Dans "
De Gaulle sous le casque - Abbeville 1940", Henri de Wailly retranscrit plusieurs témoignages d'officiers ayant servi dans la division cuirassée commandée par De Gaulle, relatant le style de commandement du jeune général au front.
Un exemple :
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Dans l'obscur grenier, accroché à ses jumelles comme un commandant de navire sur sa passerelle, le général de Gaulle tente de suivre l'action. Des éclatements d'obus encombrent l'horizon.
Il apprend assez vite la mort du commandant Antech. Nérot est là: "Qui le remplace? - Le capitaine de Bellefon. - Bien! " répond-il sans commentaire.
«Des Croisettes, affirme Canonne, de Gaulle a vu s'amorcer le repli, infanterie et chars, du lieutenant-colonel de Ham. Les 88 mm du Caubert tiraient. Cela a été effroyable. »
Les nouvelles du désastre ne tardent pas. Le tout jeune sous-lieutenant de Waziers, qui n'a passé que six mois à Saint-Cyr, est officier de liaison du lieutenant-colonel de Ham. A Moyenneville, il a assisté à l'échec: «Les Allemands n'avaient pas de blindés, mais des canons. Ils nous ont tirés au débouché comme des lapins. Cela a été un massacre. Je suis tombé sur un chef de char Hotchkiss qui m'a dit:
« "Il faut avertir tout de suite: nous n'arriverons absolument à rien si l'on ne déclenche pas immédiatement un tir d'artillerie sur les canons allemands. Ils sont là ", m'a-t-il indiqué sur sa carte. Je l'ai noté: c'était dans un bois qui dominait.
«J'avais un side. Je fonçai aux Croisettes expliquer ce qui se passait. Là-bas, on me fit monter l'escalier. Dans la pièce du premier, à droite, de Gaulle, seul avec un officier, était assis devant une table.
« Je saluai et tendis mon papier. J'expliquai ce que j'avais vu. De Gaulle entra aussitôt dans une violente colère. Il criait, tapait du poing sur la table. Il était fou de rage. Il n'admettait pas que son attaque ait raté. Il a eu des mots très durs pour le 10e Cuir. Des mots très durs pour tout le monde. Oui, répète le témoin en crispant son visage, perdu dans ce souvenir brûlant encore, des mots terribles ... Je maintins pourtant que les chars ne pouvaient pas déboucher tant que l'on n'aurait pas détruit les pièces qui les tiraient à vue. J'en venais: j'étais formel. Mais de Gaulle continuait:
"C'est faux, criait-il, hors de lui! C'est qu'ils ont peur! Ce sont des traîtres ! ... Allez le leur dire de ma part! Foutez-moi le camp! " Le jeune officier salue, fait demi-tour et va, terrorisé, rendre compte au lieutenant-colonel de Ham. Canonne se souvient parfaitement de ce jeune cavalier qui se fait, dit-il, «sortir» par de Gaulle.
«Juste après son départ, le général décide d'aller à Moyenneville. "Canonne, nous allons voir de Ham. " » C'est à 4 km. «La Vivastella roule très vite et s'arrête à l'église. Ça canarde de partout et le village est" marmité". De Gaulle descend de voiture et arpente la place déserte en criant d'une voix de stentor: "De Ham! De Ham! Où êtes-vous?"
«Le lieutenant-colonel de Ham sort d'une cave et, debout sous le bombardement sporadique, écoute son chef qui le sermonne. " Alors, la cavalerie! On n'est pas capable d'attaquer? " Mélangeant l'huile et le vinaigre », de Gaulle est bref, précis, mordant. «Assez inhumain dans sa dureté », dira Canonne. Des hommes passent en courant. De Ham les interpelle pour les renvoyer à l'ennemi. Lui tournaient-ils le dos?
Le général retourne au P.C. des Croisettes. A la brune, il y est encore. Vers 20 h 30, l'échec entériné, il convoque les colonels de Ham et François. «J'étais auprès de lui, raconte le capitaine Nérot, et je revois la scène. D'une façon peut-être un peu théâtrale, de Gaulle les stoppe à dix pas, les nommant: "Colonel de Ham!" Celui-ci s'arrête. De Gaulle reprend: "Vous tenez Moyenneville: vous en assurerez la défense jusqu'à demain matin. " Pas un mot de plus. La même scène se reproduit, identique, avec le colonel François, chargé de Béhen. »