitements dans la plantation ? Être affranchi ? S'enfuir et rejoindre le nord ?
Il y avait très peu d'intérêt pour l'esclave à être affranchi, la liberté pour eux comportait peu d'avantages.
Et de toute façon, l'affranchissement, fréquent au moment de la Révolution (pour les noirs qui avaient combattu dans l'un ou l'autre camp--les Britanniques promettaient la liberté aux esclaves qui les rejoignaient ) est devenu rare et de plus en plus réglementé dès le début du XIXème siècle;
à partir de 1835/50 environ, il a été interdit (sauf un cas précisé ci dessous) dans presque tous les états du Sud.
Il faut voir que le pouvoir des maîtres sur les esclaves était supposé être absolu, mais en fait, il était limité par des législations passées par chaque état, législations qui exprimaient l'intérêt général des planteurs/propriétaires d'esclaves en tant que classe--la défense du système esclavagiste passant avant les préférences individuelles des planteurs.
Ces législations étaient appelées "Codes noirs", la France en a passé aussi en Louisiane avant la vente aux EU, les treize colonies originelles en ont presque toutes passé un également.
Ces codes noirs ont évolué avec le temps vers un contrôle accru des esclaves--ce tour de vis pouvant être donné suite à une révolte comme mentionné plus haut.
Mais aussi vers moins de liberté accordées aux maîtres dans le traitement de leurs esclaves, pour éliminer tant les excès de brutalité que les excès de bienveillance, les deux étant considérés comme susceptibles de créer des troubles à l'ordre public et de porter atteinte au système esclavagiste.
Ces codes noirs donc ne régulaient pas seulement les actions des esclaves, mais aussi --comme leur nom l'indique--celles des esclaves émancipés--et par conséquent aussi celles des maîtres dans leurs rapports avec ceux ci.
Que prévoyaient ces Codes noirs? (ils pouvaient varier légèrement selon les états mais pour l'essentiel comportaient les mêmes interdictions).
J'ai déjà parlé de l'interdiction d'apprendre à lire et à écrire à un esclave (des éléments basiques d'arithmétique étaient tolérés), de l'interdiction de porter des armes, y compris même de simples "bowie knives".
Curieusement, certains codes interdisaient aussi aux esclaves de posséder des instruments de musique, sans doute à cause de la possibilité d'organiser ainsi bals et réunions pouvant dégénérer en rixes et émeutes.
Les esclaves ne pouvaient quitter la plantation sans autorisation écrite du maître, ils ne pouvaient se réunir, ils ne pouvaient signer des contrats, vendre quoi que ce soit sans l'assentiment du maître etc.
Bien sûr, et ce dans tous les états, du Nord comme du Sud, interdiction des mariages interraciaux, y compris avec des mulatres ou des noirs libres. C'est ce qu'on appelait les"miscegenation laws"--les lois pour maintenir la pureté de la race blanche.
Les relations sexuelles d'hommes noirs avec des femmes blanches étaient interdites: l'homme pouvait être exécuté si le viol était supposé, la femme (si jugée consentante) pouvait être traduite en justice et emprisonnée (et devenait un pariah socialement si libérée); l'inverse n'existait pas pour les relations sexuelles homme blanc/femme noire, qui étaient fréquentes, et tolérées.
ET évidemment un esclave ne pouvait ester en justice, ne pouvait voter, n'avait aucun des droits inhérents à la qualité de citoyen.
Qu'est ce qui changeait dans toutes ces interdictions si un esclave était émancipé?
Pas grand chose: un esclave libre restait noir.
Les lois de misgenation lui demeuraient applicables (elles sont restées en vigueur dans certains états jusqu'en 1967).
Certaines professions restaient fermées aux esclaves affranchis: pasteurs, tenanciers de cafés et barmen, certains commerces. Dans certains états, il existait un "curfew" (couvre-feu) pour les noirs. Ils ne pouvaient aller en justice contre un blanc, ils ne pouvaient posséder des armes, ni des chiens.
Ils devaient travailler: un noir vivant de mendicité ou de larçins, les vagabonds et éléments asociaux étaient arrêtés et revendus en esclavage.
D'une façon générale, les actes délictueux commis par les esclaves pouvaient être sanctionnés par la re-vente en esclavage
S'il quittait l'état pour plus de 90 jours, il ne pouvait plus revenir.
Il ne pouvait contracter mariage avec un esclave, il ne devait pas jouer aux cartes ou à des jeux de hasard avec d'autres esclaves, il ne devait pas recevoir des esclaves chez lui, ou leur servir de l'alcool (les planteurs considéraient que les affranchis étaient une mauvaise influence et un mauvais exemple pour les esclaves)
- il ne pouvait vendre quoi que ce soit sans posséder une licence
Exemple, extraits du Code noir de Louisiane de 1807:
- un esclave affranchi devait être au moins âgé de 30 ans
- il devait quitter l'état sous les 30 jours (pour aller dans le Nord)
A partir de 1852, il devait quitter les EU sous un an (pour partir au Libéria, ce dont les ex-esclaves n'étaient pas très enthousiastes)
- à partir de 1857, l'émancipation devient totalement interdite pour le propriétaire, elle n'est possible que sur décision de la Cour suprême de l'état, et pour récompenser des "meritorious services" (une conduite spécialement méritante)
En Georgie, les émancipations faites par les maîtres dans leurs testaments sont cassées fréquemment par la Cour suprême de l'état dès les années 20/30 (les maîtres sentant leur mort approcher, émancipaient les esclaves auxquels il s'étaient attachés, ou leurs enfants batards mulâtres, pour éviter qu'ils ne soient vendus dans la liquidation de leur succession).
Dans presque tous les états, les conditions et obstacles aux émancipations se multiplient: le maître qui veut émanciper un esclave doit déposer une provision de 500 $ en bons d'Etat pour garantir que cet esclave ne tombe pas à la charge de la société.
Le nombre des émancipations testamentaires est limité par des quotas
Le propriétaire doit s'engager à verser une rente aux ex-esclaves pour assurer leur entretien (pour éviter que les propriétaires libèrent les esclaves trop vieux pour travailler)
Il est interdit aux affranchis non originaires de l'état d'y résider
Les émancipations sont interdites en Caroline du Sud en 1841.
Les affranchis ne sont pas les bienvenus, on cherche à s'en débarrasser par tous les moyens, la "colonisation" au Libéria est encouragée.
La société créée pour ré-expédier les esclaves affranchis en Afrique fonctionne une cinquantaine d'années, à partir de 1816; grâce à ses efforts, 13 000 affranchis sont envoyés au Libéria, sans beaucoup d'aide pour faciliter leur installation.
Rebuttés par les conditions difficiles --et par le choc culturel--, environ 1/4 reviendront aux EU.