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Message Publié : 06 Jan 2019 13:16 
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Polybe
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Puisque les pays d'Asie de l'est, profondément marqués par le confucianisme (Chine, Corée, Japon et Vietnam) ont connu, ou connaissent, un développement économique assez impressionnant, je me demande dans quelle mesure ces succès peuvent être attribués à la pensée chinoise.

En Chine, à la fin de la dynastie Qing, il était au contraire plutôt courant de blâmer cette idéologie pour le retard accumulé par la Chine face aux Occidentaux. Le confucianisme a aussi été vigoureusement attaqué lors de la révolution culturelle. Aujourd'hui, la Chine en revient, crée des instituts Confucius un peu partout dans le monde visant à promouvoir sa culture et son modèle.

Le Japon aussi a été fortement marqué par le néo confucianisme. Là où ça devient intéressant, c'est que l'historien Pierre François Souyri explique dans son livre "moderne, sans être occidental" que le Japon s'est modernisé à la période Meiji en s'appuyant beaucoup plus sur des concepts issus de la pensée chinoise qu'on serait tenté de le croire. Je n'ai malheureusement pas eu l'occasion de le lire (petit résumé ici : https://journals.openedition.org/lectures/21341 ) mais ça m'a l'air d'être une idée intéressante.

Si on résume, le développement actuel de l'Asie de l'est tire-t-il son origine de la pensée chinoise (confucianisme c'est un terme souvent globalisant) ou est-ce qu'on a trop tendance à surestimer le versant idéologique (par exemple j'ai toujours eu du mal avec la thèse de Weber sur l'essence protestante du capitalisme).


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Message Publié : 06 Jan 2019 13:57 
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Plutarque
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Squalll a écrit :
Puisque les pays d'Asie de l'est, profondément marqués par le confucianisme (Chine, Corée, Japon et Vietnam) ont connu, ou connaissent, un développement économique assez impressionnant, je me demande dans quelle mesure ces succès peuvent être attribués à la pensée chinoise.

En Chine, à la fin de la dynastie Qing, il était au contraire plutôt courant de blâmer cette idéologie pour le retard accumulé par la Chine face aux Occidentaux. Le confucianisme a aussi été vigoureusement attaqué lors de la révolution culturelle. Aujourd'hui, la Chine en revient, crée des instituts Confucius un peu partout dans le monde visant à promouvoir sa culture et son modèle.

Le Japon aussi a été fortement marqué par le néo confucianisme. Là où ça devient intéressant, c'est que l'historien Pierre François Souyri explique dans son livre "moderne, sans être occidental" que le Japon s'est modernisé à la période Meiji en s'appuyant beaucoup plus sur des concepts issus de la pensée chinoise qu'on serait tenté de le croire. Je n'ai malheureusement pas eu l'occasion de le lire (petit résumé ici : https://journals.openedition.org/lectures/21341 ) mais ça m'a l'air d'être une idée intéressante.

Si on résume, le développement actuel de l'Asie de l'est tire-t-il son origine de la pensée chinoise (confucianisme c'est un terme souvent globalisant) ou est-ce qu'on a trop tendance à surestimer le versant idéologique (par exemple j'ai toujours eu du mal avec la thèse de Weber sur l'essence protestante du capitalisme).


Bonjour,

Tout d'abord il faut dire que la Chine ment sur son économie. Je ne suis pas complotiste ou ce que vous voulez, mais elle truque volontairement ses chiffres (d'où l'importance d'avoir un organisme indépendant). Cela ne réduit pas cet effet de réussite.
Cela semble fonctionner avec le protestantisme de Weber (je n'ai pas vu de réelle contestation d'une des causes.) Pour le reste, je vois bien plus, à la fois le poids démographique (poids qui était encore plus important, proportionnellement à l'Occident, il y a au moins dix siècles) du pays et le XX è siècle au sens large (et surtout après les années 1970, avec le néolibéralisme à outrance, la dérégulation financière, etc). On peut également ajouter que ce pays est un haut lieu d'innovation depuis, encore une fois, au moins dix siècles et même plus, avec un commerce développé. La Chine est un monde à elle seule, sans réelle correspondance possible (au moins politiquement) avec l'Occident.

EDIT: j'ai trouvé un entretien avec le sinologue Jacques Gernet : https://www.lhistoire.fr/%C2%AB-quelques-id%C3%A9es-fausses-sur-la-chine%C2%A0%C2%BB

Quelques passages:

Citer :
L’Histoire : Plutôt qu’un pays, la Chine n’est-elle pas un monde ?
Jacques Gernet : C’est l’évidence. Qua­trième pays du monde par son étendue après la Russie, le Canada et les États-Unis, elle est en outre le premier par sa population de 1,3 milliard d’habitants. Une telle étendue et une telle population ne vont pas sans une grande diversité géographique et humaine.


Citer :
L’H. : En matière d’histoire politique, avons-nous quelque chose en commun avec les Chinois ?
J. G. : Rien qui corresponde à la cité grecque, à notre royauté médiévale ou à celle d’Ancien Régime, ni à notre régime parlementaire. Dans



Citer :

L’H. : Comment expliquer que la Chine soit si peuplée ?
J. G. : Les longues guerres des IVe et IIIe siècles avant notre ère qui aboutirent à la première unification des pays chinois en 221 avaient suscité nombre d’innovations et un grand progrès de l’agriculture. La fonte de fer qui permit de fabriquer en série des outils agricoles, l’ouverture de canaux relevant d’initiatives locales ou de décisions étatiques, se sont traduites par une extension de l’agriculture irriguée, source d’abondantes réserves pour les armées.
[...]
Le deuxième et beaucoup plus fort accroissement de la population s’est produit sous les Song, entre le XIe et le XIIIe siècle, grâce aux progrès décisifs de la riziculture irriguée avec repiquage au Sichuan et dans le bassin du Yangzi. .


Citer :
L’H. : Quels furent plus largement les effets de cette incroyable croissance de la production agricole ?

J. G. : Certains imaginent parfois que l’Occident a toujours été « en avance » sur le reste du monde. Mais c’est affaire d’époques. L’essor de la riziculture savante a été à l’origine d’une véritable mutation de la Chine. Entre le XIIe siècle et la fin du XIVe, le pays atteint un sommet dans tous les domaines : organisation politique et administrative, nombre des grandes villes, volume des trafics par mer et par voie d’eau, production quasi industrielle des tissus, progrès et diffusion des connaissances et des techniques de tous ordres.

La première mention de la formule de la poudre à canon figure dans un texte chinois en 1044 ; des projectiles incendiaires et fumigènes, mais aussi des grenades et des mortiers sont en usage dans les guerres des XIIe et XIIIe siècles. Quand les Mongols ont tenté d’envahir en vain le Japon à plusieurs reprises entre 1279 et 1294, ils se sont servis de bombes explosives1. L’usage des armes à feu a été transmis de la Chine à l’Europe orientale par les Mongols et les Arabes.


Citer :
L’H. : Et l’individu, qui est au centre de la civilisation occidentale, a-t-il un sens dans la civilisation chinoise ? La liberté de l’individu, qu’il faut protéger contre le groupe, c’est une pensée très occidentale ?

J. G. : La notion abstraite de l’individu est assurément occidentale.

_________________
« Je veux croire qu'il n'y a pas de libération plus vaine que celle qui prétend nous arracher aux rigueurs du travail intellectuel ou aux fidélités que l'on doit à ses prédécesseurs, qu'il n’y a pas de générations plus tristes que celles qui ne se reconnaissent plus de maîtres [...] ».
Patrick Boucheron.


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Message Publié : 06 Jan 2019 17:43 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Squalll a écrit :
Puisque les pays d'Asie de l'est, profondément marqués par le confucianisme (Chine, Corée, Japon et Vietnam) ont connu, ou connaissent, un développement économique assez impressionnant, je me demande dans quelle mesure ces succès peuvent être attribués à la pensée chinoise.
Si l'on s'interroge sur ce qui a permis le décollage économique, il faut en premier lieu constater qu'il y avait eu institutionnalisation de l'Etat et mise en place d'administrations bien avant que ces pays n'eurent à affronter les puissances occidentales.

La pensée chinoise s'est développée dans un rapport très particulier à l'écriture. Selon Léon Vandermeersch (Le nouveau monde sinisé) les idéogrammes ont un effet intellectuellement stimulant. Cela expliquerait a contrario les retards de développement pris par le vietnam par rapport aux autres pays sinisés, son écriture ayant été romanisée par la puissance coloniale.

Le confucianisme pousse aux études intellectuelles. La réussite en Chine et au Japon est d'abord le diplôme, ce qui s'oppose au rêve américain qui valorise plutôt le travail appliqué aux échanges commerciaux. Je crois savoir qu'à niveaux de vie comparables, le niveau de culture générale est globalement plus élevé au Japon qu'aux Etats-Unis, ce qui ne peut que favoriser les progrès économiques. Pour la Chine continentale, ce serait à nuancer parce qu'elle subit les effets destructeurs de la Révolution Industrielle, ce dont le pouvoir a pris conscience et ce pourquoi il remet en valeur les classiques jetés aux orties sous Mao. Certes, l'apprentissage des classiques n'aide pas directement à l'acquisition de connaissances techniques et scientifiques nécessaires aux production de biens et services, mais une bonne culture générale, ce qui inclut une certaine connaissance du passé, favorise les réflexions stratégiques. Or la prospérité d'une nation ne réside pas seulement dans le montant de son PIB. Dans le monde sinisé, on en a peut-être plus conscience qu'aux Etats-Unis, que ce soit au niveau des dirigeants qu'au niveau du simple citoyen. Les traditions confucianistes incitent au conformisme, ce qui serait peu favorable aux innovations. Mais les Japonais, et maintenant les Chinois, ont toutefois montré qu'ils étaient capables d'innover.

Squalll a écrit :
En Chine, à la fin de la dynastie Qing, il était au contraire plutôt courant de blâmer cette idéologie pour le retard accumulé par la Chine face aux Occidentaux. Le confucianisme a aussi été vigoureusement attaqué lors de la révolution culturelle. Aujourd'hui, la Chine en revient, crée des instituts Confucius un peu partout dans le monde visant à promouvoir sa culture et son modèle.
A la fin de la dynastie Qing s'opposaient les conservateurs qui ne voulaient rien changer et les progressistes qui voulaient s'engager dans une modernisation, ce qui impliquait de s'inspirer de l'Occident. Le confucianisme qui dictait de respecter les traditions ne pouvait qu'être attaqué par les révolutionnaires marxistes-léninistes.

Squalll a écrit :
Le Japon aussi a été fortement marqué par le néo confucianisme. Là où ça devient intéressant, c'est que l'historien Pierre François Souyri explique dans son livre "moderne, sans être occidental" que le Japon s'est modernisé à la période Meiji en s'appuyant beaucoup plus sur des concepts issus de la pensée chinoise qu'on serait tenté de le croire. Je n'ai malheureusement pas eu l'occasion de le lire (petit résumé ici : https://journals.openedition.org/lectures/21341 ) mais ça m'a l'air d'être une idée intéressante.
Les ressorts mentaux sont peut-être restés ce qu'ils étaient et, à la différence des révolutionnaires chinois, les réformateurs japonais n'ont pas abjuré le passé. Mais observons cependant qu'il ont adopté en quelques années et sans état d'âme une constitution et un code civil sur le modèle prussien, une administration sur un découpage territorial largement inspiré du modèle français, des techniques évidemment importées, qu'ont été créés une armée et une marine à l'occidentale etc. Les changements ont été beaucoup plus laborieux en Chine. L'un dans l'autre, du fait de la brutalité des changements et du poids de l'Occident dans les échanges internationaux, les Japonais s'américanisent au moins autant que les Français et leur propre passé leur est plus difficilement accessible : le fossé culturel entre le Japon du dix-septième siècle et le Japon contemporain est plus large que le fossé séparant la France contemporaine de celle du siècle de Louis XIV.


Dernière édition par Barbetorte le 06 Jan 2019 17:54, édité 1 fois.

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Message Publié : 06 Jan 2019 17:49 
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Squalll a écrit :
Puisque les pays d'Asie de l'est, profondément marqués par le confucianisme (Chine, Corée, Japon et Vietnam) ont connu, ou connaissent, un développement économique assez impressionnant, je me demande dans quelle mesure ces succès peuvent être attribués à la pensée chinoise.

Vu les trajectoires historiques et économiques différentes qu'ont connu ces 4 pays, je me demande si vous n'êtes pas en train de chercher un lien de parenté entre les poules et les lapins.

(Et au passage, vous ne parlez que de la moitié de la Corée...)

Le Japon, typiquement, est une grande puissance économique depuis longtemps, et plus que dans la pensée chinoise, j'irais plutôt chercher sa modernisation à marche forcée dans le fait qu'il s'agissait d'une civilisation ancienne, insulaire et très indépendante, centralisée, avec une tradition guerrière solide, qui n'a pas mis cent ans avant de comprendre que les armes occidentales étaient supérieures aux siennes, et donc qu'une mise à niveau était indispensable s'ils entendaient rester un peuple indépendant.

Cette explication par "la fière insularité" en vaut bien d'autres, sachant que les trois autres pays eux, ont été colonisés. (Quel est le sociologue qui a écrit "le portrait du colonisateur", très apprécié dans le Tiers-Monde, avant d'écrire "Le portrait du colonisé", nettement moins apprécié, où il affirmait entre autres cette évidence que "si des pays ont été colonisés, c'est qu'ils étaient colonisables" ? J'étais tombé sur lui au détour d'un article, sans creuser davantage, j'espère ne pas trop m'aventurer.) En tous cas, seul parmi les quatre, le Japon n'était pas colonisable.

Si on veut leur trouver des points communs, je noterais volontiers :
- Que dans ces quatre pays, à un moment de leur histoire, il y a eu une dictature (militaire en Corée, communiste en Chine et au Vietnam, ou au moins un pouvoir fort, au Japon) qui a décidé de mettre le pays sur les rails du développement économique à l'occidentale et d'en payer le prix - ou plutôt de le faire payer au peuple - pendant le temps qu'il faudrait. (Au Japon, pendant l'ère Meiji, le sort des ouvrières du textile était proche de l'esclavage - avec des suicides fréquents - et on ne sache pas que les usines chinoises des années 80 aient été des camps de vacances.)
- Qu'ils disposent tous les quatre d'une façade maritime propice au commerce. (Je ne sais pas si le Laos, par exemple, est confucianiste, mais je sais qu'il est enclavé.)
- Qu'ils ont tous les quatre adopté la stratégie d'imiter l'occident. On peut chercher un booster confucéen au développement économique, il n'en reste pas moins que la révolution industrielle est née en Europe.

A noter aussi que mis à part le Japon, décidément atypique, ils ont suivi cette stratégie d'imitation en sachant qu'elle fonctionnerait, d'une part (sans parler de l'exemple du Japon, où l'ère Meiji remonte au 19e siècle, ils pouvaient s'appuyer dans la région sur l'exemple plus récent de Hong-Kong, Taïwan et Singapour - "les trois dragons" - sortis assez rapidement du sous-développement en se mettant au travail) et d'autre part en se plaçant d'entrée dans la position de sous-traitant à bas prix.

Position que la Corée, puis la Chine ont adopté assez tôt, (le Vietnam plus tardivement) en tous cas avant la chute du Rideau de Fer, qui a fait apparaître, ailleurs qu'en Asie du Sud-Est, et à distance de transport plus raisonnable, des concurrents se positionnant exactement de la même façon, comme sous-traitants, donc, au service des industries occidentales.

La République Tchèque, la Slovaquie, la Pologne ont suivi la même trajectoire, avec des résultats économiques dont on parle peu dans nos médias (c'est incroyable, je me souviens d'une discussion avec mon épouse en 78, où on remarquait conjointement que tout se passait comme si ces pays n'existaient pas, et il semble que rien n'ait changé) mais qui sont également spectaculaires.

En fait le moteur essentiel de tous ces développements impressionnants (mais guère plus impressionnants, finalement, que ce que nous avons vécu pendant les Trente Glorieuses) n'est pas à chercher d'abord dans la culture de ces pays, mais dans le fait que les pays riches occidentaux ont laissé le jeu de la concurrence capitaliste se développer jusqu'au stade où leurs usines ont déménagé. Que les pays d'accueil les aient reçu à bras ouvert peut difficilement passer pour un tour de force économique. (Sachant que nul ne les accuse d'être idiots, que la matière grise existe partout, et que tous ces pays n'allaient pas en rester là.)

Bref, j'accueille avec un scepticisme évident la réflexion sur les bases culturelles du développement des pays asiatiques, même si je n'irais pas nier que cet aspect culturel puisse être contributif.

A la limite, on aurait même une preuve par l'absurde de l'importance du fait culturel, à travers ce parfait contre-exemple que constitue la relative stagnation de l'Inde (en comparaison) qui avait sur le papier les mêmes atouts, mais dont le fonctionnement économique est entravé - à mon avis - par son épouvantable système de castes. A moins qu'on impute la lenteur relative de son démarrage au fait (je l'ai souligné pour les autres grands pays asiatiques) que l'Inde n'a jamais été une dictature, capable de fouetter son peuple pendant 20 ans ? Je laisse ce point ouvert à la réflexion.


Une remarque de modération :
Ce sujet est (encore) un sujet où la limite chronologique de 1991 n'est pas tenable. La modération se montrera donc assez élastique sur ce point, à deux conditions toutefois :
- que le débat ne devienne pas un débat d'actualité, qui aurait davantage sa place sur le Salon Géopolitique. Si on en arrive là, soit les contributions trop actuelles seront supprimées, soit on fermera et ça fera un beau sujet pour le SG.
- et bien sûr, qu'il ne dévie pas sur des polémiques politiques, qui seront... férocement réprimées.

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Message Publié : 06 Jan 2019 20:02 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Pierma a écrit :
Vu les trajectoires historiques et économiques différentes qu'ont connu ces 4 pays, je me demande si vous n'êtes pas en train de chercher un lien de parenté entre les poules et les lapins.
Il y a bien un lien de parenté qui est un socle culturel commun dont le noyau s'est constitué dans la Chine des dix-huit provinces. L'Europe aussi est très diverse : elle s'étend de la Bretagne à l'Oural et de la Sicile à la Finlande. Mais elle repose cependant sur le socle commun du christianisme et de l'antiquité gréco-romaine.

Pierma a écrit :
Le Japon, typiquement, est une grande puissance économique depuis longtemps, et plus que dans la pensée chinoise, j'irais plutôt chercher sa modernisation à marche forcée dans le fait qu'il s'agissait d'une civilisation ancienne, insulaire et très indépendante, centralisée, avec une tradition guerrière solide, qui n'a pas mis cent ans avant de comprendre que les armes occidentales étaient supérieures aux siennes, et donc qu'une mise à niveau était indispensable s'ils entendaient rester un peuple indépendant.
La civilisation japonaise est moins ancienne que la civilisation chinoise et, au dix-neuvième siècle, la Chine était une puissance économique tout autant que le Japon. Quant à la tradition guerrière, oui, peut-être, mais dans les esprits seulement. Le pays était en paix depuis plus de deux cents ans. En 1853, face à la flottille américaine venue porter l'ultimatum du gouvernement américain, les Japonais se sont subitement aperçu qu'il n'avait pas de marine militaire et aucune armée prête à s'opposer à un agresseur étranger. La Chine avait tout de même quelques moyens militaires à opposer aux puissances occidentales.

Pierma a écrit :
Cette explication par "la fière insularité" en vaut bien d'autres, sachant que les trois autres pays eux, ont été colonisés. (Quel est le sociologue qui a écrit "le portrait du colonisateur", très apprécié dans le Tiers-Monde, avant d'écrire "Le portrait du colonisé", nettement moins apprécié, où il affirmait entre autres cette évidence que "si des pays ont été colonisés, c'est qu'ils étaient colonisables" ? J'étais tombé sur lui au détour d'un article, sans creuser davantage, j'espère ne pas trop m'aventurer.) En tous cas, seul parmi les quatre, le Japon n'était pas colonisable.
En fait, seul le Vietnam a été colonisé. La Chine n'a été que très légèrement grignotée à Hong-Kong et à Macao ainsi que plus tard dans quelques concessions internationales. Elle a dû cependant se plier à des traités léonins, mais le Japon tout autant et ce dernier a également fait l'objet de la politique de la canonnière (bombardement de Shimonoseki en 1864 notamment).
Notons aussi que le Siam n'a pas été colonisé.

Pierma a écrit :
En fait le moteur essentiel de tous ces développements impressionnants (mais guère plus impressionnants, finalement, que ce que nous avons vécu pendant les Trente Glorieuses) n'est pas à chercher d'abord dans la culture de ces pays, mais dans le fait que les pays riches occidentaux ont laissé le jeu de la concurrence capitaliste se développer jusqu'au stade où leurs usines ont déménagé. Que les pays d'accueil les aient reçu à bras ouvert peut difficilement passer pour un tour de force économique. (Sachant que nul ne les accuse d'être idiots, que la matière grise existe partout, et que tous ces pays n'allaient pas en rester là.)
Oui, mais comment expliquer que ce qui a fonctionné en Extrême-Orient n'a pas fonctionné, ou beaucoup moins bien, en Amérique Latine, en Afrique du nord et au Proche-Orient ? Les conditions culturelles doivent bien y être pour quelque chose.

Pierma a écrit :
A la limite, on aurait même une preuve par l'absurde de l'importance du fait culturel, à travers ce parfait contre-exemple que constitue la relative stagnation de l'Inde (en comparaison) qui avait sur le papier les mêmes atouts, mais dont le fonctionnement économique est entravé - à mon avis - par son épouvantable système de castes. A moins qu'on impute la lenteur relative de son démarrage au fait (je l'ai souligné pour les autres grands pays asiatiques) que l'Inde n'a jamais été une dictature, capable de fouetter son peuple pendant 20 ans ? Je laisse ce point ouvert à la réflexion.
Le système de castes est un obstacle indéniable à la modernisation.
Un pouvoir fort peut certes imposer des réformes impopulaires plus facilement qu'une démocratie, mais le régime de Mao fut une catastrophe.


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Message Publié : 06 Jan 2019 21:01 
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Barbetorte a écrit :
En fait, seul le Vietnam a été colonisé. La Chine n'a été que très légèrement grignotée à Hong-Kong et à Macao ainsi que plus tard dans quelques concessions internationales. Elle a dû cependant se plier à des traités léonins, mais le Japon tout autant et ce dernier a également fait l'objet de la politique de la canonnière (bombardement de Shimonoseki en 1864 notamment).
Notons aussi que le Siam n'a pas été colonisé.

la Chine a été pillée allègrement, sans être effectivement colonisée. Mais les occidentaux se sont organisés pour traire ses ressources. (Et les concessions internationales dans les grandes villes, si on se met cinq minutes à leur place, il n'y a rien de plus humiliant.)

J'ignorais que le Japon avait dû subir des traités de pillage. Mais au moins a-t-il su s'en dégager.

Peut-on considérer que la Corée a été colonisée... par le Japon ?

Barbetorte a écrit :
Oui, mais comment expliquer que ce qui a fonctionné en Extrême-Orient n'a pas fonctionné, ou beaucoup moins bien, en Amérique Latine, en Afrique du nord et au Proche-Orient ? Les conditions culturelles doivent bien y être pour quelque chose.

Parce que la stabilité politique était garantie dans ces pays là ? (Avec une autre solidité qu'en Amérique latine ?)

Pour les pays musulmans il y a un fait culturel évident : pendant le ramadan, ces pays travaillent au ralenti - en tout ou partie. (Ce qui n'empêche pas totalement les délocalisations, vers le Maroc ou la Tunisie, en particulier)

Citer :
Pierma a écrit :
A la limite, on aurait même une preuve par l'absurde de l'importance du fait culturel, à travers ce parfait contre-exemple que constitue la relative stagnation de l'Inde (en comparaison) qui avait sur le papier les mêmes atouts, mais dont le fonctionnement économique est entravé - à mon avis - par son épouvantable système de castes. A moins qu'on impute la lenteur relative de son démarrage au fait (je l'ai souligné pour les autres grands pays asiatiques) que l'Inde n'a jamais été une dictature, capable de fouetter son peuple pendant 20 ans ? Je laisse ce point ouvert à la réflexion.
Le système de castes est un obstacle indéniable à la modernisation.
Un pouvoir fort peut certes imposer des réformes impopulaires plus facilement qu'une démocratie, mais le régime de Mao fut une catastrophe.

Mao a massacré l'économie chinoise pendant le Grand Bond en Avant, mais je ne parlais pas de ça. Je soulignais le fait qu'à partir de 79 (prise du pouvoir par Deng) le régime chinois était en mesure d'imposer dans les usines des conditions de vie très dures, pour un salaire de misère, sans craindre de révolte populaire. D'où sa compétitivité.

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Message Publié : 07 Jan 2019 0:57 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Pierma a écrit :
la Chine a été pillée allègrement, sans être effectivement colonisée. Mais les occidentaux se sont organisés pour traire ses ressources. (Et les concessions internationales dans les grandes villes, si on se met cinq minutes à leur place, il n'y a rien de plus humiliant.)

J'ignorais que le Japon avait dû subir des traités de pillage. Mais au moins a-t-il su s'en dégager.

Peut-on considérer que la Corée a été colonisée... par le Japon ?
Il n'y a eu ni en Chine ni au Japon de pillage direct des ressources comme ce put être le cas dans des colonies au sens strict du terme mais plutôt un libre-échange imposé. Cela avait auparavant ruiné l'industrie textile indienne. La Chine a dû accepter l'importation massive d'opium en provenance des Indes avec un effet sanitaire désastreux sur la population et une sortie massive de numéraire. Mais, pour les autres produits, je ne suis pas sûr que ç'ait été négatif et qu'il faille l'assimiler à du pillage. J'ignore si le Japon a importé de l'opium, quoiqu'il en soit, il n'en a pas souffert comme la Chine et l'ouverture forcée sur les marchés a stimulé la production de produits d'exportation de sorte que, tout humilantes que certaines clauses aient pu être, le bilan des traités inégaux a été en fin de compte plutôt positif pour l'économie japonaise.

On peut considérer que l'annexion de la Corée, officiellement une fusion, fut en réalité une colonisation des plus brutales qui soient.


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Message Publié : 07 Jan 2019 5:15 
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merci Barbetorte pour ces informations précises.

Pour l'Inde j'avais en mémoire le rouet de Ghandi, retour à un artisanat traditionnel, et appel au boycott des produits anglais.

J'ignorais totalement que l'opium en Chine était le résultat d'un commerce imposé par l'Angleterre. (Je pensais que c'était une tradition chinoise ancienne alimentée par le Triangle d'Or.) C'est très choquant. Ce fait était-il connu du grand public en Angleterre ?

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Message Publié : 07 Jan 2019 8:52 
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Jean Mabillon
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Inscription : 16 Jan 2010 19:18
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Il y a eu entre l'Angleterre et la Chine des traités que l'on connaît sous le nom de traités inégaux, mais la situation n'était pas toujours aussi simple qu'il ne semble : la Chine elle même était dominante et recevait tribut de pays comme l'Annam. Le premier traité sous Louis XV avec Hué est un "pied de nez" à la Chine Les Français vont ainsi à partir de 1883 repousser les troupes chinoises du Tonkin et empêcher la collecte du tribut sur l"'Empire d'Annam". Les "pirates" "Pavillons Noirs" étaient en fait des émissaires du fisc Chinois, très bien organisés et équipés avec des armes acquises par la Chine aux USA (des Remington). La Chine s'était constitué des arsenaux modernes assez rapidement


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Message Publié : 07 Jan 2019 9:07 
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Jean Froissart
Jean Froissart

Inscription : 19 Fév 2011 17:03
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Pierma a écrit :
J'ignorais totalement que l'opium en Chine était le résultat d'un commerce imposé par l'Angleterre. (Je pensais que c'était une tradition chinoise ancienne alimentée par le Triangle d'Or.) C'est très choquant. Ce fait était-il connu du grand public en Angleterre ?

C'est la raison d'être des concessions, de la Banque HSBC, du sac du Palais d'Eté...!
etc etc etc

Toute notre relation avec la Chine avant et après les Traités inégaux n'est qu'une vaste histoire d'opium.

La Chine, du fait de sa démographie, était identifiée comme un marché potentiel énorme pour l'opium.
Un marché que la morale réprouve, mais les affairistes ne connaisse pas de morale au-delà d'un certain chiffre.
Toute analogie avec des traits caractéristiques d'une époque après 1991 est évidemment à bannir


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Message Publié : 07 Jan 2019 12:49 
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Salluste
Salluste

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Pierma a écrit :
(Je pensais que c'était une tradition chinoise ancienne alimentée par le Triangle d'Or.) C'est très choquant. Ce fait était-il connu du grand public en Angleterre ?


En fait c'est l'inverse, c'est "l'ouverture" du marché chinois qui a fait émerger le Triangle d'Or.

Ce commerce était connu dans la mesure où il y a eu deux guerres dites de l'opium; je cite wiki (article concernant la 1ere guerre de l'opium):
Citer :
Au Royaume-Uni, environ 300 sociétés commerciales britanniques demandent au gouvernement d’intervenir auprès des autorités chinoises (après le destruction de 1000 tonnes par les autorités chinoises). Certains veulent une intervention officielle des Britanniques pour qu’on leur paie leur marchandise détruite. Une campagne de presse est organisée pour déplorer tous ces incidents entre Britanniques et Chinois.

En Chine, les choses se tendent encore plus et il y a même des affrontements armés entre navires britanniques et jonques chinoises : le premier a lieu en septembre 1839 et le deuxième en novembre 1839. Lin Zexu interdit le port de Canton aux navires britanniques en décembre 1839 ; l’empereur décide de « fermer pour toujours » Canton aux Britanniques en janvier 1840.

Cette nouvelle parvient au Royaume-Uni. Un débat a lieu en avril 1840 à la Chambre des communes entre les partisans d’opérations militaires pour la réparation des torts envers leurs commerçants et ceux qui veulent que le Royaume-Uni renonce à vendre de l’opium et, du même coup, renonce à une guerre. Les premiers auront gain de cause.


Pour faire le lien avec le sujet: à l'issue de la 1ere guerre de l'opium, les Anglais récupèrent Hong-Kong, le véritable essor de la colonie n'a lieu qu'après la II GM.

Quel impact la "pensée chinoise" autochtone, puis celle issue des immigrations faisant suites à la victoire communiste en Chine, a eu sur le développement économique de HK?
J'élargis le questionnement aux autres cité-Etat ayant eu un fort niveau de développement économique (lié à la présence chinoise mais sous administration étrangère): Macao, Singapour


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Message Publié : 07 Jan 2019 12:55 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 16 Jan 2010 19:18
Message(s) : 2953
Voici ce qu'écrit le médecin militaire Hocquart pour son ouvrage "Une campagne au Tonkin" publié en 1892: "l'opium se vend au poids de l'argent : on le pèse avec une petite balance placée sur le comptoir devant la marchande ; cette balance est aussi sensible que les instruments de précision employés dans les pharmacies. L'acheteur met dans un plateau une barre d'argent ou une piastre mexicaine; la vendeuse fait la tare dans l'autre plateau avec la drogue. Fumer l'opium est un passe temps couteux; je connais des Chinois qui dépensent jusqu 'à une piastre par jour pour satisfaire cette passion funeste. "L'opium le plus réputé est produit par le monopole britannique (anglo-Indien de Bénarès). L'usage de l'opium aux fonctionnaires coloniaux ne fut interdit qu'en 1907. La prohibition de l'opium en Chine date de 1906........


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Message Publié : 09 Jan 2019 1:00 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 27 Déc 2013 0:09
Message(s) : 2232
Squalll a écrit :
Puisque les pays d'Asie de l'est, profondément marqués par le confucianisme (Chine, Corée, Japon et Vietnam) ont connu, ou connaissent, un développement économique assez impressionnant, je me demande dans quelle mesure ces succès peuvent être attribués à la pensée chinoise.
Pour cerner la notion de pensée chinoise, on peut se référer à cette fiche : http://www.geolinks.fr/dictionnaire-de-geopolitique/le-confucianisme/ , censé synthétiser les valeurs du confucianisme :

Dans le domaine social :
- comportement exemplaire,
- simplicité et puritanisme
- respect de l'autorité
- importance accordée à la famille
- pacifisme
- importance accordée à l'éducation

Dans le domaine politique :
- autoritarisme
- bureaucratie
- élitisme

Cela me fait penser à la Prusse , le pacifisme en moins, ou aux puritains britanniques. On y reconnaît les valeurs bourgeoises dans l'Europe du dix-neuvième siècle. C'est certainement propice au développement économique, mais je crois que les raisons premières du développement de la Chine sont à trouver ailleurs.

Tout d'abord, les Chinois sont-ils conformes au modèle confucéen ? Probablement en partie, notamment en ce qui concerne l'importance donnée à la famille et aux études. Quant au reste, je suis moins sûr, je trouve les chinois bien attirés par le bling-bling et je ne suis pas sûr qu'ils soient particulièrement respectueux de l'autorité.

Est-ce que l'autoritarisme, la bureaucratie et l'élitisme fournissent des conditions favorables à l'expansion économique ? A première vue oui si l'autorité sait adopter la bonne stratégie et si la bureaucratie est efficace et non corrompue. Mais les Etats-Unis donnent un exemple de dynamisme économique sans autoritarisme politique, avec un minimum de bureaucratie et sans élitisme.

Le développement de la Chine continentale est impressionnant parce qu'il bouleverse les équilibres mondiaux. Celui d'autres pays, comme la Malaisie, est aussi rapide mais comme les dimensions de ces derniers sont bien moindres, cela se ressent bien moins dans le reste du monde. Je ne vois pas de miracle chinois. Dès lors qu'un pays n'est pas déchiré par des conflits internes, qu'il n'est pas en guerre à l'extérieur, qu'il n'est pas administré en dépit du bon sens, qu'il dispose d'un minimum de ressources lui permettant d'investir dans les infrastructures et les moyens de production, que le niveau d'instruction de sa population est satisfaisant, les conditions du développement sont réunies. C'était le cas en Chine Populaire dès le début des années 1980. Le taux de croissance est impressionnant mais il n'a rien de miraculeux. Il s'explique par le phénomène des vases communicants. Les économies étant désormais largement mondialisées, les pays en retard par rapport aux plus riches tendent à rattraper ces derniers et d'autant plus vite que l'écart est grand. Lorsque le retard s'amenuise, la croissance ralentit et c'est ce qu'on observe depuis quelques années. Il n'est pas nécessaire d'invoquer un néo-confucianisme qui aurait transformé les Chinois en fourmis laborieuses. Les Chinois travaillent effectivement beaucoup, mais c'est surtout parce qu'ils ne bénéficient pas encore du niveau de vie connu en Amérique du nord et en Europe de l'ouest. Ils travaillent comme travaillaient nos grands-parents.

Squalll a écrit :
En Chine, à la fin de la dynastie Qing, il était au contraire plutôt courant de blâmer cette idéologie pour le retard accumulé par la Chine face aux Occidentaux. Le confucianisme a aussi été vigoureusement attaqué lors de la révolution culturelle.
La dynastie Qing et son administration sclérosée et corrompue avaient failli. De grandes réformes étaient indispensables mais les mandarins ne voulaient pas en entendre parler, l'alpha et l'omega du gouvernement étant selon eux contenus dans les Quatre Livres. Il fallait donc donner un grand coup de torchon, dénoncer les vices du mandarinat confucéen et vanter les mérites des techniques et institutions occidentales qu'il était indispensable d'adopter.

Squalll a écrit :
Aujourd'hui, la Chine en revient, crée des instituts Confucius un peu partout dans le monde visant à promouvoir sa culture et son modèle.
Le temps de Sun Ya Tsen est révolu. Il ne s'agit plus de réformer en profondeur un pays arriéré mais de d'affirmer la Chine comme grande puissance et de garantir la légitimité d'un pouvoir dictatorial. Pour cela, on ne pouvait trouver mieux qu'exalter à nouveau les valeurs confucéennes, qui sont une sorte de Travail, Famille, Patrie à la chinoise, et faire de Confucius le père de la nation chinoise. Ce faisant on entretient le roman national, on assure l'ordre, on prévient les velléités d'insubordination et l'on justifie les sacrifices qu'on demande à la population.


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Message Publié : 09 Jan 2019 20:59 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 21 Sep 2008 23:29
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Localisation : Belgique
Barbetorte a écrit :
Squalll a écrit :
Puisque les pays d'Asie de l'est, profondément marqués par le confucianisme (Chine, Corée, Japon et Vietnam) ont connu, ou connaissent, un développement économique assez impressionnant, je me demande dans quelle mesure ces succès peuvent être attribués à la pensée chinoise.
Pour cerner la notion de pensée chinoise, on peut se référer à cette fiche : http://www.geolinks.fr/dictionnaire-de-geopolitique/le-confucianisme/ , censé synthétiser les valeurs du confucianisme :

Dans le domaine social :
- comportement exemplaire,
- simplicité et puritanisme
- respect de l'autorité
- importance accordée à la famille
- pacifisme
- importance accordée à l'éducation

Dans le domaine politique :
- autoritarisme
- bureaucratie
- élitisme

Cela me fait penser à la Prusse , le pacifisme en moins, ou aux puritains britanniques. On y reconnaît les valeurs bourgeoises dans l'Europe du dix-neuvième siècle. C'est certainement propice au développement économique, mais je crois que les raisons premières du développement de la Chine sont à trouver ailleurs.

Tout d'abord, les Chinois sont-ils conformes au modèle confucéen ? Probablement en partie, notamment en ce qui concerne l'importance donnée à la famille et aux études. Quant au reste, je suis moins sûr, je trouve les chinois bien attirés par le bling-bling et je ne suis pas sûr qu'ils soient particulièrement respectueux de l'autorité.

Est-ce que l'autoritarisme, la bureaucratie et l'élitisme fournissent des conditions favorables à l'expansion économique ? A première vue oui si l'autorité sait adopter la bonne stratégie et si la bureaucratie est efficace et non corrompue. Mais les Etats-Unis donnent un exemple de dynamisme économique sans autoritarisme politique, avec un minimum de bureaucratie et sans élitisme.

Le développement de la Chine continentale est impressionnant parce qu'il bouleverse les équilibres mondiaux. Celui d'autres pays, comme la Malaisie, est aussi rapide mais comme les dimensions de ces derniers sont bien moindres, cela se ressent bien moins dans le reste du monde. Je ne vois pas de miracle chinois. Dès lors qu'un pays n'est pas déchiré par des conflits internes, qu'il n'est pas en guerre à l'extérieur, qu'il n'est pas administré en dépit du bon sens, qu'il dispose d'un minimum de ressources lui permettant d'investir dans les infrastructures et les moyens de production, que le niveau d'instruction de sa population est satisfaisant, les conditions du développement sont réunies. C'était le cas en Chine Populaire dès le début des années 1980. Le taux de croissance est impressionnant mais il n'a rien de miraculeux. Il s'explique par le phénomène des vases communicants. Les économies étant désormais largement mondialisées, les pays en retard par rapport aux plus riches tendent à rattraper ces derniers et d'autant plus vite que l'écart est grand. Lorsque le retard s'amenuise, la croissance ralentit et c'est ce qu'on observe depuis quelques années. Il n'est pas nécessaire d'invoquer un néo-confucianisme qui aurait transformé les Chinois en fourmis laborieuses. Les Chinois travaillent effectivement beaucoup, mais c'est surtout parce qu'ils ne bénéficient pas encore du niveau de vie connu en Amérique du nord et en Europe de l'ouest. Ils travaillent comme travaillaient nos grands-parents.

Squalll a écrit :
En Chine, à la fin de la dynastie Qing, il était au contraire plutôt courant de blâmer cette idéologie pour le retard accumulé par la Chine face aux Occidentaux. Le confucianisme a aussi été vigoureusement attaqué lors de la révolution culturelle.
La dynastie Qing et son administration sclérosée et corrompue avaient failli. De grandes réformes étaient indispensables mais les mandarins ne voulaient pas en entendre parler, l'alpha et l'omega du gouvernement étant selon eux contenus dans les Quatre Livres. Il fallait donc donner un grand coup de torchon, dénoncer les vices du mandarinat confucéen et vanter les mérites des techniques et institutions occidentales qu'il était indispensable d'adopter.

Squalll a écrit :
Aujourd'hui, la Chine en revient, crée des instituts Confucius un peu partout dans le monde visant à promouvoir sa culture et son modèle.
Le temps de Sun Ya Tsen est révolu. Il ne s'agit plus de réformer en profondeur un pays arriéré mais de d'affirmer la Chine comme grande puissance et de garantir la légitimité d'un pouvoir dictatorial. Pour cela, on ne pouvait trouver mieux qu'exalter à nouveau les valeurs confucéennes, qui sont une sorte de Travail, Famille, Patrie à la chinoise, et faire de Confucius le père de la nation chinoise. Ce faisant on entretient le roman national, on assure l'ordre, on prévient les velléités d'insubordination et l'on justifie les sacrifices qu'on demande à la population.


Un grand merci Barbetorte pour ces commentaires, qui sont une réponse élaborée à ce que je me demandait autour de cette question.

Cordialement, Paul.


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Message Publié : 10 Jan 2019 1:27 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 27 Déc 2013 0:09
Message(s) : 2232
Squalll a écrit :
Le Japon aussi a été fortement marqué par le néo confucianisme. Là où ça devient intéressant, c'est que l'historien Pierre François Souyri explique dans son livre "moderne, sans être occidental" que le Japon s'est modernisé à la période Meiji en s'appuyant beaucoup plus sur des concepts issus de la pensée chinoise qu'on serait tenté de le croire. Je n'ai malheureusement pas eu l'occasion de le lire (petit résumé ici : https://journals.openedition.org/lectures/21341 ) mais ça m'a l'air d'être une idée intéressante.
Je ne vois pas bien sur quels concepts issus de la pensée chinoise le Japon s'est appuyé au cours de la Restauration de Meiji. Il faudrait lire l'ouvrage de P.F. Souiry. La seule présentation que vous nous en proposez ne nous aide pas.
Ce que je suis en mesure de préciser est que cette période de profondes réformes avait un double objectif, celui d'une modernisation faisant appel aux nations occidentales bien sûr, mais aussi celui d'un retour à un idéal antique. Le Japon est sorti de la préhistoire à la suite de contacts avec des émissaires chinois qui ont apporté l'écriture, le bouddhisme ainsi qu'un modèle politique, celui de la Chine des Tang, qui fut adopté. Toutefois, le système mandarinal n'a jamais pris au Japon dont le système politique a vite pris une forme féodale. Dès la fin du dix-huitième siècle a pointé l'idée que cette évolution avait été une perversion et qu'il convenait de revenir à la perfection antique, ce qui était dans la logique des mythes fondateurs de la nation japonaise et des principes confucéens. Le coup de force américain de 1853 a donné l'occasion d'établir une synthèse entre deux courants de pensée, celui des Anciens qui voulaient abolir le shôgunat pour établir un gouvernement placé sous l'autorité directe de l'empereur, et celui des Modernes qui, se livrant aux Etudes hollandaises, poussaient à des réformes inspirées des modèles occidentaux.


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