Duc de Raguse a écrit :
Le personnage de Laval est loin d'être "con" et la légende noire qui s'est tressée autour de sa personne ne vient pas en premier lieu des résistants, mais bien des proches du premier cercle des pétainistes, les plus réactionnaires. Il a mené la politique qu'il pensait être bonne, il s'est lourdement trompé.
Quand Laval a proclamé à la radio "je souhaite la victoire de l'Allemagne" il a très bien tissé lui-même sa légende noire. Aggravée par le fait qu'il a servi dans l'opinion de bouc émissaire à la place de Pétain, intouchable pour beaucoup.
La politique qu'il a menée était basée sur l'hypothèse de la défaite de l'Angleterre. Dès le mois d'août 40 il s'évertue à prendre le contact avec le gouvernement allemand, ce qu'il va réussir en se faisant remarquer d'Abetz, qui transmettra à Göring. Il peut alors s'employer à lancer l'entrevue de Montoire. Son choix politique, totalement opportuniste, est de s'en remettre au vainqueur, parce qu'il va dominer l'Europe, et de lui "vendre" au meilleur prix la collaboration française.
Je suis tombé il y a quelques jours sur un documentaire :"Juger Pétain", qui proposait les images du procès, avec des "arrêts sur image" pour commenter de façon informative les différentes dépositions. Dont celle de Laval : je n'ai vu que sa première journée de déposition (le documentaire est en deux parties, et la seconde journée a été émaillée d'incidents si violents que la plupart des historiens y voient un déni de justice et un scandale judiciaire) et j'ai été impressionné par la qualité de sa prestation. La salle fait silence pour l'écouter longuement, c'est très étonnant, et il réussit effectivement à être passionnant. Tout d'abord il revient sur l'avant-guerre, et explique qu'il a signé en 35 un pacte avec Moscou, puis noué de bonnes relations avec Mussolini, parce qu'il voulait isoler l'Allemagne. On adorerait le croire. (Le commentaire signale qu'il ment par omission, en particulier sur le manque de conviction qu'il a montré dans les discussions avec la Russie de Staline, et cite des détails factuels sans rémission.) Mais peu importe : ce qui apparait c'est la limpidité de l'exposé, la faculté de persuasion et le talent oratoire. Laval n'était pas n'importe qui.
Ce qui rend plus épais le mystère de la cascade de mauvais choix qui l'a mené au peloton. J'ai dit il y a peu "qu'il faisait un con très plausible" et de fait il a montré une persistance dans l'erreur qui pose question. Il a endossé avec conviction la politique et le costume du traître, très conscient que la victoire alliée signerait sa fin, mais à aucun moment le renversement de la guerre ne l'a poussé à se modérer et à songer à sauver sa peau. Pour finir par ce choix de revenir à Paris "pour y défendre son honneur" dont la stupidité interroge : "Comment pouvait-il ignorer à ce point l'état de l'opinion française à son égard ?"
Il est possible que De Gaulle ait finalement cerné la totalité du personnage, dans ses mémoires.
Pour moi Laval est cet homme dont le pasteur Boegner, représentant des églises protestantes de France, a dit : "J'ai mis fin à l'entrevue : je venais parler "déportation" et j'avais en face de moi un homme qui me parlait "jardinage". (Boegner était venu plaider les conditions épouvantables de l'embarquement des Juifs et le sort probablement funeste qui les attendait en Pologne, et Laval répondait par un tableau idyllique des menus travaux qu'on leur demanderait là-bas.)
Légende noire fabriquée par l'entourage de Pétain, vraiment ?