supertomate a écrit :
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Les pierres subissent les assauts conjugués des intempéries et de la pollution.
Savez-vous s'il s'agit uniquement de la pollution moderne (industrielle) ou si c'est plus large ?
...
Comment les intempéries fragilisent la pierre ? Je suppose que c'est une usure mécanique. Mais si les pluies (et vent + sable ?) suffisent à abimer la pierre, alors les parties submergées des piles de pont doivent souffrir ?
Le principal ennemi de la pierre, c'est l'eau, et particulier quand elle gèle.
Le ruissellement aussi, mais dans une mesure bien moindre.
Le vent, le sable, pas chez nous.
Le gel :Partout où l'eau peut s'infiltrer, elle le fera sous une forme microscopique. Certaines pierres sont dites plus "gélives" que d'autres : certains calcaires en premier lieu, mais aussi certains grès (le grès rose de la cathédrale de Strasbourg, beaucoup moins les granites.
Rappelez-vous comment s'est formé le calcaire à l'échelle géologique : c'est un mille-feuilles de couches de sable lacustre compressé par l'empilement de dizaines de millions d'années d'alluvions, infiniment plus pesant que les quelques dizaines ou centaines de mètre d'eau du lac. Selon la nature des alluvions apportés, la durée, la vitesse et l'épaisseur de l'empilage, la présence d'éléments autres (plancton, rognons de silex, coquillages, etc.), les caractéristiques de la roche finale peuvent varier, à l'échelle d'un bassin sédimentaire ... ou d'une même carrière. Deux exemples : A l'échelle du (grand) bassin parisien, les calcaires issus des carrières du Poitou et du Nivernais (pourtant distantes de plusieurs centaines de kilomètres) présentes certaines similitudes. Regardez une carte géologique, vous comprendrez pourquoi. A l'inverse, dans une même carrière près de chez moi (Vergers à Suilly-la-Tour - 58150), sur un même front de taille de 30 mètres de haut, on sort au moins trois sortes de calcaires : un jaune pâle (dit Vergers blanc), un gris bleuté (dit Vergers bleu), un jaune plus soutenu aux incrustations sombres de coquillage (dit Vergers marbré). Il faut dire que 30 mètres de haut, ça représente environ 40 millions d'années de sédimentation ; il a pu s'en passer des choses pendant tout ce temps.
Pour le marbre, le principe est le même sauf que sous leur propre poids, les couches sédimentaires se sont enfoncées plus profondément encore au point de subir pression et cuisson ! D'où leur densité et leur compacité.
Revenons-en au mille-feuilles et au gel. Tout ce qui peut retenir l'eau plutôt que de la laisser ruisseler en surface va être problématique. C'est pourquoi les parties sculptées sont infiniment plus vulnérables que les pierres de parement au profil rigoureusement vertical : les arches du Pont du Gard (vieux de 20 siècles) sont donc moins agressées que la façade de la cathédrale de Reims (trois fois moins vieille). D'autant plus que les pierres servant au parement (le corps du mur, si vous préférez) sont empilés les unes sur les autres dans le même sens que celui où elles se sont formées et ont été tirées de la carrière. On dit qu'elles sont dans la même "lit". A l'inverse, les pierres utilisées pour la statuaire sont fréquemment posées "en délit" c'est à dire perpendiculairement à leur lit afin de disposer de blocs plus hauts que larges. Reprenons la métaphore pâtissière : posez un mille-feuilles sur la tranche et arrosez-le de sirop ; je vous laisse imaginer la suite. Et quand viendra le gel, bonjour les dégâts ! Tout cela se passe à l'échelle microscopique, mais les micro-gouttes dans des microfissures génèrent quand même des micro-cristaux de glace, plus gros que les micro-gouttes d'eau... C'est la raison pour laquelle, dans la statuaire gothique par exemple, les plus précieuses statues sont presque toujours protégés par un dais en pierre saillant formant niche.
Pardonnez-moi de ne parler que du calcaire (et du marbre). Malgré la pierre noire d'Auvergne, les grès des Vosges et d'Alsace, le granite en Bretagne, etc., et en plus d'être la plus vulnérable, le calcaire représente en effet sous nos climats, le matériau de construction le plus employé. Toutes les pierres connaissent les mêmes phénomènes de dégradation, mais le calcaire est de toutes celle qui se dégrade le plus vite.
Je n'aborderai pas ici la question de la brique et de la terre (pisé, torchis). Sachez seulement qu'une fois mis en œuvre elles présentent quelques similitudes avec ce qui a été dit de la pierre.
Le ruissellement :Le ruissellement seul fait peu de dégâts sur une surface plane telle qu'un mur (un parement), du moins aussi longtemps qu'il ne bute pas sur une saillie, une corniche, un bandeau, ou un solin, etc. qui vient modifier son cheminement. On prend donc soin de protéger les murs par des avancée de toiture, des corniches, une gouttière ou un chéneau, etc. Car le ruissellement peut effectivement avoir des conséquences catastrophiques en cas de pénétration par défaut d'étanchéité ou par débordement (aussi bête qu'un pigeon mort dans une gouttière !). Et c'est d'autant plus grave que le manque d'entretien laisse perdurer la situation : on dit souvent qu'un mur pourrit par le haut. De tels désordres sont ravageurs pour la pierre, mais surtout pour les enduits.
Reste évidemment le cas du ruissellement chargé en agents agressifs (les pluies acides). Sur une pierre saine, et mise en œuvre depuis de longues années, l'effet reste finalement assez lent. Nous verrons plus loin cela en traitant du
calcin.
Une usure mécanique ?Non ! L'usure mécanique de la pierre est presque due exclusivement à des frottements ou à un martellement répétés, et donc liés à l'action de l'homme. Pensez au creusement des marches ou du dallage suite au piétinement séculaire des pèlerins. Le frottement répété d'un câble peut effectivement créer des saignées plus ou moins profondes dans la pierre ; c'est un cas typique des monuments détournés de leur usage d'origine et transformés en bâtiments d'exploitation par exemple. Cela reste néanmoins marginal.
Sous des climats désertiques, le vent et le sable peuvent sévèrement éroder la pierre, sculptée ou pas, mais cela ne concerne pas l'Europe.
Quid de la pierre plongée dans l'eau ?La pierre immergée elle-même ne sera guère altérée. Pas (ou infiniment peu) de risque de gel. Une usure mécanique, oui, avec les alluvions transportées par le cours d'eau, mais cela reste extrêmement lent.
Là où cela pose problème, c'est là où la pierre est tantôt immergée, tantôt à l'air. C'est en effet là que vont se développer une foule de micro-organismes aux conséquences plus ou moins graves. Notez que le problème est le même avec le bois : tant qu'il reste immergé, il est imputrescible ; là où est toujours ou presque toujours à l'air libre, idem ; mais là où il est tantôt couvert, tantôt découvert, le risque de pourrissement est immense. C'est tout le problème des pilotis de Venise, et celui des berges de rivières... C'est dans cet étage-là, intermédiaire entre le toujours immergé et le toujours à l'air libre que pullule la vie. C'est vrai pour la pierre comme pour le bois, mais en beaucoup plus lent pour la pierre. Les ponts du 18ème qui franchissent les fleuves de France ont encore de belles années devant eux, mais il est vrai aussi que les Romains avaient la sagesse de bâtir des ponts sans piles intermédiaires plongeant dans l'eau. A cet égard, le Pont du Gard comporte un grand nombre de piles nécessaires pour franchir le canyon, mais le ruisseau qui passe dessous est le plus souvent assez infime. Les piles inondées lors des crues sont vite sèches, et les effets fortement limités.
Je n'aborde pas la question des mortiers qui mériterait aussi de longs développements.
Les pollutions :Je l'écris volontairement au pluriel car les types de pollutions sont divers et variés.
La pollution atmosphérique : c'est celle à laquelle on pense le plus immédiatement. Contrairement à ce que l'on pense, ce n'est pas un phénomène nouveau. Dès le Moyen-Âge, la pollution urbaine agresse la pierre. Il suffit de penser que les activités sales de l'homme étaient quasiment toutes regroupées en ville, c'est à dire sur quelques hectares autour des plus grands monuments. A fortiori à l'ère moderne, et de manière encore décuplée à partir de l'ère industrielle où les usines fonctionnant au charbon sont presque toutes en ville. Pour vous faire une idée de l'ampleur des dégâts, regardez-donc un bon film en noir et blanc qui se déroule à Paris. Tiens,
Paris brûle-t-il, tourné en 1966, avant les grandes campagnes de ravalement de Malraux. Regardez bien les scènes où l'on voit la façade Notre-Dame de Paris : la noirceur est frappante, résultat de 150 ans de pollution urbaine hautement carbonée. Aujourd'hui, la pollution urbaine a considérablement abaissée (eh oui !) au fur et à mesure que les industries ont été éloignées des centres-villes. Bien moindre, mais malgré tout plus chargée en soufre.
Les pluies acides, citées par Narduccio et Pierma, cela existe. Mais dans le cas des photos présentées par Narduccio, notez-bien que la statue n'est de toute évidence plus à sa place d'origine, qu'elle n'a plus de protection (cf. ce que j'ai écrit plus haut sur le ruissellement et la présence de dais ou de niches). Je prends le pari qu'il s'agit d'une statue, certes abîmée, qui a été remplacée par une copie neuve lors de travaux de restauration, et qu'on a déposée sans grand soin au pied du monument ou sur une terrasse. En l'absence de protection haute, le processus d'érosion est alors devenue exponentiel. Je reviendrai sur ce phénomène en parlant du
calcin.
La pollution bactériologique et microbienne : Aïe, aïe, aïe ! Voilà le vrai problème ! Ce sont toutes les particules fines, tous les animalcules et autres saletés véhiculés par l'air, sans oublier les fientes (hautement acides !) des pigeons et autres bestioles qui sont en cause. Cette pollution-là va trouver un terrain de choix dans tous les endroits où la pierre est déjà agressée ou fragilisée par tous les autres phénomènes, en particulier là où l'eau microscopique stagne ou migre insuffisamment. Cela se traduit par des taches et des colorations vertes, parfois rougeâtres ou jaunes (à ne pas confondre avec les traces anciennes d'incendie), parfois grises, qui sont dues à des proliférations (les agresseurs sont souvent multiples) d'algues ou de champignons microscopiques. Parmi les causes les plus courantes, on trouve notamment les problèmes d'écoulement (chéneau bouché), de mauvais choix de pierre (une pierre trop dure placée sous une pierre trop tendre), ou encore le cas des assises immergées-émergées vu plus haut.
Comme promis, je reviendrai sur le processus de formation du
calcin, indispensable à la compréhension des phénomènes de dégradation de la pierre, ... mais pas ce soir.
Cela permettra de répondre à la question de supertomate :
supertomate a écrit :
Citer :
Les statues abimées sont-elles abimées juste esthétiquement (une couche superficielle abimée) ou bien y a-t-il une véritable attaque de la pierre ?
Merci de votre patience.