Le sujet est suffisamment sérieux pour que Christine Bard y ait consacré un livre :
Une histoire politique du pantalon, Le Seuil, 2010, repris ensuite par Points en 2014.
Il est souvent répété qu’une loi interdisant aux femmes de porter le pantalon serait toujours formellement en vigueur. On peut le dire ainsi quoique, plus exactement, il s’agisse d’une ordonnance du préfet de police de la Seine du 16 brumaire de l'an IX publiée en ces termes :
Citer :
Informé que beaucoup de femmes se travestissent, et persuadé qu'aucune d'elles ne quitte les habits de son sexe que pour cause de santé;
Considérant que les femmes travesties sont exposées à une infinité de désagréments, et même aux méprises des agents de la police, si elles ne sont pas munies d'une autorisation spéciale qu'elles puissent représenter au besoin;
Considérant que cette autorisation doit être uniforme, et que, jusqu'à ce jour, des permissions différentes ont été accordées par diverses autorités;
Considérant, enfin, que toute femme qui, après la publication de la présente ordonnance, s'habillerait en homme, sans avoir rempli les formalités prescrites, donnerait lieu de croire qu'elle aurait l'intention coupable d'abuser de son travestissement,
Ordonne ce qui suit:
1 - Toutes les permissions de travestissement accordées jusqu'à ce jour, par les sous-préfets ou les maires du département de la Seine, et les maires des communes de Saint-Cloud, Sèvres et Meudon, et même celles accordées à la préfecture de police, sont et demeurent annulées.
2 - Toute femme, désirant s'habiller en homme, devra se présenter à la Préfecture de Police pour en obtenir l'autorisation.
3 - Cette autorisation ne sera donnée que sur le certificat d'un officier de santé, dont la signature sera dûment légalisée, et en outre, sur l'attestation des maires ou commissaires de police, portant les nom et prénoms, profession et demeure de la requérante.
4 - Toute femme trouvée travestie, qui ne se sera pas conformée aux dispositions des articles précédents, sera arrêtée et conduite à la préfecture de police.
5 - La présente ordonnance sera imprimée, affichée dans toute l'étendue du département de la Seine et dans les communes de Saint-Cloud, Sèvres et Meudon, et envoyée au général commandant les 15e et 17e divisions militaires, au général commandant d'armes de la place de Paris, aux capitaines de la gendarmerie dans les départements de la Seine et de Seine et Oise, aux maires,aux commissaires de police et aux officiers de paix, pour que chacun, en ce qui le concerne, en assure l'exécution.
Cette ordonnance fait l’objet d’un article de wikipedia sous le titre :
Permission de travestissement.
Plus personne ne maintient qu’elle ne soit pas devenue caduque mais néanmoins on s’est jusqu’à présent refusé à l’abroger expressément. Le fait en soi est curieux. On a bien profité, à l’occasion de la publication du code des transports, d’abroger l’ordonnance sur la Marine du 31 juillet 1681. Le préfet de police de Paris aurait bien pu, lui aussi, procéder à un petit nettoyage réglementaire. Il n’en a rien fait. La ministre du droit des femmes a même répondu en 2013 à un sénateur qui s’en inquiétait qu’il n’y avait pas lieu de le faire puisqu’elle avait été implicitement abrogée et qu’elle ne constituait plus qu'une pièce d'archives conservée comme telle par la Préfecture de police de Paris (
JO Sénat du 31/01/2013 - page 339)
Ainsi le commente Christine Bard sous l’égide du Collège de France (
https://laviedesidees.fr/Le-droit-au-pantalon.html) :
Elle n’en finit pas de mourir, cette ordonnance de 1800 qui interdit aux femmes de s’habiller en homme – les obligeant donc à s’habiller en femmes. La voilà à nouveau dans l’actualité. Le 31 janvier 2013, le ministère des Droits des femmes a fait savoir que l’ordonnance est « implicitement abrogée ». Est-ce la fin d’un marronnier ? Ce n’est pas sûr. Je ne résiste pas au plaisir de citer la réponse de la députée Cécile Duflot à un huissier de l’Assemblée Nationale qui voulait l’empêcher de monter à la tribune en jean – en fait, c’est le tissu du pantalon et non le pantalon qui faisait problème - : «
Qu’à cela ne tienne. Je vais l’enlever et vous allez me le tenir. J’ai une jolie culotte et, ça tombe bien, je me suis épilée ce matin ».
Que risquait une femme
travestie sans autorisation préfectorale en 1800 ? Un petit séjour, probablement assez désagréable, au commissariat de police, et une amende.
Un tel règlement avait-il été édicté ailleurs que dans le département de la Seine ? Je ne sais pas mais c’est bien possible. J’ai lu quelque part que George Sand s’était fait délivrer une autorisation par le préfecture de l’Indre, mais j’ai lu ailleurs qu’elle ne se serait jamais abaissée à en solliciter une. Ce qui est sûr est que George Sand portait le pantalon. Mais ce qu’elle pouvait se permettre en raison de sa notoriété, une femme du commun ne le pouvait pas.
Qu’est-ce qui motivait l’interdiction faite aux femmes de «
se travestir » en 1800 ? Est-ce, comme l’a affirmé la ministre, pour éviter que des femmes ne se mettent à exercer des métiers d’hommes ?