Lampsaque a écrit :
Hallucination ou mensonge ? (suite)
Le procès. Audience du 13 mars 1431, tenue en la cellule, le matin. Les questions sont posées par Jean le Maître, représentant de l’Inquisiteur de la Perversité hérétique (Quel titre ! « C’est quoi votre boulot ? Moi, oh, rien, je suis Inquisiteur de la Perversité hérétique ») [Je dois cependant préciser que ce titre est donné par Valérie Tourelle (Jeanne d’Arc, 2020), Contamine & Co parlant moins poétiquement de vicaire de l’Inquisiteur de la Foi].
Ces titres ne sont donnés ni par Valérie Tourelle ni par Contamine & Co (comme tu te plais à l’appeler). Ils sont l’exacte retranscription de l’intitulé officiel de la fonction du représentant de l’Inquisition dans ce procès, tel qu’il est écrit dans l’acte d’ouverture et les minutes du procès de Jeanne d’Arc.
Dans l’acte d’ouverture : «
[...] frère Jean Le Maistre, de l'ordre des frères Prêcheurs, député et commis dans le diocèse de Rouen, et spécialement chargé de suppléer dans ce procès religieuse et circonspecte personne maître Jean Graverent du même ordre, éminent docteur en théolologie, inquisiteur de la foi et de la perversion hérétique, député, par l'autorité apostolique, dans tout le royaume de France ».
Dans les comptes rendus des séances du tribunal (notamment celle du 13 mars que tu évoques) : la formule abrégée "
... frère Jean Le Maistre, vicaire général de Jean Graverent... », ou «...vicaire de l’inquisiteur...".
Lampsaque a écrit :
Une seule question des juges
Au contraire, plein de questions des juges, ce 13 mars 1431. Je crois que c’était même la séance où Jeanne d’Arc eut à répondre au plus grand nombre de questions ; un feu roulant de questions :
Et premièrement sur notre ordre, Jeanne fut interrogée sur le signe qu'elle bailla à son roi...»
Item interrogée si elle avait juré et promis à sainte Catherine de ne pas dire ce signe...
Interrogée si depuis hier ladite Jeanne a parlé à sainte Catherine…
Interrogée en quelle manière l'ange apporta la couronne et s'il la mit sur la tête de son roi…
Interrogée en quel lieu elle fut apportée…
Interrogée si, la première journée qu'elle vit le signe, son roi le vit
Interrogée de quelle matière était ladite couronne…
Interrogée s'il y avait pierreries…
Interrogée si l'ange qui apporta cette couronne venait de haut ou s'il venait par terre ...
Interrogée en quel lieu l'ange lui apparut…
Interrogée si tous ceux qui étaient là avec le roi virent l'ange …
Interrogée de quelle figure et de quelle grandeur était cet ange…
Interrogée si tous les anges qui étaient en la compagnie de l'ange susdit étaient tous d'une même figure...
Interrogée comment cet ange la quitta…
Interrogée si ce fut pour son mérite que Dieu lui envoya son ange …
Interrogée pourquoi elle l'eut plutôt qu'une autre…
Interrogée s'il lui a été dit où l'ange avait pris cette couronne…
Interrogée si cette couronne ne fleurait pas bon et n'avait point bonne odeur, et si elle n'était point reluisante...
Interrogée si l'ange ne lui avait point écrit de lettres...
Interrogée quel signe eurent le roi et les gens qui étaient avec lui...
Interrogée comment les gens d'église surent que c'était un ange…
Interrogée d'un prêtre concubinaire et d'une tasse perdue dont on disait qu'elle les avait découverts...
Interrogée quand elle alla devant Paris, si elle eut révélation de ses voix d'y aller…
Interrogée si elle n'eut point révélation d'aller devant La Charité…
Interrogée si elle n'eut point révélation d'aller au Pont-Levêque …
Interrogée si ce fut bien fait, au jour de la Nativité de Notre Dame, puisque c'était fête, d'aller assaillir Paris …
Interrogée si elle n'a pas dit devant la ville de Paris : "Rendez la ville de par Jésus"…Lampsaque a écrit :
« L’ange marchait-il ou venait-il d’en haut ? » Pas de réponse de l’accusée.
Elle répondit, et avec précision :
« Interrogée si l'ange qui apporta cette couronne venait de haut ou s'il venait par terre, répondit que, quand il vint devant le roi, il fit révérence au roi en s'inclinant devant lui et prononçant les paroles que ladite Jeanne a dites du signe ; et, avec ce, l'ange lui remémorait la belle patience qu'il avait eue selon les grandes tribulations qui lui étaient advenues. Et depuis l'huis l'ange marchait et allait sur la terre en venant au roi. » Lampsaque a écrit :
Il me semble qu’il aurait fallu demander à Jeanne comment ils étaient allés de la maison où elle résidait (près de Chinon, semble-t-il, et non dans la ville même) jusqu’au château, elle et l’ange, vers Chinon donc, puis dans les rues de Chinon. Elle était à pied ou bien à cheval ? Combien de temps cela a-t-il pris ? L’ange marchait-il devant elle ? Les gens le voyaient ou non ? Il y avait foule dans la rue ou non ? Elle se souvient de gens qu’ils ont croisés ? Bref, qu’elle décrive, mètre par mètre (ou plutôt, toise par toise (une toise faisant un peu moins de deux mètres)). Et au fait, l’ange avait des ailes, ou non ? Comment était-il vêtu ? Il était d’aspect masculin ou féminin ? Il la regardait ou non ? Elle l’avait déjà vu ? Il était plus grand qu’un homme, ou plus petit, ou de même taille ?
Ils ont monté les marches du château. Ensemble ? Lui devant ? Elle sur le côté ? Quel côté ? Y avait-il des gardes ? Pourquoi l’ont-ils laissée passer ? Il était prévu qu’elle devait rencontrer le roi ? On entre dans le château du roi comme dans un moulin ? Ou bien les gardes ont-ils vu l’ange ? L’ange leur a-t-il parlé ?
Les autres anges, où sont-ils apparus ? Déjà chez elle ? Dans la rue ? Dans le château ? Où, dans le château ? Ils portaient des chaussures ou bien ils allaient pieds nus ? Des chaussures d’homme ou bien de femme ?
Même question pour sainte Catherine (sauf pour les chaussures…). Même question pour sainte Marguerite.
Sa position spatiale par rapport aux anges et aux saintes ?
Si c’est chez elle qu’ils étaient apparus, ils tenaient tous dans la pièce, pourtant peut-être pas très grande ?
Si c’est dans la rue, comment ça se passait, la rencontre de cette troupe et des passants ? Comment n’y avait-il pas de heurts entre ces invisibles et les passants ?
Toute cette troupe en marche, cela faisait des bruits de pas ou bien non ? Cela bavardait ou non ? Cela chantait ou non ?
La Trémoille, Jeanne l’a rencontré où ? Dans la chambre du roi ou bien dans les couloirs ?
Même question pour les autres.
Les témoins qui ne voyaient rien de surnaturel, qui étaient-ils ?
S’ils ne voyaient pas les anges et les saintes, comment faisaient-ils pour ne pas les heurter ?
Cette couronne céleste remise au roi, pourquoi n’a-t-elle pas été utilisée lors du sacre à Reims ?
Jeanne a dit qu’elle était d’or fin. Elle sait faire la différence entre or fin et or qui n’est pas fin ? Comment sait-elle que la couronné était d’or fin ?
Etc., etc.
Lampsaque, tu me fais rire !
Et le test ADN ? Tu y as pensé ?
Et l’examen médico-légal pour vérifier le sexe de l’ange ?
Cher ami, arrête ton char ! Ce procès était un procès d’inquisition au XVème siècle, pas la dernière enquête du lieutenant Columbo !
Il faut que tu saches :
1/ les juges du tribunal de Jeanne d’Arc, et tout chrétien de cette époque, croyait sincèrement que cela existait : les anges, les apparitions, les voix, les miracles, mais aussi le diable, la tentation, les sorcières possédées... Tout ce surnaturel, ils y croyaient ; que tu le veuilles ou non, c’était comme ça.
2/ toutefois, l’Église et ses inquisiteurs étaient particulièrement méfiants lorsque quelqu’un prétendait être l’objet d’une telle manifestation surnaturelle, car c'était bien connu : le Malin utilisait tous les subterfuges...
3/ le tribunal qui jugeait Jeanne d’Arc était en réalité un tribunal politique ; il n’avait pas besoin de rapporter 5000 preuves que la gamine mentait ; il lui suffisait d’avoir un seul grief caractérisé d’hérésie. A partir de là, deux possibilités :
a) ou bien Jeanne venait à résipiscence ; dans ce cas, conformément à la procédure inquisitoriale, elle n’était pas condamnée à mort mais seulement à la pénitence : prison à vie au pain et l’eau, et son âme était sauvée. Et pour les commanditaires, l’affaire politique était pliée : tout ce qu’avait fait la Pucelle de Lorraine était ainsi discrédité ; la preuve était faite que Charles VII n’était pas plus roi légitime de France, que Jeanne la Pucelle n’était prophétesse
b) ou bien Jeanne s’obstinait. C’est ce qu’elle a fait dans un premier temps en réponse à l’acte dit d’exhortation charitable» : elle a dit qu’elle voulait soutenir ses dits et ses faits même dans le feu. Là, elle y allait directement au bûcher, et la légitimité de Charles VII avec elle. Mais elle s’est rétractée au dernier moment (abjuration), ce qui l’a remise dans la situation a)
Mais de a) elle est retombée dans b) ; cette fois elle était relapse ; de ce fait, plus personne ne pouvait rien pour elle car l’hérétique qui retombait dans son hérésie était irrémédiablement perdu, son corps dans ce monde et son âme dans l'autre.
Je dirais que dès le 1er jour du procès, ce tribunal avait assez d’éléments pour que ça se termine en 1 ou 2 ; alors pas besoin de mener un interrogatoire de garde à vue à la manière de « Braco » ou « Engrenages ».
Lampsaque a écrit :
Les juges-pignoufs n’exploitent pas la situation et poursuivent l’interrogatoire par une question sur un prêtre concubinaire, sur une tasse perdue, sur le siège de Paris…
Des questions destinées à voir si elle n'était pas sorcière magicienne, si elle ne fréquentait pas quelque secte préconisant le mariage des prêtres....etc.
Ce n'était pas un procès criminel, mais un procès de recherche d'hérésie
Lampsaque a écrit :
Certes, tout n’était pas noté, dans les minutes de l’audience, laquelle durait des heures (trois heures, semble-t-il, pour les audiences du matin). Mais il aurait fallu au moins noter les questions, et les silences de Jeanne. Et normalement, il n’y aurait pas eu que des silences, mais des commencements de réponses. Puis des réponses de plus en plus étendues, qui l’auraient amenée à s’enferrer sans cesse davantage…
Ben oui, quoi ! Qu’est-ce qu’il fichait donc, le commissaire Magellan ?
Lampsaque a écrit :
Lors du procès en réhabilitation, en 1456, évidemment, il était impossible de soutenir que Jeanne avait dit vrai lors de cette audience. Sinon, en particulier il aurait fallu produire la couronne céleste, ou bien alors expliquer sa disparition. Il a été donc estimé qu’elle avait menti (sous serment) ; pour la bonne cause, naturellement.
Il aurait fallu produire la couronne...? S'ils ne l'ont pas produite, c'est peut-être qu'il y a eu une erreur dans l'étiquetage des scellés ? Non mais franchement, tu es sérieux, là ? Tu crois que ce tribunal de réhabilitation, qui était autant politique, téléguidé, capilotracté que le procès en condamnation, avait besoin de rapporter une preuve matérielle ? Tu ne penses pas que s'il l'avait voulu, il n'aurait eu aucun mal à faire montrer une couronne quelconque.
Et puis, le tribunal de réhabilitation aurait eu facile de plaider... que sais-je moi ?...que l'ange est reparti avec la couronne, qui n'était qu'un "signe", aussi immatériel que l'est, par définition, un ange ?
Lampsaque a écrit :
Le 17 mars, elle dit que la première fois que saint Michel lui est apparu, c’est à Domrémy (donc, à Domrémy, il n’y avait pas seulement voix accompagnées de lumières, elle a vu saint Michel).
Si elle avait vu le loup, elle n'aurait plus été la Pucelle. Bon, c'est Saint Michel qu'elle a vu. Et alors ? Que veux tu démontrer ? Que c'est le complice que le commissaire Moulin cherche encore ?
Lampsaque a écrit :
Si je comprends bien (ce dont je ne suis encore pas complètement assuré quoique j’en sois à mon quatrième livre : les deux Beaune, le Contamine & Co, le Valérie Toureille), c’est tout ce qu’on sait de la rencontre de Jeanne avec le surnaturel visuel : un mensonge détaillé fait au procès sur une entrevue fantastique avec le roi à Chinon (tellement grotesque que même Luc Besson n’a pas pu l’exploiter, c'est dire...), et une évocation faite au procès, très vague, de vision de saint Michel survenue à Domrémy.
Mais que pourrait-on espérer d’autre, comme éléments ? Le témoignage de Tata Jacqueline qui a eu les mêmes apparitions ?
Je ne comprends pas ce que tu veux dire.
Le film de Luc Besson : un film grand spectacle comportant de nombreuses scènes issues de l'imagination de l'auteur, avec comme fil conducteur, le postulat que Jeanne souffrait d'une maladie psychiatrique, conséquence d'un violent stress traumatique : dans son enfance elle aurait assisté au viol et à l'assassinat de sa soeur.
Lampsaque a écrit :
C’est maigre, pour croire qu’elle était sujette à ce phénomène à ma connaissance très rare qu’est l’hallucination visuelle ; phénomène encore plus rare chez des gens qui ne sont épileptiques ni schizophrènes, comme il semble pour Jeanne selon les psychiatres auteurs de l’article que j’ai cité.
Puisqu’on te dit qu’on ne saura jamais…
Même le docteur House ne trouvera pas.