Dans l'histoire des organisations professionnelles que nous commençons ici, je pense qu'il faut distinguer trois axes.
Premièrement, les associations de producteurs, en général les artisans. A mon avis, c'est considérer le problème à l'envers que de commencer par leur suppression et les reproches qui leur étaient faits, et qui concernaient une bonne part de l'Ancien Régime. Il faut noter ici que ce mode s'inscrit dans la société du Moyen Age où l'individu n'a pas d'importance s'il ne fait pas partie d'un ensemble plus vaste. Se regrouper permet de peser dans les décisions face aux pouvoirs municipaux, seigneuriaux, ecclésiastiques. Même les prix font l'objet de discussion : personne ne fait confiance à la "main invisible du marché" et si une foire se tient proche d'un lieu où sévit la disette, un bourreau trône au milieu pour avertir les "avaricieux" (pêché capital) qui voudrait en profiter pour spéculer.
Les corporations permettent aussi d'encadrer les statuts de maîtres et d'apprentis, afin d'assurer la transmission des savoirs en même temps que la normalisation des pratiques, dans le but fournir des produits de qualité et bien caractéristiques de la région, voire de la ville. Elles peuvent également édicter des règles de travail communes ("ne pas travailler à la lueur de la bougie", histoire ne pas enflammer toute la ville) et traiter les litiges et infraction en interne.
Il est à noter que si elles ont disparu, le principe d'association de producteurs pour contrôler le marché perdure au travers de la tendance des entreprises à se regrouper en trusts.
En deuxième lieu, il y a les professions spécialisées exerçant une charge de service public - même si le terme est anachronique. Notaires, médecins... Ici, la profession nécessite clairement d'être réglementée, car la qualité des a une grande influence sur la population. C'est ainsi que les notaires ont échappé à la loi Le Chapelier en conservant le principe des charges vénales, et les médecins, même s'ils ont été "libéralisés" un temps, ont rapidement dû être réorganisés par Napoléon pour protéger la population du charlatanisme.
En dernier lieu, il y a les syndicats, qui sont, contrairement aux premières, des associations de travailleurs formées par la base contre leurs employeurs. Leur pouvoir est directement issu du rapport de force. Ainsi, aux Etats-Unis, pays qui n'a pas hésité à livrer de vrais combats de rue contre des mineurs en grève, on comprend que dans des domaines où la main d'oeuvre spécialisée n'est pas remplaçable, comme les centrales nucléaires, les syndicats aient pu acquérir de grands pouvoirs. Tout marche mieux pour eux pour les ouvriers quand on ne peut pas les remplacer par des "Jaunes"
Rajoutons que les descriptions des conditions de travail au XIXe siècle - hygiène et sécurité déplorables, paiement en bons valables uniquement dans les magasins d'usine, livret ouvrier pour signaler les récalcitrants... - rendent aisément visibles les apports des luttes syndicales. Même si leurs nombreux défauts sont également actuellement visibles puisqu'elles complexifient la gouvernance, rigidifient les fonctionnements, et empêchent les entreprises de s'adapter à des contextes changeants.