Nous sommes actuellement le 28 Mars 2024 20:40

Le fuseau horaire est UTC+1 heure




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 58 message(s) ]  Aller vers la page Précédent  1, 2, 3, 4  Suivant
Auteur Message
 Sujet du message : Re: Sekigahara
Message Publié : 03 Juil 2012 22:11 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 03 Jan 2008 23:00
Message(s) : 1002
C'est ainsi que les forces des Tokugawa ne seront pas concernées par le gigantesque effort militaire et humain que mobilise Hideyoshi lorsqu'il lance à partir de 1592 l'invraisemblable conquête de la Chine, qui doit commencer par celle de la Corée.

De 1592 à 1598, plus de 250 000 combattants et non-combattants font la traversée, et mettent la Corée en sang. L'intervention des armées impériales chinoises, pas si mauvaises que ça, rejette les samouraïs et leurs Ashigaru jusqu'à la côte méridionale du pays du matin calme.

Dans le même temps, la flotte coréenne, supérieurement commandée, fait subir plusieurs désastres aux escadres japonaises de combat et de transport de troupes.

Le rêve d'Hideyoshi s'effrite lentement mais sûrement.

Le ratage de la conquête de Corée, les désaccords entre généraux, qui culmineront lorsqu'il faudra décider si on reste ou si on repart, vont laisser des traces, et certains comptes vont se régler lors de la campagne de Sekigahara.

_________________
"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Sekigahara
Message Publié : 03 Juil 2012 22:17 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 03 Jan 2008 23:00
Message(s) : 1002
Continuons notre revue des généraux de l'armée de l'est avec Kato Kiyomasa, le "général démon".

Kato Kiyomasa (1562-1611) a 38 ans lors de Sekigahara. Il s'est fait un nom en Corée, et quel nom, puisque sa sauvagerie au combat l'a fait surnommer "Kisho Kan", le général démon.

C'est un fidèle et un proche de Hideyoshi dans ses dernières années. Son ralliement à Ieyasu stupéfiera de ce fait, puisqu'il abandonnera sans état d'âme le camp des loyalistes au clan Toyotomi.

Il semblerait qu'il se soit moins rallié à Ieyasu que dressé contre Ishida Mitsunari, qu'il avait pris en haine lorsque ce dernier, inspecteur général des forces présentes en Corée, avait - avec raison - mis en cause ses capacités de commandement comme aussi sa propension à maltraiter sauvagement les civils.

Moyennant quoi, Tokugawa Ieyasu récupère ainsi celui qui sera l'un de ses meilleurs tacticiens.

Kiyomasa était un fidèle dévoué de la secte boudhiste Nichiren (seule secte boudhiste du japon que l'on puisse considérer comme authentiquement xénophobe), et il éprouvait une haine profonde envers les chrétiens.

Le fait qu'il doive partager par moitié, dans l'île de Kyushu, la suzeraineté de la province de Higo avec le daimyô chrétien Konishi Yukinaga était pour lui la source d'une exaspération sans fin.

Pendant la campagne de Sekigahara, Kiyomasa ne participa pas à la bataille; resté à Kyushu, il y immobilisa des forces loyalistes et prit l'offensive contre les châteaux de Yukinaga. Ce faisant, il agit à la fois dans le sens des intérêts de Ieyasu et des siens propres.

_________________
"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Sekigahara
Message Publié : 03 Juil 2012 22:30 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 03 Jan 2008 23:00
Message(s) : 1002
Katô Yoshiaki (1563-1631), sans relation avec Katô Kiyomasa malgré l'homonymie des patronymes, avait aussi servi en Corée, et était aussi à l'origine un vassal de Hideyoshi.

Après la mort de ce dernier, il s'était allié militairement avec Kiyomasa et Fukushima Masanori contre Mitsunari.

Son fief occupait une grande partie de la région de Iyo, dans le nord de l'ile de Shikoku.

Kuroda Nagamasa (1568-1623), 32 ans à Sekigahara, encore un ancien de Corée, avait auparavant combattu dans l'ile de Kyûshu lors des dernières étapes de l'unification menée par Hideyoshi.

Il était chrétien, quoique plutôt tiède, et avait, enfant, été baptisé sous le nom de Damien.

_________________
"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Sekigahara
Message Publié : 03 Juil 2012 22:33 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 03 Jan 2008 23:00
Message(s) : 1002
Et voici les Takeda en rouge :

L'une des unités les plus reconnaissables de la campagne fut en effet le contingent de 3 600 hommes menés par Ii Naomasa (1561-1602).

Naomasa, âgé de 40 ans, avait pris le commandement des anciennes unités Takeda. Chacun de ses samouraïs était ainsi équipé d'une armure laquée rouge, se différenciant du modèle habituel.

Ils apparaissaient si féroces, et se comportaient de telle manière, qu'ils étaient surnommés « Ii no akazonae », les diables rouges de Ii : tout un programme ! Le fief de Naomasa, confié par Ieyasu, était Takasaki.

_________________
"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Sekigahara
Message Publié : 04 Juil 2012 0:27 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 03 Jan 2008 23:00
Message(s) : 1002
Nous allons maintenant évoquer les généraux loyalistes, ceux qui commandèrent l'armée dite "de l'ouest".

A tout seigneur tout honneur, commençons par Mitsunari :

Ishida Mitsunari (1560-1600), commandant en chef des forces loyalistes, descendait des Fujiwara, vieille famille aristocratique qui avait déjà contrôlé le gouvernement civil de l'empire. Il n'avait cependant, ni l'influence, ni la richesse de Ieyasu.

Il était l'un des cinq bugyô, ou administrateurs, nommés par Hideyoshi en 1585 pour gouverner Kyôto (les quatre autres étant Maeda Munehisa, Natsuka Masaie, Asano Nagamasa et Mashita Nagamori), poste auquel il avait donné toute sa mesure, celle de l'un des meilleurs administrateurs qu'ait connu le Japon.

Il était tout dévoué à Hideyoshi (et s'était fait des ennemis de ce fait) et, après la mort du taïkô, son dévouement se reporta sur Hideyori, le jeune héritier.

Mitsunari fit tout, absolument tout, pour protéger les droits du jeune Hideyori. Il alla jusqu'à essayer d'assassiner Ieyasu, mais échoua lamentablement.

Il fit aussi preuve de grande maladresse, particulièrement dans le traitement des otages qu'il détenait. La mort d'Hosokawa Gracia, épouse chrétienne de l'un des principaux généraux Tokugawa, fut ainsi une gaffe majeure qui lui aliéna nombre de seigneurs de la guerre, inquiets pour leurs proches.

Son fief personnel, confié par Hideyoshi, était la province de Ômi, dans le centre de l'île de Honshû. Sa résidence était au château de Sawayama, situé stratégiquement sur le Nakasendô, la principale route traversant le coeur du Honshû; cette route devait jouer un rôle majeur dans les prémisses de la bataille.

Mitsunari avait servi pendant la campagne de Corée, comme membre de l'état-major d'Ukita Hideie. Beaucoup, jusque dans son propre camp, se refusaient à le considérer comme un grand général. Kiyomasa l'avait à plusieurs reprises comparer à un civil venant se mêler d'affaires militaires. Il avait pourtant combattu, et commandé des troupes, mais en définitive ses talents n'étaient pas ceux d'un stratège ni d'un tacticien; même Hideyoshi, malgré son amitié, l'avait finalement nommé inspecteur général, préférant lui confier un poste d'état-major plutôt qu'un commandement direct et indépendant.

Cependant, à ce poste il avait décelé les incohérences des commandants. Il se fit ainsi des ennemis inexpiables.

_________________
"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Sekigahara
Message Publié : 04 Juil 2012 0:28 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 03 Jan 2008 23:00
Message(s) : 1002
Môri Terumoto (1553-1625), 7 ans de plus que Mitsunari, était le commandant en chef nominal de l'armée occidentale.

Le clan Môri, qui contrôlait l'ouest de Honshu, la grande île de l'archipel, était ancien et puissant, et il disposait de bien plus d'hommes et de moyens que Mitsunari lui-même. Après la mort de Maeda Toshiie et la dispersion de son patrimoine entre ses héritiers, Terumoto était devenu l'un des daimyôs les plus riches encore en vie. Les richesses respectives de Terumoto et Ieyasu étaient comparées par un adage populaire, selon lequel le Tokugawa pouvait construire une route de riz du Kantô jusqu'à Kyôto, tandis que le Môri pouvait pour sa part jeter un pont en or et en argent depuis ses domaines jusqu'à la capitale.

Terumoto était rongé par l'angoisse de faire le mauvais choix en se ralliant au perdant, ce qui aurait pour conséquence la perte de ses provinces, voire de sa vie. Ses biens personnels étaient évalués à environ 1,2 millions de kokus, soit peut-être la deuxième fortune du Japon : on comprend ses doutes compte tenu de l'enjeu pour son clan. A ce point de la crise, la victoire pouvait sourire indistinctement à l'un ou l'autre des camps en présence. Il penchait vers un ralliement à Ieyasu quand Ankokuji Ekei, l'un des proches conseillers de Terumoto, et ardent partisan de l'alliance loyaliste, le convainquit de pencher finalement vers Mitsunari. Ekei avait également amené à ses vues Kikkawa Hiroie, cousin de Terumoto et autre seigneur de la maison Môri.


Or, les Môri étaient réputés pour leur fidélité : jamais ils ne trahissaient un engagement, ni une alliance. Déjà à l'époque de Hideyoshi, ils avaient été un morceau trop gros à avaler car cette réputation toujours confirmée avait fait qu'aucun seigneur de la guerre de l'ouest ne les avait trahi.


Si Mitsunari était la cheville ouvrière de l'alliance anti-Tokugawa, le nom et la réputation du clan Môri le surpassait, et Terumoto était l'un des cinq tairô officiellement responsable de la sécurité du jeune Hideyori et du devenir de la puissance du défunt taikô.

Lorsque Terumoto se fut engagé dans les rangs loyalistes, son ami le daimyô Otani Yoshitsugu conseilla à Mitsunari de rester en retrait – au moins officiellement - et de laisser le chef du clan Môri prendre le commandement suprême de la coalition. Il accepta, et plaça Ukita Hideie, un autre des cinq tairô, aux côtés de Terumoto avec le rang de commandant en second.


Le prix à payer pour l'apparent effacement d'Ishida Mitsunari fut que ce dernier continua à exercer la réalité du commandement, tirant toutes les ficelles, pendant que Terumoto se voyait relégué au château d'Osaka, quartier général de la faction Toyotomi et ancien centre du pouvoir du Taikô. Cet arrangement, quoique faisant publiquement de Terumoto la tête du camp loyaliste, avait surtout pour effet de garantir qu'il n'aurait à peu près aucune influence, ni sur le déroulement de la campagne, ni sur les batailles à livrer.


Par malheur pour l'armée occidentale, Terumoto était un excellent général alors que Mitsunari n'était au mieux qu'un second rôle. Cette distribution des tâches provoqua la méfiance de certains membres du clan Môri. Parmi eux, Kikkawa Hiroie, le cousin, finit par convaincre Terumoto que la meilleure action possible était de ne pas agir du tout.

Pris au piège entre son honneur et la « realpolitik », le clan Môri amorçait son déclin...

_________________
"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Sekigahara
Message Publié : 04 Juil 2012 0:29 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 03 Jan 2008 23:00
Message(s) : 1002
Ukita Hideie (1572-1662) était nominalement le commandant en second des forces loyalistes.

Son élévation était due à Toyotomi Hideyoshi, et sa loyauté envers la cause des Toyotomi était indéfectible.

Durant la campagne coréenne, le Taikô l'avait nommé général en chef (gensui), et il s'était admirablement acquitté de sa tâche.
Il était l'un des cinq régents, ou tairô, chargés de gouverner au nom d'Hideyori. Il régnait sur les riches provinces de Bizen et Mimasaka, ainsi que sur une partie du Bitchû, et était de ce fait très fortuné.

Le 21 Octobre 1600, il se prononça en faveur d'une attaque de nuit contre les forces Tokugawa, et avisa Mitsunari qu'attaquer pendant que l'ennemi se déployait en plein brouillard donnerait une victoire certaine.

Mitsunari refusa, préférant une cible claire et bien visible...

Hideie avait 28 ans. Il allait perdre, et la vie, et son clan.

_________________
"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Sekigahara
Message Publié : 04 Juil 2012 0:30 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 03 Jan 2008 23:00
Message(s) : 1002
Konishi Yukinaga (1560-1600) était le daimyô chrétien le plus puissant.

Il avait assumé le commandement de l'avant-garde lors de la première invasion de la Corée, en 1592, avec acharnement, aux côtés de l'anti-chrétien Katô Kiyomasa.
Alors même qu'une telle combinaison de commandement aurait pu être détestable et explosive, Yukinaga avait agi avec une redoutable efficacité, contraignant même la famille royale coréenne à fuir sa capitale; pourtant, comme Mitsunari, il semble avoir été utilisé plus souvent comme administrateur civil que comme responsable militaire.

L'ensemble de sa carrière s'était toujours heurté à Kiyomasa, jusque dans l'extension de son fief, puisque chacun de ces deux daimyô se partageait la moitié de la province de Higa, dans l'île de Kyûshu.

Leur mésentente était profonde et réciproque. Avec Shimazu Yoshihiro, il prendrait la tête de l'arrière-garde loyaliste. Il avait 39 ans en 1600.

Fidèle à son engagement auprès de Mitsunari, il était trop loin de chez lui pour protéger ses possessions de son voisin et pire ennemi ...

_________________
"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Sekigahara
Message Publié : 04 Juil 2012 0:31 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 03 Jan 2008 23:00
Message(s) : 1002
Shakespare, et avant lui les tragédiens grecs l'ont dit : une histoire doit avoir un traître.
Celui que je vais maintenant vous présenter reste l'une des figures les plus énigmatiques de l'histoire du Japon. Son action fut cependant déterminante.

Le traître qui changea l'histoire du Japon

Plusieurs des principaux daimyô de l'armée occidentale changèrent de camp ou n'obéirent pas aux ordres d'attaque lors de la bataille, assurant ainsi la victoire de Tokugawa. Le rôle pivot dans ces défections fut joué par Kobayakawa Hideaki (1582-1602). S'il n'avait pas trahi Mitsunari, l'armée orientale des Tokugawa et de leurs alliés aurait sans doute été anéantie.

Hideaki était jeune à Sekigahara, à peine 19 ans, et il est fascinant de constater qu'avec toutes ces années d'expérience de la guerre accumulées chez les chefs des deux armées, le sort de la bataille a finalement dépendu d'un jeune homme. Mais quel jeune homme !

Il était le neveu de l'épouse d'Hideyoshi, Ne-Ne, et avait été adopté par le Taikô. Il avait grandi sous la protection de Kuroda Yoshitaka (chrétien, baptisé sous le nom de Siméon, et père d'un autre célèbre général chrétien, Kuroda Nagamasa).

En plus d'être à la fois neveu et fils adoptif d'Hideyoshi, il était le petit-fils du grand Môri Motonari, et de ce fait cousin de Môri Terumoto. Les rapports familiaux complexes de ces grands seigneurs étaient le résultat des politiques d'alliances matrimoniales; il était d'ailleurs très rare que ces combinaisons obtiennent l'effet désiré, en l'occurence la paix !

Les relations d'Hideaki avec Ieyasu et Mitsunari remontait à la tentative déçue du Taikô de conquérir la Corée.

En raison de ses liens avec le Taikô, l'adolescent Hideaki, âgé de 15 ans, avait reçu en 1597 le commandement de l'armée, avec Kuroda Yoshitaka comme conseiller.

Quand les généraux théoriquement sous les ordres d'Hideaki se querellèrent, ce qui provoqua l'échec de la campagne, l'un d'entre eux, Ishida Mitsunari, l'avait dénoncé comme incompétent, et le Taikô lui avait ordonné de rendre son commandement et l'avait renvoyé chez lui, disgrâcié. Au Japon, Ieyasu était intervenu en faveur du trop jeune général, et avait réconcilié Hideyoshi et son fils adoptif.

_________________
"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Sekigahara
Message Publié : 04 Juil 2012 0:32 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 03 Jan 2008 23:00
Message(s) : 1002
A quoi tiennent les choses, et le destin des empires ?

Jamais Hideaki n'oublia l'affront que lui avait fait subir Mitsunari, jamais il n'oublia qu'il avait dû son retour en grâce à Ieyasu. De fait, il allait rejoindre les Tokugawa lorsque le conseil de guerre loyaliste le convoqua à Osaka.

Mitsunari en personne lui demanda de joindre les Toyotomi.

Il lui promit en échange la fonction de Kanpaku (premier ministre civil) et plaça Hideyori, son demi-frère, sous sa protection.(On peut supposer que l'enfant aurait ainsi pris le titre de Taikô). L'offre était d'importance, et le jeune seigneur de la guerre ne pouvait qu'être tenté.

Pour sa part, Ieyasu lui promit, en échange de son allégeance, la suzeraineté de deux domaines substantiels.

Hideaki se rendit alors auprès de sa mère adoptive, veuve d'Hideyoshi, pour lui demander conseil. Chose étonnante, elle lui dit de suivre sa conscience – puis suggéra que ladite conscience pourrait bien le faire pencher vers Ieyasu !

La question qui se posait à lui alors qu'il commençait à marcher sous les bannières de l'armée occidentale à la tête de ses dix mille hommes, était de décider lequel des deux fauves lui inspirait le plus, ou le moins, confiance.

Enfant, il avait été très brillant, et tout un chacun avait pu remarquer son acuité intellectuelle. Maintenant, il avait à prendre la plus grave, et la plus dangereuse, décision de sa vie.

Le sort du Japon, et accessoirement des samouraîs qui allaient se battre, allait dépendre de lui. Nul ne savait le matin même de Sekigahara, alors qu'il déployait ses forces sur un colline, quelle décision il allait prendre. Peut-être lui-même l'ignorait-il.

_________________
"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Sekigahara
Message Publié : 04 Juil 2012 1:21 
Hors-ligne
Administrateur
Administrateur

Inscription : 15 Avr 2004 22:26
Message(s) : 15790
Localisation : Alsace, Zillisheim
Vous devriez regrouper tout cela en quelques pages et chercher à le publier dans une revue. C'est très vivant et c'est très instructif. Merci de partager avec nous.

_________________
Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable.
Appelez-moi Charlie


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Sekigahara
Message Publié : 04 Juil 2012 11:02 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 03 Jan 2008 23:00
Message(s) : 1002
Merci beaucoup, Narduccio. Je suis confus, car ce petit texte n'a aucune prétention académique.

Ainsi que je l'ai indiqué dans mon premier post, l'idée de départ était, par amusement, de procéder à la traduction personnelle de l'opuscule d'Anthony Bryant, consacré à la bataille et édité chez Osprey.

Cependant, et si je reste fidèle au plan proposé par Monsieur Bryant (contexte, généraux, armées en présence, sièges, campagne proprement dite, bataille), je m'éloigne de plus en plus de son texte d'origine, tant par retraits que par rajouts de ma part.

C'est ainsi que vous pourrez constater une vision très modifiée du challenger malheureux, Mitsunari, entre les premiers posts, issus directement de ma traduction d'origine, et la partie suivante, plus personnelle et que je me suis permis d'écrire plus directement après que Monsieur Peltier m'ait fort judicieusement conseillé de rester prudent avec la thèse "complotiste" attachée à l'époque aux vaincus de Sekigahara.

Je repère aussi (aaargggh) des coquilles éparses, comme la région du Shinano improprement nommée "shinago" : saleté de clavier !

_________________
"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Sekigahara
Message Publié : 06 Juil 2012 0:49 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 03 Jan 2008 23:00
Message(s) : 1002
Avant d'entrer dans le vif du sujet, soit la campagne militaire qui allait aboutir à la bataille de Sekigahara, nous allons un instant nous arrêter aux combattants eux-même, et à ces armées féodales qui se disputaient le Japon depuis plusieurs décennies.

D'apparence, les armées orientale (Tokugawa et leurs alliés) et occidentale (loyales aux Toyotomi) n'offraient guère de différence.

Leurs généraux, trop jeunes pour avoir connu les grandes guerres entre provinces, le Sengoku-Jidaï, de la seconde moitié du 17ème siècle, étaient cependant des vétérans de la guerre de Corée décidée par Hideyoshi. Les deux armées étaient bien entraînées, bien équipées, et en général extrêmement disciplinées.

Structure et organisation

La réalité des armées japonaises de l'époque et de leur système de commandement n'a qu'un lointain rapport avec le vocabulaire militaire moderne, mais dans le même temps ne peut que nous rappeler ce que nous savons des armées européennes de l'époque.

Ces Daimyôs, qui commandaient les hommes de leurs propres clans, sont habituellement et par facilité appelés « généraux ». Or, ces généraux féodaux pouvaient diriger 500 guerriers comme plusieurs milliers. De surcroît, le Daimyô était à la fois vassal de plus puissant que lui, et suzerain de plus petits seigneurs, membres de sa famille et officiers de son armée.

Si l'on prend l'exemple du clan Tokugawa, plusieurs généraux de grand style, placés sous les ordres de Ieyasu, étaient eux-mêmes chefs de clan : les Honda, Hosokawa, Ii et autres, ce qui faisait d'eux des généraux servant sous un autre général, concept familier en Occident à la même époque. C'est ainsi que l'on peut, par exemple, évoquer Hosokawa comme étant l'un des capitaines de Ieyasu alors même qu'il n'aurait supporté aucun ordre direct sur ses troupes.

Ce mélange de grade et de rang féodal, et les importances variées des contingents de troupes, rendent assez difficile l'élaboration d'un ordre de bataille au sens habituel du terme. Les auteurs japonais eux-même, ou surtout leurs traducteurs, parlent de « divisions » ou de « régiments » pour évoquer ce qu'en Europe, à l'époque des guerres d'Italie, on nommait, sans aucun accent péjoratif, des « bandes », unités pouvant aller de quelques centaines à plusieurs milliers de combattants.

_________________
"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Sekigahara
Message Publié : 06 Juil 2012 0:50 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 03 Jan 2008 23:00
Message(s) : 1002
Les relations entre vassaux et alliés d'une part, et leur général en chef d'autre part, était en revanche assez curieusement similaire à celles existant au sein des armées alliées pendant la seconde guerre mondiale : il existait à la fois des chaînes de commandement interne et, brochant sur le tout, un système de commandement central unifié qui n'avait pas forcément la maîtrise tactique des troupes au combat.

A plusieurs reprises, cette organisation nébuleuse et complexe, combinée aux susceptibilités de tels ou tels généraux, conduisit directement au désastre, comme lorsqu'il arriva que des généraux refusent tout simplement d'obéir aux ordres de leur général en chef.

Un exemple parmi d'autres, amusant d'ailleurs parce qu'il ne peut que nous faire penser aux généraux de Louis XIII : pendant la campagne de Sekigahara, l'armée orientale (faction Tokugawa) mit le siège devant la forteresse loyaliste de Gifu.

Deux des généraux attaquants, Ikeda Terumasa et Fukushima Masanori, prétendirent chacun aller le premier à l'assaut, et en vinrent finalement à se provoquer en duel. Par chance, quelques têtes plus froides de l'état major proposèrent que l'un attaquât de front pendant que l'autre s'en prendrait au versant opposé du château.

L'on retrouve en Europe une anecdote étrangement proche lorsque deux colonels, en plein siège de la Rochelle, se provoquèrent en duel pour avoir l'honneur d'être le premier à mener son régiment à l'assaut.

Tous fous d'honneur, samouraïs et mousquetaires se ressemblaient.

Cette anecdote nous éclaire cependant quand à un problème intrinsèque des armées japonaises de l'époque : si excellents qu'ils soient, les plans de campagne, voire de bataille, dépendaient d'hommes aux yeux de qui la réputation personnelle et l'honneur passaient avant tout, quand bien même ils combattaient loin de chez eux : des incidents de ce genre émaillèrent la campagne de Corée, et la mésentente des deux principaux chefs d'armées fut sans doute à l'origine de l'échec final.

On peut légitimement se demander ce que de tels hommes auraient accompli sur le continent chinois s'ils avaient été moins susceptibles, et si les différents généraux avaient un peu plus coopéré.

C'est peut-être parce qu'il avait remarqué ce mal endémique de ces armées que Ieyasu, stratège de grand talent, progressa aussi lentement qu'il le fit durant la campagne : il voulait être sûr que ses ordres étaient exécutés et que tout allait selon son plan de campagne.

Dans le même temps, et alors qu'ils étaient prêts à s'étriper pour des questions de préséance, ces seigneurs de la guerre japonais pratiquaient une discipline sévère et brutale. Chacun avait une tâche à remplir et la connaissait. L'échec signifiait la perte de grade, le bannissement, la mort.

_________________
"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Sekigahara
Message Publié : 06 Juil 2012 0:53 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 03 Jan 2008 23:00
Message(s) : 1002
Les armures

Elles font souvent rêver, ces stupéfiantes armures japonaises des samouraïs du Sengoku-Jidaï.

On sait pourtant peu qu'elles étaient souvent réalisées de bric et de broc; voire même que certains généraux comme Oda Nobunaga dans les années 1570 et Tokugawa Ieyasu plus tard se firent réaliser des armures de type espagnol, modifiées seulement par leurs décorations !

Mais, pour les troupes, samouraïs et Ashigaru, c'était forcément moins exotique et surtout, le métal étant rare au Japon, les armures que nous allons évoqué étaient essentiellement réalisées en cuir laqué, voire en tissu.

Certains Daimyôs équipaient leurs troupes d'armures uniformes, afin de renforcer leur moral et aider à les reconnaître – comme Ii Naomasa et ses fameux « diables en rouge ».

Un autre Daimyô célèbre dans ce domaine fut Date Masamune, qui équipa entièrement son armée, des troupiers aux généraux, avec de solides armures à plastrons appelées Yukinoshita dô, dont seuls les détails et l'ajustement décelaient les différences de grade. Il était fortuné, il avait les moyens !

D'autres Daimyôs mettaient la main sur tout ce qui pouvait servir; d'autres encore versaient un viatique à leurs troupes pour qu'elles s'équipent à leur gré.

Nombre de soldats ajoutaient à l'équipement fourni, plus ou moins complet, ce qu'ils pouvaient récupérer par le dépouillement des morts, habitude ancrée dans la tradition créée par les guerres incessantes, ce qui leur permettait alors de se procurer un meilleur casque, une arme, voire une armure complète, le tout récupéré sur l'ennemi tombé. La pratique était publiquement désavouée, mais habituelle.

Le Sengoku-Jidaï avait duré tellement longtemps qu'un métier un peu particulier avait même fini par se développer, celui consistant à dépouiller les cadavres sur les champs de bataille pour en revendre ensuite les équipements de combats ...

_________________
"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Afficher les messages publiés depuis :  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 58 message(s) ]  Aller vers la page Précédent  1, 2, 3, 4  Suivant

Le fuseau horaire est UTC+1 heure


Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 11 invité(s)


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas insérer de pièces jointes dans ce forum

Recherche de :
Aller vers :  





Propulsé par phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction et support en françaisHébergement phpBB