Ce sujet a été suscité par une remarque faite dans une
discussion portant sur Maurice PaponOn ne commente pas une décision de justice.J’ai tout récemment entendu cela de la bouche d’un participant à un débat télévisé sur une chaîne d’information. Cela dit, les participants à ce débat ont commenté pendant une heure la condamnation prononcée envers un écervelé qui avait giflé le président de la République.
On peut critiquer librement l’action du législateur ainsi que celle des gouvernants, cela fait partie du jeu politique, mais une retenue s’impose à l’égard des juges. Pour comprendre pourquoi, on peut lire Montesquieu qui observait que le pouvoir judiciaire était en fait nul. Ce pouvoir est nul parce que le juge, à la différence des détenteurs des pouvoirs législatif ou exécutif, ne commande pas à la société. Il ne rend que des décisions individuelles. En fait, le juge est un arbitre. Mais cet arbitre doit être respecté, ce qui conduit à une certaine sacralisation de la fonction judiciaire. Dans les sports, brutaliser l’adversaire peut être prohibé par les règles du jeu, mais une certaine brutalité est tout de même dans la nature du jeu tandis que s’en prendre à l’arbitre est un interdit absolu, d’une autre nature que celle interdisant la brutalité envers un adversaire.
Cela étant, cette retenue dans les paroles concernant l’action de la justice n’a été introduite que récemment en droit positif par l’ordonnance 58-1298 du 23 décembre 1958 sous la forme d’une nouvelle rédaction de l’article 226 du code pénal qui créait le délit de discrédit sur un acte ou une juridiction juridictionnelle. Auparavant, l’autorité de l’État était protégée par d’autres dispositions, notamment celles de l’article 222 du code pénal de 1810, que l’on retrouve dans l’article L 434-24 du code actuellement en vigueur, qui réprime les outrages faits à un magistrat. J’ignore les motifs de cette introduction. Peut-elle a-t-elle été suscitée par la gravité des évènements de l'époque. Comme il s’agit d’une ordonnance, on ne peut trouver d’explication dans les débats parlementaires et l’on ne peut non plus la chercher dans un rapport adressé au président publié en même temps que l’ordonnance qui n'était pas encore d’usage. Je ne sais pas si des condamnations sont parfois prononcées sur la base de l’article 434-25 du code pénal dont je vois mal la nécessité. Je pense que c’est rare.
Observons tout d’abord que, si interdiction il y a, ce n’est que dans certaines conditions. Le commentaire technique est libre. C’est heureux. Les professionnels du droit peuvent disséquer et même critiquer le cas échéant des décisions judiciaires au regard de la loi. Ensuite, on a aussi toute liberté pour contester une décision afin d’exercer un recours prévu par la loi. Dans un état de droit, il ne saurait en être autrement.
Ce qui est sanctionné par la loi est de chercher à jeter le discrédit sur la justice dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance. Qu’est-ce qui est de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance ? Un simple commentaire d’une décision de justice soulignant la sévérité des juges ou, à l’inverse, leur indulgence est licite. Jusqu’où peut-on aller ? La loi ne le dit pas. Au juge d’apprécier et il le fait en prenant en considération la liberté d’expression qui est tout de même un principe fondamental. Dans un régime autoritaire, avec une justice aux ordres, le pouvoir ne manquerait pas de faire un usage abusif de cette disposition. Dans un régime qui garantit les libertés individuelles, l’action répressive à la suite de l’expression d’une opinion portant sur une décision de justice ne peut être que très prudente. Car le juge qui serait porté à l’abus se discréditerait lui-même. Certes, il ferait respecter l’autorité de la justice mais il n'empêcherait pas que naisse un doute sur la légitimité de sa décision.