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Message Publié : 18 Juil 2021 6:32 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

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De Visconti, je viens de revoir Les Damnés (1969).
Je discute ici du caractère plausible, ou non, du scénario.
La famille où se déroule l’action est une famille de marchands de canons, pourvue d’un titre de baron : évidemment les Krupp. Je rappelle que les Krupp devaient être une des trois familles dans les affaires à être mondialement connue, avec les Rockefeller et les Rothschild.

.1 À l’anniversaire du vieux chef de la famille et président de la société, Joachim, personnage conservateur et autoritaire, chaque jeune membre de la famille se produit. Son petit-fils Martin, âgé de vingt-deux ans peut-être, apparaît travesti, en (très petite) tenue de cabaret, et chante, (dans une imitation de Marlène Dietrich), tout ceci au grand déplaisir de son grand-père.
. Que le grand-père laisse Martin faire son numéro de chant : hautement invraisemblable.

2 Cet anniversaire se déroule le soir de l’incendie du Reichstag. Herbert, un membre de la famille qui est aussi vice-président de la société, exprime des opinions antinazies. Au matin, les forces de l’ordre viennent l’arrêter.
. Impossible : après l’incendie des Reichstag les nazis ont arrêté seulement les communistes.

3 Herbert parvient à échapper à l’arrestation (et à fuir à l’étranger). Mais on découvre que Joachim a été assassiné, au moyen du revolver de Herbert (l’assassin est, en fait, Friedrich, amant de la fille de Joachim). Herbert est accusé. Un peu plus tard, sa femme et ses deux filles – des enfants - sont déportées à Dachau, où sa femme est assassinée. Pour que ses filles soient libérées, il rentre en Allemagne et se livre à la Gestapo.
. Le meurtre du chef de la famille Krupp aurait fait les gros titres de la presse mondiale. Herbert inculpé aurait été recherché par toutes les polices pour être livré à la justice allemande. Il aurait eu un moyen de défense simple : donner une conférence de presse, dire qu’il était innocent et que l’accusation ne tenait pas debout.
À Dachau, ou ailleurs dans les camps de concentration, on ne déportait pas de femmes et d’enfants (en 1933).
Avant l’attentat du 20 juillet 1944, les nazis ne s’en sont pas pris aux membres des familles des opposants. A fortiori, il leur aurait été impossible de s’en prendre à la femme et aux filles d’un membre de la famille Krupp.

4 Martin, qui est pédophile (en plus d’aimer se travestir et d’être bisexuel…), se cache sous une table avec sa très jeune cousine. Ils n’en sortent pas, malgré les cris de la gouvernante, qui appelle la petite fille pour qu’elle aille se coucher. Plus tard dans la nuit on entend un très grand cri. On comprend qu’il est poussé par l’enfant toujours avec Martin.
. Il est évidemment invraisemblable que la gouvernante soit allée elle-même se coucher sans avoir retrouvé l’enfant. Cela dit, à la réflexion, on peut supposer que le cri a été poussé par l’enfant déjà couchée, lors d’un cauchemar.

5 Plus tard, Martin séduit une enfant d’environ sept ans, Olga. Elle se pend.
. Le suicide, chez les enfants, commence vers quinze ans. Un suicide - par pendaison qui plus est – d’une enfant de sept ans est impossible.

6 Plus tard, Martin viole sa mère.
. J’ai entendu le psychiatre Tomkiewicz soutenir que l’inceste entre un fils adulte et sa mère ne se produit jamais. Les cas prétendus sont des affabulations.

7 Sa mère se marie à domicile. Le pasteur leur pose deux questions : origines juives, tares dans la famille. Ils répondent. Et c’est tout.
. À ma connaissance, en 1933, on se mariait au temple, pas chez soi. Et la cérémonie n’était pas aussi succincte : le pasteur ne leur demande même pas leur consentement, ne les déclare pas unis.

8 Immédiatement après le mariage, Martin contraint sa mère et son nouveau mari à s’empoisonner (tels Eva Braun et Hitler).
. Le suicide de l’héritière Krupp avec son mari le jour même de leur mariage, quasiment en présence de son fils, lui-même en uniforme d’officier SS, aurait fait les gros titres de la presse mondiale et aurait plongé les nazis dans un embarras profond. En se comportant ainsi Martin se serait complètement coulé : hautement improbable, donc, même si pas absolument impossible.


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Message Publié : 18 Juil 2021 9:30 
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Grégoire de Tours
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Je n'ai pas vu le film mais ce qui me paraît également gros c'est le personnage de Martin. Travesti, bisexuel, pédophile, violeur, incestueux, pervers, monstrueux, et par dessus le marché nazi et SS...
On voit parfois cette tendance dans quelques films à représenter les SS comme des blondinets à la fois efféminés et violents, sadiques et bisexuels. A trop en rajouter ca fait un peu fort.

Déjà ce n'est pas très aimable pour les LGBT et cela me paraît aberrant quand on sait la brutalité du régime nazi envers toute différence sexuel.
Bon cela ne veut évidement pas dire que cela n'a pas existé dans les coulisses mais une telle exagération cela me semble absurde.
En plus on est au début du régime, les hommes de l'ordre noir ne sont qu'une minorité recrutée très sélectivement.

Les premiers SS étaient des personnages impitoyables, brutaux, des assassins imprégné de l'idéologie de haine des nazis mais j'imagine mal un tel personnage y entrer avec pareil bagage de "déviances"(au yeux des nazis).
Cela pourrait correspondre à un SA par contre, du moins à un certain type.


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Message Publié : 18 Juil 2021 12:16 
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Grégoire de Tours
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Théodare a écrit :

Cela pourrait correspondre à un SA par contre, du moins à un certain type.


Oui mais Martin est justement membre de la SS, par contraste avec son oncle SA (vice-président de la firme familiale), abattu lors de la Nuit des longs couteaux.
La veille on voit les SA (souvent très beaux pour ce qui est des jeunes) festoyer avec nudité, travestissements, large ouverture envers l'homosexualité.
Je ne l'ai pas mentionné car ce genre de comportement ne m'a pas semblé invraisemblable.
Au petit matin la SS arrive et massacre tout ça...
Or, parmi la SA, seuls des chefs ont été abattus. Je ne l'ai pas mentionné non plus.

Est-ce un grand film ?
Je ne sais pas. Visconti a la réputation d'être un grand cinéaste et ce film passe pour être un de ses meilleurs.
Personnellement je le trouve excellent sans être impérissable.
A noter que l'acteur - très beau - qui joue le pervers Martin était l'amant de Visconti.
On peut supposer que la fraternité SA telle qu'elle est représentée dans cette fête incarnait l'idéal de Visconti (quoique il fût communiste). Ce rassemblement SA est le seul passage du film a être en allemand (à part Martin travesti chantant), que ce soit dans la version originale (qui est en anglais) ou dans la version française. J'y ai vu pour ma part l'expression d'une sympathie, d'un respect de la singularité SA. Je suppose que cet aspect du film a été peu perçu et qu'on a surtout vu là une condamnation implicite de l'immoralité des nazis, dont les SA...


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Message Publié : 18 Juil 2021 16:56 
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Ce film a quelque chose de dérangeant - surtout dans l'évolution du personnage de Martin avec un paroxysme atteint par le viol et le meurtre de sa mère (après seulement il portera l'uniforme SS, tout un symbole : on ne peut être SS qu'avec un passé de criminel) -, c'est certain et comporte quelques inexactitudes avec les faits.
Cela dit, je trouve qu'il a le mérite de montrer plutôt bien, par l'exemple de cette famille aux multiples facettes, la manière dont l'Allemagne a été mise au pas par les nazis entre l'accession à la chancellerie d'A. Hitler et la "nuit des longs couteaux".
L'utilisation de toutes les formes de manipulation possibles par l'intermédiaire d'une âme damnée comme Aschenbach, qui parvient à contrôler facilement l'émotif et médiocre Martin, comporte quelque chose d'intéressant à observer.
C'est un raccourci, mais je pense que Visconti souhaitait ainsi démontrer, en prenant l'exemple de cette famille, par quels vils moyens les nazis avaient réussi à prendre le peuple allemand en otage.

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Message Publié : 18 Juil 2021 17:58 
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Jean Froissart
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.
C'est un film que je n'ai pas revu depuis au moins 35 ans : le souvenir s'est donc quelque peu estompé.
Je mets de côté le parallèle avec la trajectoire NS. Je ne réagis pas non plus aux "incohérences" évidentes si on s'en tient à ce parallèle et si l'on veut absolument coller l'étiquette "Krupp" à cette famille.
Je vais un peu me faire l'avocat du diable.

Citer :
4- Martin, qui est pédophile (en plus d’aimer se travestir et d’être bisexuel…),

J'ai souvenir d'un Martin totalement sous emprise de sa mère qui n'hésite pas à jouer de sa personne. Le film nous présente un Martin "adulte". On peut imaginer que l'emprise de sa mère ne commence pas. Elle initie un mode d'échange totalement incestueux avec son fils. Martin a donc grandi ainsi, dans la déviance. Il a toujours "subi", sans doute le mariage de sa mère change la donne et peut-être est le début de la maturation (bonne ou mauvaise, ceci n'est pas l'intérêt) de Martin. Cet autre homme qui tout à coup s'élève, donne de la voix, lui "rafle" sa mère produit très certainement chez lui un effet tempête sous un crâne.
Martin comprend que pour avoir la main (il a toujours été manipulé et continue de l'être mais par un SS qui bien entendu sait tous les secrets de famille), il lui faut être du côté du plus fort. On ne peut pas dire que le cousin SS ne lui fait pas des appels du pied. De l'emprise de sa mère, Martin passe sous l'emprise du cousin.

Citer :
Le suicide, chez les enfants, commence vers quinze ans. Un suicide - par pendaison qui plus est – d’une enfant de sept ans est impossible.

Si jeune, je l'ignore. Avant 15 ans, j'en suis certaine avec compréhension de ce qu'est la mort. Maintenant au sein d'une famille protéiforme et déviante quand finit l'enfance ? Existe-t-elle jamais ?

Citer :
6 Plus tard, Martin viole sa mère.

La mère a initié ces jeux. Martin a grandi. Je ne vois pas ceci comme un viol. Il faut alors se poser la question : quand commence un viol mère-fils ? Une emprise psychique sur un enfant avec à la clé des jeux pervers de sentiments alternant avec un chantage affectif à l'abandon peut-il être classé comme "viol psychique" ?

Citer :
Martin contraint sa mère et son nouveau mari à s’empoisonner

C'est, si j'ose dire, dans la normalité des choses. Si Martin veut vivre, sa mère doit disparaitre et plus encore celui qui, désormais partage son lit.
Cette fois, c'est Martin qui décide (bien ou mal / pour le meilleur ou le pire). Pouvait-il -dans ce contexte- faire un choix "dans les normes" ?

Ensuite, là encore bien ou mal, s'installe le parallèle avec l'Allemagne du moment. Pouvait-elle être autre que "déviante", violente ? Nous avons une galerie de portraits donné à un temps X. Il y a eu un avant qui ne peut que questionner.
J'évite les personnages à connotation "positive", il en faut pour l'équilibre du film tout comme il faut quelques actions "normales". Ce ne sont pas eux qui interrogent le spectateur, ils apportent un souffle -juste ce qu'il faut- afin de tenir jusqu'à la fin.
Maintenant, comme dans toute fiction, les interprétations sont subjectives et se tenir à un C/C de l'histoire n'est pas -je l'espère- du domaine de Visconti.
*-*

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"... we shall fight on the seas and oceans, we shall fight ... whatever the cost may be ... we shall never surrender...." (W. L. Churchill)
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Message Publié : 18 Juil 2021 18:47 
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Grégoire de Tours
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Autre invraisemblance, que j’avais dédaigné ou négligé de mentionner : lors du petit spectacle donné à l’anniversaire du vieux chef de famille, Joachim, spectacle auquel assistent une douzaine de personnes dont deux ou trois employés de haut rang, notamment des femmes, et dont les deux petites-filles de Joachim, âgées de peut-être cinq et sept ans, quand la gouvernante des filles passe devant lui, au premier rang, gouvernante jouée par une actrice d’alors quarante-cinq ans, vêtue de façon très stricte, Konstantin, fils de Joachim, vice-président de la société et officier SA, lui assène avec bonhomie une bonne tape sur les fesses, au su et au vu de tout le monde. Rien ne dit d’ailleurs qu’elle soit sa maîtresse. Non, c’est simplement un bon vivant…

J’ai eu un doute sur le grade de Martin dans la SS. J’ai vérifié. Le revers gauche de son col compte trois « carrés ». Son grade est donc compris entre celui de l’équivalent de sous-lieutenant et celui de l’équivalent de capitaine (immédiatement au-dessous c’était deux carrés, immédiatement au-dessus, quatre).

Martin viole-t-il sa mère ? J’ai repris le mot viol de l’article de wikipedia. Disons à la fois qu’il n’y a pas violence et que le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’en prend pas l’initiative et qu’elle ne s’en réjouit pas…
Du point de vie de mon argumentation, c’est d’ailleurs sans importance : avec ou sans viol, l’inceste entre un fils adulte et sa mère ne serait jamais attesté.

Ah, parmi les particularités de Martin, j’en oubliais une : il est toxicomane. Je ne sais pas ce qui lui manque…


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Message Publié : 18 Juil 2021 20:15 
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.
Je comprends. J'ai toujours vu Cruchot en uniforme, je n'ai jamais songé si les galons étaient adaptés à un maréchal des logis chef (? je crois).
Je vais jeter un oeil. Merci Youtube de conserver ces morceaux d'anthologie. Un crochet aussi concernant "La folie des grandeurs", en Espagne (c'est sous le règne du roi "planète", je crois) pompons ou pas pompons chez Les Grands ?
*-*

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Message Publié : 18 Juil 2021 22:24 
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Ah, parmi les particularités de Martin, j’en oubliais une : il est toxicomane. Je ne sais pas ce qui lui manque…

Justement, rien. Il a tous les vices, c'est bien pour cela qu'il termine SS...
C'est manichéen, mais cela a le mérite de faire réfléchir sur sa déchéance entre le début et la fin du film.

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Message Publié : 19 Juil 2021 5:38 
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Grégoire de Tours
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Oui, je crois qu’on peut dire ça.
Le nazisme est pour nous la figure politique du Mal.
Mais le Mal a aussi une dimension anthropologique.
Certes, on peut être criminel nazi et bon fils, bon époux, bon père, bon camarade, bon citoyen, c’est même le cas le plus fréquent, mais la logique veut que le Mal se manifeste dans toutes les dimensions, et que celui qui se choisit nazi viole sa mère puis la tue lors de son nouveau mariage.

Mais le nazisme est aussi séduisant : le Mal est une tentation. C’est ce que manifeste le fait que Werner est divinement beau. Le capitaine SS qui depuis le début machine le renversement du pouvoir dans la famille, Aschenbach, âme damnée et philosophe du Mal, est beau lui aussi, dans son uniforme noir.


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Message Publié : 19 Juil 2021 18:36 
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Grégoire de Tours
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Les trois-quarts de l’action se déroulent dans le château familial (d'où le caractère facile d'une transposition théâtrale, qui d'ailleurs a eu lieu ; aidée d’ailleurs par le fait que, hormis la subornation de la petite fille et le passage avec les SA il y a très peu de mouvement, et pas du tout de nature : ça parle constamment) ; mais j'ai trouvé le décor luxueux sans être beau.
Une exception : l’appartement du couple formé par Herbert (le neveu antinazi) et Elizabeth, charmant, féminin, tendu de rose (à la soirée anniversaire elle porte d’ailleurs elle-même une robe de soirée rose). Au mur un tableau expressionniste.
Au contraire, l’appartement de Sophie (complice du meurtre de Joachim par son amant Friedrich) est particulièrement lourd, je dirai même laid.

Il y a cependant un artiste dans cette famille : le jeune Gunther, violoncelliste, mais qui justement refuse de travailler dans la firme familiale pour se consacrer à son art (le seul lien – ténu – que j’ai trouvé entre l’histoire et celle des Buddenbrook, le roman de Thomas Mann auquel fait allusion l’article de wikipedia français avec Les Démons de Dostoïevski (le lien là est constitué principalement par le viol de la petite fille suivi de son suicide) et L’Homme sans qualités de Musil).
En somme, l’art, la beauté aurait peut-être pu préserver la famille du nazisme. Mais elle n’est que (grande-)bourgeoise. La bourgeoisie comme terreau du fascisme ou comme perméable à celui-ci : du fait de son avidité, naturellement, du fait aussi d’une certaine absence de goût.

Au moment où Martin caché sous la table avec sa cousine (dont il est dit plus tard qu’elle a onze ans, sa sœur en ayant huit) commence à l’entreprendre, il ressemble de façon étonnante à Peter Lorre, dans M le Maudit. Pas seulement par l’expression, enfantine et égarée, mais même physiquement (par la bouche). Je suppose évidemment que c’est délibéré. Il s’habille avec un goût remarquable.
J’ai dit qu’il était divinement beau. Cliché (pour « extrêmement ») ou erreur (pour « beau comme un dieu grec ») : il n’a pas la sérénité, le caractère apollinien qu’on associe à une statue grecque de jeune homme : ce n’est pas Antinoüs ou l’Aurige de Delphes. Au contraire, il a des moments grimaçants, narcissiques, puérils, mignards. Il a l’expressivité d’un enfant.
Autre ressemblance avec le héros de M le Maudit.

Travesti, c’est Marlène Dietrich que Martin imite. Kinder, Heute Abend Da Such Ich Mir Was aus.
Les enfants, ce soir c’est moi qui sélectionne [un homme, un vrai homme].
À la réflexion, son imitation est parodique, donc un peu moins scandaleuse que je ne pensais.

J’ai fait allusion à M Le Maudit. Il n’y a cependant dans le film aucune référence au cinéma expressionniste. Pas de caméra placée selon un angle inhabituel et déformant, pas d’ombres fantastiques, de visage halluciné en gros plan.

J’ai fait une erreur dans mes billets précédents. L’enfant dont Martin abuse s’appelle Lisa et non Olga. L’actrice avait bien sept ans, comme je l’avais supposé.

Un défaut que je trouve au film : dans sa version française, je trouve les voix des deux femmes (Elisabeth et Sophie) un peu emphatiques (comme souvent dans les doublages). Personnellement je trouve peu de charme à leurs coiffures, assez semblables.

Autre défaut (pour moi) : il est assez difficile de comprendre et de retenir les liens de parenté exacts entre les personnages. En fait Joachim a eu deux fils. L’aîné, mort à la guerre, était l’époux de Sophie (qui est donc sa bru) et le père de Martin le pervers (principal héritier de la firme). Le cadet des deux fils est Konstantin (veuf (ou divorcé ?)), père de Gunther. Et Joachim a deux neveux : le capitaine SS Aschenbach (qui porte le même nom que le héros de Mort à Venise, la particule en moins : « Ruisseau de cendres ») et Herbert Thallmann, vice-président de la firme et antinazi. Ces deux-là sont donc cousins germains (et fils de deux sœurs de Joachim, puisque ils ne portent pas le même nom que lui), et Elizabeth est la nièce par alliance de Joachim. Ils sont également cousins germains du mari décédé de Sophie. Gunther est le neveu par alliance de Sophie.

Wikipedia allemand donne un extrait de trois critiques du film. J’en résume une qui va dans le sens d’une de mes interrogations :
Le Dictionnaire des films internationaux (2017) constate le caractère forcé du scénario (par rapport à la réalité), qui retire au film la base crédible. Restent cependant de grandes qualités.


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Message Publié : 19 Juil 2021 20:09 
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Grégoire de Tours
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À propos de la tape sur les fesses de la gouvernante, une précision. Les deux enfants récitent sur l’estrade un compliment d’anniversaire à leur grand-oncle. Les enfants descendent de l’estrade, et alors leur gouvernante, femme de quarante-cinq ans vêtue de noir, qui les a fait répéter et qui derrière le rideau les a soutenues, avec succès donc, passe devant Konstantin qui est assis au premier rang, pour aller s’asseoir à l’arrière. Il lui donne une tape pour la féliciter de la performance des deux enfants dont elle a la charge, comme il l’aurait donnée à une jument.
Encore moins plausible que je n’avais dit…

J’ai dit que la fête SA devait être une sorte d’idéal pour Visconti. En fait, on voit surtout la fin de la fête. Visages lourds, abrutis par la fatigue et – souvent- l’alcool. Plutôt chair triste que joyeuse, je dirai.

Le nom de la famille : von Essenbeck.
Essen, dans la Ruhr, est le lieu d’origine de la première usine Krupp.
A part Bad Wiessee, la ville où se trouvait Röhm pendant La Nuit des Longs Couteaux, la seule ville évoquée dans le film (deux fois) est Düsseldorf. Essen fait partie de son district.

Je rappelle les prénoms des principaux personnages masculins (par ordre approximatif d’importance des personnages) :
Martin, Joachim, Konstantin, Friedrich, Herbert, Günther.
Je dirai : deux prénoms à consonances nettement germaniques (Joachim, Günther), mais pas rares, et bien connus des étrangers. Sous forme allemande, un prénom international (Friedrich). Un prénom bien connu mais plutôt russe (Konstantin). Et un prénom international, qui a la même forme en allemand et en anglais (Martin). Et un prénom qui n’existe vraiment qu’en anglais et en allemand, d’ailleurs sous la même forme (Herbert).
Les principes prédominants me paraissent ceux de la différenciation et de la plausibilité. S’ils s’étaient tous appelés de prénoms bien germaniques, ou de prénoms bien internationaux (Paul, Albert…) il aurait été plus difficile de les différencier.

Dans la version française, Martin est prononcé à l’allemande, « Martine ». La première lettre de Joachim est prononcé tantôt à la française tantôt (m’a-t-il semblé) un peu à l’allemande, Yoachim. Frédéric est prononcé le plus souvent à la française mais aussi quelquefois un peu à l’allemande, « Fridrich ». Konstantin est prononcé à la française. Le « u » de Günther est prononcé le plus souvent « u », mais quelquefois « ou » (comme la forme allemande Gunther, qui existe aussi). On note évidemment que – dans cette version française donc – on prononce « Martine » mais « Konstantin »…


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Message Publié : 19 Juil 2021 21:09 
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Grégoire de Tours
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À propos de la prononciation des prénoms dans la version française, après avoir revu la moitié du film, je me rends compte que j’avais mal entendu et quelque peu affabulé.
Effectivement, Günther est prononcé des deux manières. Par contre, Martin et Frédéric sont toujours prononcés à la française.

L’inceste entre Martin et sa mère.
Il n’y a pas violence. Elle est caressante, quoique apparemment brisée et désespérée.

La scène du mariage final.
La mariée est en chapeau, voilette et sac mauves. Elle est poudrée (de façon invraisemblable) au point d’en être blafarde : une vraie tête de mort.
C’est magnifique, d’ailleurs.

À la cérémonie proprement dite, le pasteur pose les deux questions que j’ai dites plus haut dans mon premier billet, les mariés signent dans un grand livre et c’est tout : aucune parole n’est prononcée.
Irréalisme radical, naturellement.


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Message Publié : 20 Juil 2021 8:54 
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Jean Froissart
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Inscription : 19 Fév 2011 17:03
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Lampsaque a écrit :
. Le suicide, chez les enfants, commence vers quinze ans. Un suicide - par pendaison qui plus est – d’une enfant de sept ans est impossible.
Je n'interviens que sur ce point: si, cela existe, l'actualité récente et le désespoir des temps actuels nous en ont fait l'écho. En revanche, d'accord avec vous pour dire que dans ce cas-ci, cela paraît absolument improbable (ce n'est pas cette réaction qu'ont les enfants victimes de sévices), et la pendaison comme vous le soulignez nécessite une technique que n'a pas un enfant de 7 ans.


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Message Publié : 20 Juil 2021 11:19 
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Message(s) : 9041
J'ai entendu un jour un journaliste du 20h dire en interview :"oui il y a des sujets tabous. Par exemple le suicide des enfants. Parce qu'on sait qu'en parler déclenche une épidémie. Ce serait irresponsable."

Il semble que l'exemple fournisse à des enfants en détresse une "solution" qu'ils ne pensaient pas réalisable, ou une volonté d'imitation.

ça m'avait frappé. Depuis j'ai constaté que le sujet n'était pas (ou plus) tabou. Ce point de déontologie se serait perdu ?

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Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


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Message Publié : 20 Juil 2021 11:55 
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Jean Froissart
Jean Froissart

Inscription : 19 Fév 2011 17:03
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Pierma a écrit :
J'ai entendu un jour un journaliste du 20h dire en interview :"oui il y a des sujets tabous. Par exemple le suicide des enfants. Parce qu'on sait qu'en parler déclenche une épidémie. Ce serait irresponsable." Il semble que l'exemple fournisse à des enfants en détresse une "solution" qu'ils ne pensaient pas réalisable, ou une volonté d'imitation.
Je poursuis le HS (c'est le mois de juillet, l'ambiance est décidément à la détente...) avec un exemple similaire: la létalité du Doliprane. De manière très simple et en changeant la posologie (je ne dirais pas comment ici, bien entendu), le Doliprane est mortel. Je me souviens un jour d'un pharmacien réexpliquant ce point de déontologie à un journaliste de radio à une heure de très grande écoute. Si cela passait dans le domaine du common knowledge, cela représenterait une hausse spectaculaire du nombre de suicides réussis.


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